Par Amélie Gauthier
L’occupation américaine aux Philippines s’est démarquée par ses effets post-usurpation, dont le bilinguisme imposé à l’archipel. Pourtant, en 1999, le président américain George W Bush certifiait que sa nation n’avait jamais été un empire impérialiste1. Ainsi, l’histoire raconte l’emprise américaine en sol philippin (1898-1946) comme étant une colonisation importante de la part des États-Unis. Succédant au colonialisme espagnol (1521-1898), les États-Unis se sont imposés dans l’archipel en inculquant au peuple philippin plusieurs composantes culturelles, dont l’utilisation de l’anglais. D’ailleurs, selon les statistiques de la « Central Intelligence Agency », le pays est désormais bilingue, officialisant l’anglais et le pilipino2. Révélant des particularités et des répercussions éparses, découvrons ensemble ce bilinguisme à la fois complexe et fascinant.
L’histoire de colonisation américaine aux Philippines débute en 1898. Motivés par la déplorable administration espagnole et l’insurrection philippine de 1896-18973, les Américains s’engagent dans une guerre hispano-américaine et viennent « libérer » les Philippines en signant le traité de Paris le 10 décembre 1898. Toutefois, sous prétexte d’améliorer les conditions de vie de la population, les États-Unis déclarent une occupation temporaire sur l’archipel4. Malgré sa courte durée, cette usurpation est le fondement d’une américanisation encore présente aujourd’hui. En fait, selon l’historien William Guéraiche, la « rapidité de l’américanisation [des Philippines] surprend, comme si la colonisation espagnole n’avait été qu’une parenthèse »5.
Alors, imputable à son passé, la culture actuelle des Philippines est, depuis son indépendance en 1946, une construction unique d’influences américaines, espagnoles et autochtones6. C’est donc dans ce contexte culturel que le bilinguisme philippin est né. Considérant l’importance de l’anglais et de la perpétuation de leur culture, les Philippines ont enchâssé une politique d’éducation bilingue dans la Constitution en 1987, plus précisément dans l’article XIV (section 6 et 7) : « aux fins de communication et d’instruction, les langues officielles des Philippines sont le pilipino et, sauf disposition contraire de la loi, l’anglais »7.
Les objectifs de cette politique étaient doubles. D’une part, puisque l’archipel abrite plus de 200 dialectes8, l’idée d’une uniformité linguistique par l’utilisation du pilipino susciterait une intégration sociale et culturelle au sein de la population. D’autre part, cette politique envisageait une éducation uniforme et égalitaire. En effet, l’institutionnalisation de l’anglais visait l’optimisation des communications internationales, des sciences et des technologies9. Aussitôt instaurée, la politique d’éducation bilingue a soulevé des controverses dans l’opinion publique.
D’emblée, cette mesure a provoqué quelques embarras. D’abord, près du deux tiers de la population ne considèrent pas le pilipino ou l’anglais comme étant leur langue maternelle10. Dès lors, tous les autres dialectes deviennent de seconds plans, créant discordes et tensions. Effectivement, la primauté des langues officielles s’impose dans l’entièreté des écoles, des universités et dans toutes les formes de la vie publique. Ensuite, considérant que chacune des 200 langues possède des chansons et poésies qui leur étaient propres, comment fusionner l’hétérogénéité des dialectes et des cultures afin de créer une littérature nationale11 ? Certes, ne partageant pas le même art d’expression, une grande partie des littéraires philippins ne s’identifie pas à la littérature exigée par cette mesure. Finalement, cette loi a décuplé l’isolation des peuples autochtones. Déjà isolés par les Espagnols et Américains, la culture des aborigènes philippins se marginalise davantage et ces groupes, dont les Négritos, subissent différentes discriminations raciales*.
