Le crime organisé en Asie du Sud-est : la Thaïlande au cœur d’une dynamique de menaces de sécurité non traditionnelles

Par Michaël Désormeaux

Depuis la fin de la guerre froide, le trafic illicite, de nature régionale avant 1989, s’est globalisé, diversifié et complexifié à une multitude d’activités associées au développement de zones grises dans le monde[1]. La Thaïlande se trouvant au cœur de l’Asie du Sud-est n’est pas épargnée par cette dynamique engendrée par ce que l’on nomme les menaces de sécurité non traditionnelles qui impliquent le trafic de personnes, de drogue et de services « noirs » souvent opéré par le crime organisé. En ce sens, le crime organisé en Asie du Sud-est est un phénomène de taille qui pousse la Thaïlande à réfléchir à la manière elle doit s’engager sur le plan des relations internationales à lutter contre le phénomène.

Le crime organisé transnational en Asie du Sud-est

Il faut savoir que le crime organisé transnational dans la région Sud-Est asiatique implique la marchandisation de nombreux « produits » illicites incluant le trafic de personnes, de drogues, d’armes, de ressources environnementales, de falsification de documents officiels, de produits contrefaits contrevenant au droit et à la propriété intellectuelle ainsi que les activités de piraterie[2].

Les groupes d’intérêts principaux liés au crime organisé dans la région se répartissent en trois catégories. Les sociétés noires chinoises ou triades, les Yakuza japonais ainsi que les groupes ethniques de type militaire contrôlant la production d’opium dans la région du Triangle d’or, carrefour à la jonction de la Thaïlande, du Myanmar, du Laos et de la Chine[3].

Selon la Police thaïlandaise, la majorité de la drogue de la région est produite au Myanmar et contrôlée par l’armée d’État Wa[4]. Certaines routes qui parcourent cette zone sont d’ailleurs suspectées d’être un lieu départ pour l’exportation de drogues vers les États-Unis en provenance de Chine[5]. Dans le cas thaïlandais, des pilules nommées Ya yakan étaient devenues la priorité du premier ministre Shiwanatra en 2003 lors de sa populaire guerre contre la drogue qui avait mené à la mort de 2500 personnes. Ces pilules étaient initialement consommées par des camionneurs, pêcheurs et travailleurs de la construction qui travaillent de longues heures pour les aider à augmenter leur résistance qu’on attribuait sous l’effet de la drogue à celle d’un cheval[6].

La croissance rapide des économies de la Thaïlande et de la Chine ont diversifié l’offre et transformé les demandes du marché[7], rendant fluide la traite de personnes qui implique un grand nombre de femmes généralement chinoises, birmanes, cambodgiennes, laotiennes et vietnamiennes qui sont vendues à des fins de prostitution en Thaïlande, au Cambodge et au Japon où l’industrie du sexe y est florissante[8].

Finalement, bien que le lien entre le crime organisé et le terrorisme soit limité dans la région, il n’est pas inexistant puisque le réseau criminel offre un chemin vers l’acquisition d’armes et de fausses identités permettant aux réseaux terroristes de se consolider[9].

La Thaïlande vers une collaboration régionale et internationale ?

La lutte contre le crime organisé transnational est complexe dans le contexte de frontières poreuses qui dessinent l’Asie du Sud-est. Certains États au risque d’être critiqués par la communauté internationale gèrent le problème dans une violence inouïe. La Thaïlande avait d’ailleurs choqué le monde en 2003 avec sa violente guerre contre la drogue menée par Thaksin Shiwanatra qui s’était soldée à 2500 morts[10].

Rencontre du Forum Régional de l’ASEAN sur les menaces non-traditionnelles en 2015

Néanmoins, des collaborations semblent en marche. Il faut toutefois savoir que bien que la Thaïlande ait su se faire amie avec les grandes puissances ainsi que ses voisins de l’ASEAN, cette dernière n’aspire pas à être un leader dans la région et n’occupe que de temps à autre, lors de moments opportuns, le rôle d’initiateur de changement[11]. La Thaïlande continue toutefois de valoriser son alliance bilatérale avec les États-Unis comme réponse appropriée aux menaces de sécurité non traditionnelles liées au crime organisé, notamment à travers le Régional Development Mission for Asia depuis 2003 et d’autres coopérations pour le partage d’expertise en lien avec la lutte menée contre les narcotiques[12].

Dans un contexte de mondialisation, les États-Unis ont d’ailleurs avantage à s’impliquer dans la lutte contre le crime organisé en Asie du Sud-est puisque tel que mentionné précédemment, une partie de la drogue dans la région vise le marché américain via la Chine et l’Europe. Les autres piliers de la sécurité thaïlandaise consistent en l’alliance bilatérale du pays avec la Chine ainsi qu’en ses alliances multilatérales avec les autres membres de l’ASEAN.

Ainsi, la Thaïlande maintient ses liens avec les grandes puissances et conserve l’alternative de l’ASEAN et de son multilatéralisme sécuritaire à travers l’ARF et l’ADMM[13]. En 2004, l’ASEAN était d’ailleurs entrée en collaboration directe avec la Chine pour contrer le trafic de drogue et de personnes dans la région alors que l’ASEAN a depuis 1997 mis sur pieds l’AMMTC, une rencontre ministérielle ayant lieu tous les deux ans pour lutter contre le crime organisé et impliquant l’ASEANAPOL, la version Sud-est asiatique d’Interpol[14].

Néanmoins, l’intérêt de chaque pays à lutter ou non contre ses menaces demeure complexe et mine parfois la pertinence du multilatéralisme sécuritaire en place. D’ailleurs, en mai 2015, la junte avait démantelé un réseau de généraux thaïlandais impliqués dans un réseau de trafic de personnes, soutenant l’idée que la cohérence des politiques domestiques de la Thaïlande avec celles mises en place par les forums de sécurité régionaux se doit d’être maintenue.

 

[1] Boulanger, p. 32.

[2] Broadhurst et Vy kim, p.  224.)

[3] Idem, p. 225.

[4] Idem, p. 230.

[5] Idem, p. 229.

[6] Idem, p. 229.

[7] Idem, p. 229.

[8] Martel, p. 135.

[9] Broadhurst et Vy kim, p. 232.

[10] Martel, p. 134.

[11] Chinwanno, p. 74.

[12] Idem, p. 80.

[13] Idem, p. 83.

[14] Broadhurst et Vy kim, p. 232.

Bibliographie

Boulanger, Philippe. 2015. Géographie militaire et géostratégie : enjeux et crises du monde      contemporain. Paris : A. Colin.

Broadhurst, Roderic et Vy kim Le. 2015. « Transnational organised crime in East and Southeast Asia. » Dans A. T. H. Tan, dir. East and South-East Asia : international relations and security perspectives. New-York : Taylor and Francis group

Chinwanno, Chulacheeb 2015. «Bilateralism, multilateralism and Asia-Pacific security : contending cooperation.» Dans W. T. Tow et B. Taylor, dir. Routledge security in Asia Pacific series. London et New York Routledge.

 Martel, Stéphanie 2018. « Southeast Asia an Evolving Global Landscape: What Role for Canada? » DansSoutheast Asia in an Evolving Global Landscape: Prospects for an Integrated Region and Implications for Canada. Vancouver et Ottawa : University of British Columbia and ASEAN-CANADA.

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