Le côté obscur des bases militaires américaines aux Philippines

Par Amélie Gauthier

« L’Amérique n’a jamais été un empire », c’est ce que George W. Bush a osé dire lors d’un de ses discours en 1999… quel mensonge parfait. Manifestement, l’ancien président n’a pas vu l’idéologie américaine s’imposer sur tous les continents, particulièrement aux Philippines. Marquée par la colonisation américaine (1898-1946) et l’implantation de bases militaires américaines (20e siècle), la nation sud-est asiatique a été subjuguée par le modèle étatsunien, fascination encore présente aujourd’hui. C’est pourquoi Manille et Washington ont renforcé, en 2014, l’accord de coopération militaire donnant aux États-Unis un accès plus généreux aux troupes américaines concernant les bases militaires aux Philippines[1]. Malgré les bénéfices économiques colportés par les États-Unis, cette situation révèle un côté obscur, mis au grand jour dans cet article.

 

 

Préalablement, un arrêt sur la nature de cet accord est impératif. Quelques années suite à l’indépendance des Philippines (1946), une première entente de coopération militaire a été signée entre Manille et Washington en 1951. Celui-ci promettait une sécurité et une stabilité aux Philippines en construisant des bases militaires américaines sur le territoire philippin (Subic Bay et la base aérienne de Clark)[2] et en offrant une compensation aux Philippines (962 millions de dollars en 1988)3. Cependant, l’année 1992 a été marquée par la fermeture de ces bases, aboutissement du refus américain de promettre une absence d’armes nucléaires dans leurs installations. Malgré tout, une succession de signatures entre les deux nations a ramené les Philippines dans le même état de subordination4.

 

De subordination ? De toute évidence, ce retour étasunien n’est pas bénin. Au contraire, ce dernier est empreint d’une symbolique colossale : celle de l’idéalisation du modèle américain aux Philippines [5]. De plus, afin de légitimer la présence américaine, des bienfaits économiques sont présentés, masquant les impacts pernicieux découlant du second souffle états-unien.

 

D’abord, une croissance démographique rime nécessairement avec une hausse du taux de chômage et les Philippines ne font pas exception. En effet, l’archipel connait un taux de croissance démographique de 1,57% (2017) et un taux de chômage de 15%6. Ainsi, en étant le deuxième plus grand employeur aux Philippines7, le retour des bases américaines devient une idée séduisante, mais dangereuse. Selon l’ethnologue Yen Le Espiritu, les bases militaires promulguent le travail temporaire à l’étranger, principalement aux États-Unis, en charmant le public avec de « salaires alléchants » et de « belles conditions de travail ». Résultat : un grand nombre de femmes décident de migrer à court terme en Amérique du Nord en acceptant des paies inéquitables et des conditions de travail indignes[8].

 

 

Ensuite, un des avantages que vantent les États-Unis est que ses installations militaires sont des sources faramineuses d’acquéreurs. Effectivement, en envoyant des troupes armées qui doivent se nourrir et survivre, le taux de consommation augmente, favorisant donc l’économie des Philippines dans plusieurs secteurs, dont les services[9]. Toutefois, obnubilés par le divertissement non dispendieux et l’image sensuelle et exotique des jeunes asiatiques, les soldats américains encouragent le système de prostitution militaire. De grands centres « de loisirs et de repos » sont organisés au détriment de la femme, touchée par les maladies vénériennes et les agressions multiples[10].

 

Puis, les Américains avancent qu’ils ont contribué au bien-être des Philippins en créant des programmes d’actions luttant pour des meilleures conditions de travail et de vie, dont le « Medical Civil Action Program » (MEDCAPS), programme ayant construits une clinique afin de soigner adéquatement les locaux[11]. De plus, en 2013, lors du passage du typhon Haiyan, les États-Unis ont envoyé 37 millions de dollars ainsi que des renforts afin de soutenir leur ancienne colonie12. Par contre, cette bonté ne permet pas d’expliquer les fractures sociales que subit la population. Selon Klein, ces divisions sociétales sont le fruit de l’impérialisme américain, car les États-Unis ont isolé toutes les communautés autochtones, créant des ségrégations et inégalités [14].