Néanmoins, cette politique a soulevé maints avantages pour l’avancement du pays. Au premier chef, afin de conserver leur langue maternelle, la plupart des Philippins sont trilingues (pilipino, anglais et langue maternelle), pouvant donc bénéficier aux atouts de chacune des langues. Premièrement, l’anglais permet au trilingue philippin d’approfondir sa connaissance dans le domaine scientifique et académique. Puis, le pilipino forge une cohésion sociale et facilite la compréhension de la richesse culturelle de chacune des communautés. Enfin, la langue maternelle protège l’authenticité des diverses collectivités des Philippines. En somme, le bilinguisme enrichit les Philippines en rendant sa population plus adaptée au monde moderne12.
À l’international, le bilinguisme des Philippines bonifie la communication hors frontières. En présentant une identité forte et une aisance avec l’anglais, les interactions entre les états augmentent, favorisant le commerce mondial13. Par ailleurs, leur croissance économique est constante, restant dans les 6%14. Il va s’en dire que le bilinguisme constitue un des fruits de cette croissance économique.
En définitive, malgré les récusations américaines, il est difficile de nier l’existence du colonialisme américain sur l’archipel sud-est asiatique. De 1898 à 1946, les États-Unis n’ont pas juste occupé le territoire, ils ont diffusé « la croyance en l’exceptionnalisme américain »15. C’est pourquoi la culture anglophone s’est internationalisée et s’est inculquée dans plusieurs nations, dont les Philippines qui ont même instauré le bilinguisme au sein de leur Constitution. Toutefois, depuis quelques années, l’hégémonie américaine semble se ternir, favorisant l’émergence de la République Populaire de Chine. Considérant cette montée en puissance, est-il possible de croire en un multilinguisme mondial incluant le mandarin et l’anglais ?
1 Pierre Guerlain, p. 6.
2 CIA, en ligne.
3 William Guéraiche, p. 104.
4 Pierre Guerlain, p. 7.
5 William Guéraiche, p. 57.
6 Jerzy J. Smolicz et Illuminado Nical, p. 510.
7 Official Gazette, en ligne.
8 Jerzy J. Smolicz et Illuminado Nical, p. 512.
9 Emy Pascasio, p. 372.
10 Jerzy J. Smolicz et Illuminado Nical, p. 507.
11 Jerzy J. Smolicz et Illuminado Nical, p. 513.
12 Emy Pascasio, p. 370-374.
13 George Gayet, p. 212.
14 CIA, en ligne.
15 Max Paul Friedman, p. 26.
Bibliographie
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Guerlain, Pierre. (2007). Le retour du discours impérialiste aux États-Unis. Revue française d’études américaines, 113,(3), 5-25. doi:10.3917/rfea.113.0005.
Klen, Michel. 2002. « L’exception philippine ». Études 2002/6 : 739-750.
Pascasio, Emy. 1975. The role of the filipino bilingual in the modern world. Philippine Studies, 23(3), 370-374. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/42632277
Smolicz, Jerzy et Nical, Illuminado. 1997. Exporting the European Idea of a National Language: Some Educational Implications of the Use of English and Indigenous Languages in the Philippines. International Review of Education / Internationale Zeitschrift Für Erziehungswissenschaft / Revue Internationale De L’Education, 43(5/6), 507-526. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/3445063
The Constitution of the Republic of the Philippines. En ligne. http://www.officialgazette.gov.ph/constitutions/1987-constitution/ (page consultée le 29 mai 2018)
Hyperliens
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/rp.html
http://www.officialgazette.gov.ph/constitutions/1987-constitution/
https://www.youtube.com/watch?v=guDU0orhhdE
Différentes discriminations raciales* : cet hyperlien sera mon premier billet de blogue.
Photographie
Cours 11- Impérialisme américain – Histoire des Amériques. En ligne. https://histoiredesameriquesddd7650.weebly.com/cours-11—impeacuterialisme- ameacutericain.html (page consultée le 29 mai 2018)
Géopolitiques profondes. Histoire de l’impérialisme économique américain. 2015. En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=yniVWtrROdU. (page consultée le 29 mai 2018)