La Thaïlande dans sa relation Chine–États-Unis : Fidèle à son passé indépendant

Par Claudia Serrano

 

Tout État ayant été colonisé, et ce peu importe dans quelle région du monde, continue de subir les conséquences de la colonisation qu’elles soient économiques, politiques, environnementales ou même sociales. Quant à elle, la Thaïlande n’ayant pas été colonisée, mais ayant servi d’État tampon, subit elle aussi des conséquences de l’époque coloniale notamment en ce qui concerne ses relations étrangères.

Cet article se penche sur la stratégie de balancing (ou équilibrisme) qu’emploie la Thaïlande dans ses relations avec la Chine et les États-Unis lui ayant permis de demeurer « an independent state even during the years of Western colonization and the Japanese invasion by successfully ‘bending with the wind’ » [1]. À une époque où les deux grandes puissances tentent d’obtenir ou de maintenir la première place comme hégémonie mondiale, les États d’Asie du Sud-Est doivent faire preuve de prudence dans leurs relations internationales notamment face à des incitatifs pouvant ressembler à une forme de néo-colonialisme.

 

Les Américains en Thaïlande : de 1800 au pivot

Des soldats de l’Armée royale thaïlandaise débarquent au Vietnam en 1969

La Thaïlande est le premier pays asiatique à avoir établi une relation diplomatique et économique formelle avec les États-Unis autour des années 1830 [2]. Depuis, les deux États ont su collaborer à plusieurs reprises dans la région et ailleurs dans le monde, principalement en matière de sécurité.

Ainsi, la signature du Pacte de Manille en 1954, ayant donné naissance à l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), favorisera la grande alliance entre les États-Unis et la Thaïlande durant la guerre de Corée puis celle du Vietnam [3].

En 1982, l’ancien Siam et le géant occidental mettent en place les exercices militaires annuels Cobra Gold comptant aujourd’hui plus de 20 participants et observateurs [4]. Mais la situation entre les deux États demeure délicate en raison de sanctions imposées par les États-Unis suite à des violations du droit de la personne par la Thaïlande [5].

La politique interne du pays asiatique, dont les deux coups d’État de 2006 et 2014, a fortement contribué au va-et-vient entre le pays sud-est asiatique et les États-Unis. En ce sens, selon Prasirtsuk et Tow, « Thai politics is innitely more complex than merely complying with broad generalizations about human rights violations or political liberalization […] It includes the rise of populist trends in the northern and northeastern parts of the country […] and an intractable separatist insurgency in four southern Muslim provinces » [6].

Cependant, les échanges commerciaux bilatéraux entre les États-Unis et la Thaïlande demeurent importants, s’élevant à 47,4 milliards US $ en 2014 [7]. Il en est de même en matière de sécurité et de défense, les États-Unis ayant à plusieurs reprises reçu du soutien de la Thaïlande notamment dans sa lutte contre le terrorisme après les attentats du 9/11.

En ce sens, en 2003, le président américain Bush qualifiait la Thaïlande de « major non-NATO ally ». La Thaïlande a d’ailleurs bien accueilli le pivot américain compatible avec sa stratégie de « hedging » puis signait en 2012 le Joint Vision Statement for the Thaïland-US Defense Alliance qui est en vérité complémentaire au Communiqué de Rusk-Thanat de 1962 ayant pour but de contenir le communisme [8].

 

Qui va à la chasse perd sa place : le rapprochement chinois

Dès le retrait des troupes américaines en Indochine à la mi-1970, Bangkok prend une distance de Washington pour se rapprocher de Pékin en 1978 après l’invasion du Cambodge par le Vietnam en raison de leur manque de confiance mutuel envers ce dernier, ce qui coïncide toutefois avec la volonté de la Thaïlande de maintenir un équilibre dans ses relations étrangères [9].

Ce rapprochement se poursuivra tout au long des années 1980-1990 et en 1992, le Greater Mekong Subregional Economic Zone mit en place par la Asian Development Bankest créé dans le but de relier la zone économique, dont la ville chinoise Kunming à la ville thaïlandaise Chiang Rai. Dans cette même logique, le Chinese-Thailand Free Trade Agreementest signé en 2003 et s’inscrit dans la stratégie chinoise de « Develop the West » [10].

Le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-ocha et le Président chinois Xi Jinping en 2016

Le début des années 2000 s’annonce très positif pour la Chine en Asie du Sud-est principalement en raison de la négligence des Américains envers cette dernière, celui-ci étant occupé à contrer le terrorisme ailleurs dont au Moyen-Orient. Cependant, la volonté américaine de cesser de tourner le dos à la région Sud-est asiatique coïncide avec l’avènement du Printemps arabe puis de la guerre en Syrie, ce qui pour la Thaïlande a consolidé la présence encore plus marquée de la Chine en pleine montée en Asie du Sud-Est [11].

Ainsi, en 2012, la Chine signait eux aussi un partenariat avec la Thaïlande, le China-Thailand Comprehensive Strategic Partnership, intégraient les exercices Cobra Gold comme observateur quelques années plus tard (ce qui pour certains représente un grand risque en raison des tensions en Mer de Chine Méridionale) et mettaient en place le projet de création d’un train à grande vitesse partant de Kunming jusqu’à Singapour en passant entre autres par la Thaïlande [12].

De plus, en réponse au coup d’État thaïlandais de 2014, la Chine adoptait une attitude différente que les Américains face à cet enjeu en déclarant qu’il s’agit d’une question interne ce qui a bien été accueilli par les Thaïs qui affirmaient qu’« un vrai ami est un ami même en temps difficiles » [13].

 

 

 

 

Références

[1] Prasirtsuk et Tow 2014, 129

[2] Wei Boon Chua 2017, 271-2

[3] Prasirtsuk et Tow 2014, 130

[4] Prasirtsuk et Tow 2014, 131 ; Wei Boon Chua 2017, 272

[5] Prasirtsuk et Tow 2014, 132

[6] Prasirtsuk et Tow 2014, 129, 34, 36-37

[7] Wei Boon Chua 2017, 272

[8] Prasirtsuk et Tow 2014, 133-5, 7

[9] Prasirtsuk et Tow 2014, 131 ; Grinter 2006, 456

[10] Grinter 2006, 458-9 ; Zawacki 2017, 117

[11] Zawacki 2017, 288

[12] Zawacki 2017, 288-90

[13] (Traduction personnelle) Zawacki 2017, 294-5

 

 

 

Bibliographie

Grinter, Lawrence E. 2006. «China, the United States, and Mainland Southeast Asia: Opportunism and the Limits of Power.» Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs28 (3): 447-65.

Prasirtsuk, Kitti et William T. Tow. 2014. « A reluctant ally? Thailand in the US rebalancing strategy. » Dans W. Tow et D. Stuart, dir. The New US Strategy towards Asia : Adapting to the American Pivot. London : Routledge.

Wei Boon Chua, Daniel. 2017. «United States’ pivot and Southeast Asia.» Dans S. Ganguly, J. Liow et A. Scobell, dir.The Routledge Handbook of Asian Security Studies. London : Routledge.

Zawacki, Benjamin. 2017. Thailand : shifting ground between the US and a rising China. London : Zed Books Ltd.

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