 

Finalement, ayant une réputation mondiale, le pays nord-américain déclare comme dernier argument qu’une coopération militaire engendrée par le retour des bases militaires soutient une amélioration des relations internationales pour les Philippines[15]. D’une part, avec la renommée mondiale étatsunienne, cela permet de promouvoir l’archipel et de gagner des investissements étrangers épars tels que le Japon, l’Union européenne, etc. D’ailleurs, l’aide américaine, suite à l’indépendance des Philippines, a réellement contribué aux investissements étrangers envers l’ancienne colonie en vantant que cette dernière était un modèle de souveraineté possédant des ressources naturelles fort intéressantes. Par contre, est-il encore possible que les États-Unis puissent autant influencer les investisseurs étrangers, eux qui connaissent la réputation des Philippines ? D’autre part, l’accord militaire entre les deux nations permet de calmer la Chine, qui effraie de plus en plus les Américains. Effectivement, la République populaire de Chine est en constance émergence et revendique de plus en plus de ressources, dont les iles dans la mer méridionale[16]

 

En somme, depuis près de cent ans, les Philippines ont joué un rôle clé pour la stratégie de défense et pour la diffusion de l’idéologie américaine. En revanche, ce rôle s’est avéré dangereux pour la culture de l’archipel, qui a subi des changements économiques, politiques et sociaux au courant du dernier siècle. Ainsi, l’idée d’un retour des bases militaires américaines peut bien effrayer la population : l’histoire va-t-elle se répéter ?

 

1 Courrier International, « La protection américaine ne fait pas rêver ».

2 William Guéraiche, p. 105.

3 William E. Berry Jr, p. 306-333.

4 William E. Berry Jr, p. 306-333.

5 William E. Berry Jr, p. 306-333.

6 CIA, en ligne.

7 William E. Berry Jr, p. 306-333.

8 Yen Le Espiritu, en ligne.

9 William E. Berry Jr, p. 306-333.

10 Richard Poulin, p. 88

11 William E. Berry Jr, p. 306-333.

12 Gabriel Khan, «Typhon Haiyan aux Philippines: qu’est devenue l’aide internationale ? ».

13 Michel Klein, p. 84.

14 William E. Berry Jr, p. 306-333.

15 William E. Berry Jr, p. 306-333.

 

 

 

Bibliographie

 

Berry, W. 1990. «The Effects of the U.S. Military Bases on the Philippine Economy » . Contemporary Southeast Asia, 11(4), 306-333. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/25798077

CIA. The World Factbook. 2018. East and southest Asia : Philippines. En ligne. https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/rp.html (page consultée le 27 mai 2018).

Courrier International. 2014. « La protection américaine ne fait pas rêver». Courrier International         [En ligne] (Paris), 28 avril : https://www.courrierinternational.com/revue-de-    presse/2014/04/28/la-protection-americaine-ne-fait-pas-rever

Guéraiche, William. 2003. « Regards français sur la colonisation américaine aux Philippines:      (1898-1916) ». Guerres mondiales et conflits contemporains, 209,(1). Paris, France :Presses universitaires de France, 103-17.

Khain, Gabriel. 2014. «Typhon Haiyan aux Philippines: qu’est devenue l’aide internationale ? ».           [En ligne], 2 février : http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20141108-typhon-haiyan-philippines-aide-internationale-enquete/

Klen, Michel. 2002. « L’exception philippine ». Études 2002/6 : 739-750.

Le Espiritu, Yan. 2005 « Gender, Migration, and Work », Revue européenne des migrations     internationales [En ligne], vol. 21 – n°1, mis en ligne le 02 septembre 2008, consulté le 06         juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/remi/2343

Libération. 2014. « Les Philippines s’abritent sous le bouclier américain ». Le Devoir [En ligne]            (Montréal), 29 avril : https://www.ledevoir.com/monde/asie/406768/asie-les-philippines-         s-abritent-sous-le-bouclier-americain#

Poulin, R. 2006. « Le système de prostitution militaire en Corée du Sud, en Thaïlande et aux     Philippines ». J.-M. Tremblay.

 

Hyperliens

https://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/bush/wspeech.htm

https://www.youtube.com/watch?v=3J5C9TUmYqY

 

Photographie

Kimberley, Margaret. 2018. Dans Transdend media service. Repéré le 6 juin 2018 à      https://www.transcend.org/tms/2018/02/u-s-escalates-syrian-war/

Paris, Robert. 2015. Dans Matière Révolution. Repéré le 6 juin 2018      http://www.matierevolution.org/spip.php?article4612

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