Singapour et la puissance britannique

Par Angelina Halal

La transition à la démocratie de Singapour fut différente de celle de la Malaisie et des Philippines, dans la mesure où sa constitution de 1958 n’a pas été imposée par la puissance colonisatrice britannique : elle fut le résultat d’une vraie négociation, notamment avec le Parti Communiste Singapourien (PCS). Par un retour en arrière, nous cherchons à comprendre les conséquences percevables de cette négociation constitutionnelle, soit les influences britanniques et du PCS sur le système politique de Singapour.

 

Les tensions chinoises et britanniques à Singapour

En septembre 1945, Singapour est une colonie britannique sous la domination de la British Military Administration. En même temps, les communistes chinois du PCS exigent l’indépendance de Singapour et l’instauration d’un régime socialiste. Les Britanniques refusent et l’instauration de l’administration britannique suscite un mouvement de rébellion. Face à cela, le gouverneur Mountbatten décide d’accorder un statut « semi-légal » au PCS : il autorise les syndicats ouvriers et étudiants, mais les communistes chinois poursuivent leurs manifestations. En 1955, une nouvelle constitution est adoptée et légalise le PCS. Cependant, dans cette constitution, toutes les décisions en dernier recours reposent sur le gouverneur de la colonie nommé par Londres. Les manifestations par le PCS se poursuivent et le gouvernement de Singapour demande à Londres de renégocier la constitution de 1955. Quelques mois plus tard, Londres accepte, car elle veut rétablir le calme à Singapour (Éthier, 2017).

Si nous remontons à l’époque de la colonisation britannique, nous remarquons que Singapour se distingue déjà de la majorité des pays d’Asie du Sud-Est. Contrairement à la Malaisie ou aux Philippines, la constitution de Singapour fait preuve d’un processus d’indépendance négocié, soit moins rattaché aux puissances colonisatrices. En effet, les revendications communistes du PCS sont prises en considération dans les négociations constitutionnelles entre Londres et Singapour. À l’opposé de Singapour, dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est où la démocratie fut dictée ou imposée, nous pouvons remarquer des exemples de néocolonisation qui s’expriment dans différents secteurs tel que les centres d’appels de compagnies américaines délocalisés aux Philippines.

 

Les intérêts des Britanniques à Singapour

Comment se fait-il que le cas de Singapour fût réglé de façon plus consensuelle que celui de la Malaisie et des Philippines ? Singapour a une localisation stratégique des points de vue commercial et militaire. La localisation de Singapour va devenir encore plus importante après la construction du canal de Suez, au bout de la mer rouge. Avant la construction de ce canal de Suez, la circulation maritime partait de la Chine, traversait la mer méridionale de Chine, passait entre le détroit de la Sonde et l’ile de Java pour ensuite contourner toute l’Afrique et remonter en Europe. Une fois creusé, le canal de Suez va permettre de raccourcir la navigation commerciale entre la Chine, le Moyen-Orient et l’Europe : les bateaux vont désormais emprunter le canal de Malacca pour se rendre vers l’Europe et le Moyen-Orient. C’est à partir de là que le port de Singapour acquière une grande importance, d’où la raison pour laquelle les Britanniques voulaient une colonie à cet endroit (Rimmer, 2004).

 

Les influences britanniques et du Parti Communiste Singapourien

En 1956 et 1957, Londres accepte qu’il y ait deux séries de négociations constitutionnelles prévues auxquelles vont participer tous les partis singapouriens. Ces négociations aboutissent à l’adoption du « State of Singapour », soit à l’adoption d’une nouvelle constitution qui accorde un statut de pleine autonomie à Singapour. Néanmoins, elle accordait encore des pouvoirs importants aux Britanniques notamment en matière de défense et de politique étrangère. Singapour possède alors un statut entre colonie et indépendance, mais son autonomie interne est déjà plus importante que celle des Philippines ou celle de la Malaisie à la même époque (Éthier, 2017).

Par ailleurs, les négociations constitutionnelles à Singapour incluaient aussi le PCS (d’autant plus que des droits constitutionnels lui ont progressivement été accordés). Dès lors, Singapour bénéficie d’une présence plus légitime de son mouvement communiste que d’autres pays d’Asie du Sud-Est où ce dernier à été réprimé. Plusieurs conséquences en résultent. Par exemple, en 1962, les Britanniques font pression pour que Singapour s’intègre à la nouvelle fédération élargie de la Malaisie puisque cette dernière va intégrer les deux États du nord de l’ile de Bornéo. Cependant, les origines chinoises majoritairement communistes à Singapour vont nuire à l’équilibre de cette fédération en Malaisie, du fait qu’elles contribuent à mettre en cause « l’idée qu’on se fait du fonctionnement d’une démocratie d’inspiration occidentale » (Fistié, 1967). Dès 1965, une séparation entre Singapour et la Malaisie a lieu et Singapour va modifier sa constitution de façon à y inclure enfin une reconnaissance des droits et libertés fondamentales.

 

Singapour, au centre de la concurrence coréenne et américaine

Le leader nord-coréen Kim Jong Un et le président américain Donald Trump se serrent la main après avoir signé un document commun, le 12 juin 2018 à l’hôtel Capella, sur l’île de Sentosa, à Singapour

Aujourd’hui, l’autonomie de Singapour se dépeint par sa neutralité sur les enjeux internationaux. En effet, Singapour se prépare pour recevoir le 12 juin 2018, la rencontre entre le président des États-Unis, Donald Trump et celui de la Corée du Nord, Kim Jong-un. Toutefois, ce n’est pas la première fois que Singapour accueille des rencontres délicates sur son territoire. Un exemple est la première rencontre entre le président chinois Xi Jinping du camp communiste et le président taïwanais Ma Ying-jeou du camp nationaliste en 1993, à Singapour (Les Echos, 2018).

Le détachement de Singapour aux puissances colonisatrices se dépeint actuellement par les bonnes relations qu’il entretient à la fois avec les États-Unis et avec la Corée du Nord, un allié de la Chine. Singapour parvient à maintenir un équilibre entre les puissances mondiales sans être soumis à celles-ci. De fait, l’impartialité de Singapour n’est pas cruciale à sa sécurité et à son commerce : elle est administrée par le pays de son gré, inversement au cas des Philippines où des ingérences militaires se sont répétées de la part des États-Unis. « L’exemple de Singapour a démontré que si le régional et le mondial s’y trouvent solidement imbriqués, l’avenir politique de la cité-Etat, voire même l’évolution de son économie pour la période la plus récente, dépendent au moins autant sinon plus de son environnement immédiat que du reste du monde » (Régnier, 1987).

 

 

Bibliographie

Éthier, Diane. 2017. « Régimes politiques de l’Asie du Sud-Est ». POL 2860 (Université de Montréal).

Fistié, Pierre. 1967. « La rupture entre Singapour et Malaysia ». Revue française de Science Politique (no 2) : 237-262. En ligne. https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1967_num_17_2_418482

Les Échos. 2018. « Pourquoi Singapour est le lieu idéal pour la rencontre Trump-Kim ». Les Echos (Paris), 13 mai. En ligne. https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/0301666365351-pourquoi-singapour-est-le-lieu-ideal-pour-la-rencontre-trump-kim-2175369.php

Régnier Philippe. 1987. Singapour et son environnement régional : Étude d’une Cité-État au sein du Monde Malais. Paris : Presses Universitaires de France. En ligne. https://books.openedition.org/iheid/1818

Rimmer, Peter. 2004. « Les détroits de Malacca et de Singapour ». Érudit (Montréal), 29 septembre. En ligne. https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2003-v34-n2-ei775/009173ar/

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