Par Michaël Désormeaux
Après plusieurs années à détourner le regard de l’Asie Pacifique, le temps d’un réengagement du Canada dans cette partie du monde semble revenir au centre de la politique étrangère du pays qui tente de se positionner de façon plus crédible comme une nation pacifique, notamment en Asie du Sud-est[1]. Toutefois, si le Canada souhaite occuper une place de choix en Asie du Sud-est, il demeure essentiel de s’approprier toutes les connaissances concernant la diversité des régimes politiques et des caractéristiques propres à chaque nation dans la région.
Ce texte aborde dans un premier temps les caractéristiques du régime politique thaïlandais ainsi que le niveau d’institutionnalisation des partis politiques dans le but de démontrer qu’un lien existe entre les caractéristiques politiques internes et la qualité des relations internationales entretenues avec des pays tels que le Canada.
Le système politique thaïlandais et le principe d’institutionnalisation du système de partis politiques : un frein diplomatique?
Dans un premier temps, il faut savoir que le système politique thaïlandais se caractérise par une monarchie constitutionnelle ou en d’autres termes un régime parlementaire. Toutefois, l’absence du mot gouvernement dans la constitution mène à s’interroger sur l’existence d’une séparation des pouvoirs qui en réalité est exercé par le roi et fait en sorte que malgré les apparences institutionnelles, la séparation des pouvoirs est étrangère à la culture thaïlandaise[2]. De plus, il faut savoir que lorsque la junte militaire ne paralyse pas l’activité politique comme elle le fait depuis 2014, le niveau d’institutionnalisation des partis politiques en Thaïlande est très faible.
Le concept d’institutionnalisation réfère au processus à travers lequel les organisations politiques acquièrent de la stabilité, de l’adaptabilité, de la cohérence, de la complexité et de l’autonomie[3]. La Thaïlande est connue pour son faible niveau d’institutionnalisation des partis politiques pour quatre raisons. La dominance du fonctionnalisme soit la division au sein d’un parti, l’absence d’idéologie, le faible enracinement dans la société et les structures organisationnelles faibles, éléments qui traduisent tous le haut niveau de volatilité électorale du pays[4].
Quoi qu’il en soit, malgré le peu de progrès accompli depuis les années 2000 avec le développement de l’agenda social du parti TRT mené par Thaksin Shiwanatra, la large base d’engagement citoyen autour de cet agenda, et la discipline interne du parti[5], les interventions militaires depuis 2006 ont su, à l’aide de l’interdiction des partis politiques, faire la promotion du clientélisme et du patronage dans le système politique du pays[6]. Le régime politique thaïlandais et les traditions politiques du pays sont-ils donc des facteurs de considération pour l’engagement du Canada dans la région? Il semble que oui.
La réponse de la communauté internationale au coup d’État de 2014 a été cruciale alors que certains pays ont imposé des sanctions «douces» sur le régime, sanctions auxquelles la junte militaire a répondu avec grande anxiété[7]. Ce revirement avait d’ailleurs provoqué un refroidissement des relations États-Unis-Thaïlande ainsi qu’un rapprochement entre Bangkok et Beijing[8].
La politique domestique et les relations internationales : Le Canada et le particularisme thaïlandais
Selon Martel, l’Asie du Sud-est a beaucoup à offrir au Canada en termes d’opportunités d’investissements pour ne pas nommer les autres. Toutefois, le Canada se doit d’avoir une approche pragmatique et compréhensive allant plus loin que les intérêts personnels, l’opportunisme et donc qu’une vision étroite de la région, y compris de la Thaïlande[9], d’autant plus que le National Opinion Poll: Canadian Views on Asia 2016, représentant les perceptions des Canadiens sur le potentiel de partenariats économiques avec des pays asiatiques, plaçait la Thaïlande en dernière position avec 15% sur un échantillon de six pays[10].
La réalité demeure que les structures institutionnelles fondamentales en lien avec les politiques et la représentation des pays demeurent fortement contestées en Asie du Sud-est et nourrissent l’instabilité et affectent la coopération internationale, rendant ainsi la construction de l’État et les capacités institutionnelles des conditions pour la performance des États, la création de politiques et la coopération internationale[11].
En ce sens, si le Canada est sérieux envers son engagement à long terme avec la Thaïlande, il devrait démontrer qu’il accorde priorité à la gouvernance et à la restitution de l’État de droit, présentement dominé par le par les militaires, plutôt qu’à la sécurité commerciale et les relations économiques, attitude que certains appellent la mentalité du «Trade first»[12]. C’est donc en ce sens qu’il faut souligner que l’établissement d’un ordre politico-légal rationnel accordant l’autonomie à la branche juridique nationale et de bonnes capacités institutionnelles ne sont pas seulement primordiaux pour mettre de l’avant une mise en place cohérente et efficace des politiques internes, mais est également nécessaires pour les pays comme la Thaïlande qui veulent entretenir leur crédibilité et efficacité dans la coopération internationale avec des pays comme le Canada[13] .
[1] Martel 2018, 9.
[2] Crouzatier 2012, 185.
[3] Hicken et Martinez Kuhonta 2015, 4.
[4] Idem 2015, 284.
[5] Idem 2015, 301.
[6] Truong 2018, 84.
[7] Chachavalpongpun 2014, 170.
[8] Pongsudhirak 2016, 71
[9] Martel 2018, 11.
[10] Truong 2018, 79.
[11] Idem 2018, 80.
[12] Idem 2018, 84.
[13] Idem 2018, 85.
Bibliographie
Chachavalpongpun, Pavin. 2014. «The politics of international sanctions: the 2014 coup in Thailand. (Regional Case Studies).» Journal of International Affairs 68: 169.
Crouzatier, Jean-Marie. 2012. Transitions politiques en Asie du Sud-Est : le système constitutionnel et politique de la Thaïlande. Toulouse: Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse.
Hicken, Allen, Martinez Kuhonta, Erik. 2015. «Introduction: Rethinking Party System Institutionalization in Asia » Dans A. Hicken et E. M. Kuhonta, dir. Party system institutionalization in Asia : democracies, autocracies, and the shadows of the past. New-York.
Martel, Stéphanie 2018. « Southeast Asia an Evolving Global Landscape: What Role for Canada?» DansSoutheast Asia in an Evolving Global Landscape: Prospects for an Integrated Region and Implications for Canada. Vancouver et Ottawa: University of British Columbia and ASEAN-CANADA, 9-13.
Martinez Kuhonta, Erik. 2015. « Thailand’s feckless Parties and Party System » Dans A. Hicken et E. M. Kuhonta, dir. Party system institutionalization in Asia : democracies, autocracies, and the shadows of the past. New-York.
Pongsudhirak, Thitinan. 2016. «An Unaligned Alliance: Thailand-U.S. Relations in the Early 21st Century.» ASPP Asian Politics & Policy 8 (1): 63-74.
Truong, Nhu 2018. «Institutional Dilemmas in Southeast Asia: Flexibility, Credibility, Stability and the State.» DansSoutheast Asia in an Evolving Global Landscape: Prospects for an Integrated Region and Implications for Canada. Vancouver et Ottawa: University of British Columbia and ASEAN-CANADA, 79-85.