La Thaïlande, régime militaire pion des rivalités sino-américaines ou acteur central de l’Asie du Sud-Est?

 Emilie Dubroux

 

Prayuth Chan-Ocha, Michael Peel (2014), Financial Times

Le 22 mai 2014, le commandant de l’armée thaïlandaise, Prayuth Chan-Ocha déclenche une junte militaire afin de destituer le premier ministre par intérim qui avait été nommé suite à la révocation du mandat de Yingluck Shinawatra, action décidée par la Cour constitutionnelle de Thaïlande. Depuis ce coup d’État le premier ministre par intérim est le commandant Prayuth Chan-Ocha lui-même.

 

Avant de se poser les questions actuelles qui entourent la situation de la Thaïlande il est important de remettre en place le contexte historique de ses relations avec les deux puissances rivales de l’Asie du Sud Est que sont la Chine et les États-Unis. Nous pourrons par la suite nous demander en quoi les relations bilatérales avec la Chine, sous le régime militaire thaïlandais peuvent être bénéfiques à la Thaïlande au sein de son économie nationale mais également de son rôle à jouer dans la région de l’Asie du Sud Est ?

 

Comme nous le rappelle Ian Storey dans son ouvrage[1],  à la suite de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les puissances européennes étaient confrontées à la reconstruction de leurs économies et de leurs pays ainsi qu’à une période de décolonisation, deux superpuissances s’affrontaient indirectement et idéologiquement au niveau mondial. Il s’agissait bien entendu des États-Unis et de l’Union Soviétique (URSS).

En pleine période de Guerre froide, la Thaïlande représente en effet pour les États-Unis une position géostratégique majeure ; proche de la Chine, laquelle décide à l’époque d’imposer son idéologie communiste dans la continuité de l’URSS. Ainsi dans les années 1950 les élites thaïlandaises tiennent des discours anti-communistes et se rapprochent de plus en plus des États-Unis. Cette relation permet également d’expliquer la création en 1954 de l’OTASE (Organisation du Traité de l’Asie du Sud Est) au sein duquel la Thaïlande joue un rôle important puisqu’étant (accompagnée des Philippines) le seul pays de la région faisant partie de cette alliance militaire.

On observe dès lors que les décisions militaires de la Thaïlande semblent agir sur les jeux de puissance des États-Unis ainsi que de la Chine bien que ne rivalisant pas directement avec les États-Unis à l’époque. En effet le gouvernement communiste chinois dans les années 1960 semblent voir d’un mauvais œil cette alliance militaire, ces tensions encourageront les États-Unis à signer en 1962 une assurance de protection de la Thaïlande, indépendante du mécanisme de l’OTASE.

 

À travers ce bref rappel historique on observe que la Thaïlande semblait particulièrement proche des États-Unis pendant des années. Une proximité qu’Antonio L. Rappa[2] explique en écrivant que « La Thaïlande est d’un intérêt certains aux États-Unis démocratiques puisqu’elle possède une localisation stratégique, soit proche des sphères économiques et politiques de la Chine communiste ». Cependant aujourd’hui la Chine et la Thaïlande semblent se rapprocher et tenir un même discours sur l’importance de la place de la Thaïlande au sein de la région du Sud Est de l’Asie. Ces échanges diplomatiques sont néanmoins discutés dans le reportage suivant :  https://www.youtube.com/watch?v=Xqr_uJTIzfs [3]

Dans ce reportage le journaliste thaïlandais interview l’ambassadeur de la Chine en Thaïlande le discours est très ouvert, et fait référence aux relations anciennes des deux pays mais plus principalement en matière de culture et d’immigration, il n’est ainsi pas question des enjeux historiques vus plus tôt. Mais le reportage démontre les bénéfices pour la région de cette relation bilatérale en développement avec la Chine.

Zen Soo, ZTE to play integral role in creating ‘information superhighway’ to connect One Belt, One Road countries, South China Morning Post, (2016)

Le bénéfice majeur dont il est question ici est celui de l’initiative « One belt, one road » (une ceinture, une route), l’ambassadeur chinois lie cette initiative, aux investissements chinois pour une « Thaïlande 4.0 », puisque selon lui le développement de la région passera par le développement de la Thaïlande et plus principalement celui d’un train à haute vitesse reliant la Chine à Singapour en passant par la Thaïlande (voire carte ci-dessous). Ce passage par la Thaïlande pourrait donc être plus avantageux pour la Chine, ou encore le Cambodge, le Laos etc… ce qui placerait donc bien la Thaïlande au centre d’échanges commerciaux terrestres de la région.

 

Si l’importance de l’armée royale thaïlandaise pour les États-Unis s’observaient aisément au sein d’alliances militaires, avec la Chine l’armée thaïlandaise semble se comporter bien plus comme un acteur politique à part entière. Ainsi dans le reportage de la CGNT[4] ci-dessous on peut entendre le premier ministre par intérim et commandant des forces armées thaïlandaises Prayuth Chan-Ocha s’exprimer sur le désir thaïlandais de consolider la coopération militaire entre la Chine et la Thaïlande, l’instrumentalisation politique de l’armée se voit par la position au gouvernement du commandant Prayuth ainsi que les mots qu’il utilise pour définir la relation sino-thaïlandaise, au sens général et pas uniquement militaire : « La relation entre la Chine et la Thaïlande a évolué de manière graduelle et est basée sur l’égalité, le respect et le bénéfice mutuel. »

https://www.youtube.com/watch?v=X4HeNS4wO5c

 

Xi Jinping meets with Prime Minister Prayuth Chan-ocha of Thaïland, (2016), Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China

En 2018 on observe une croissance et un approfondissement des relations sino-thaïlandaises sur différentes échelles, on observe notamment la proximité des deux chefs d’État sur les valeurs et priorités qu’ils défendent, ou encore le développement d’accord économiques, de projets communs, et ce principalement en ce qui atteint l’accès à la route maritime passant en Asie du Sud Est. La mise en lumière de cette relation bilatérale sino-thaïlandaise paraît alors tout à fait s’illustrer dans les théories de jeu de la puissance chinoise de développer de nombreuses relations bilatérales pour mieux diviser ou mieux bénéficier de la situation.

 

 

Iconographie :

 

  1. Michael Peel, Bamgkok (2014), All of one mind: in a once disputations parliament, Gen Prayuth was nominated without dissent [Image en ligne]. Repéré à https://www.ft.com/content/9c667194-28f2-11e4-8b81-00144feabdc0

       2. Zen Soo, ZTE to play integral role in creating ‘information superhighway’ to                                     connect One Belt, One Road countries (2016), [Image en ligne] repéré à http://www.scmp.com/business/article/2051219/zte-play-integral-role-creating-information-superhighway-connect-one-belt

  1. cn, Xi Jinping meets with Prime Minister Prayuth Chan-ocha of Thaïland, (2016), Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China, [Image en ligne], repérée à http://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/topics_665678/XJPCXBZCESGJTLDRDSYCFHJCXYGHD/t1395081.shtml

 

[1] Ian Storey, Southeast Asia and the Rise of China, London, 2011, 384 pages.

[2]Antonio L. Rappa, « Nationalism, the state and corruption », The King and the Making of Modern Thaïland, New York, 2017, p.43-95

[3] The Insider Thaïland, [The Insider Thaïland], (2018, 17 février), Thaïland-China relations [Full Episode], [Vidéo en ligne] repérée à https://www.youtube.com/watch?v=Xqr_uJTIzfs

[4] CGTN, [China Global Television Network], (2015, 27 novembre), China, Thaïland seek clforce cooperation, [Vidéo en ligne] repérée à https://www.youtube.com/watch?v=X4HeNS4wO5c

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