Par Amélie Gauthier
« Bientôt, je pus distinguer autour des buchers une horde de petits noirs complètement nus, difformes, aux membres grêles et disproportionnés, à la tête énorme », voilà comment le journaliste français Edmund Planchut perçoit le peuple des Negritos1. Couvert de préjugés, ce discours a traversé les siècles et fait encore écho actuellement, occasionnant discriminations, tensions et injustices sociales. Pendant un court instant, arrêtons-nous aux Philippines et découvrons ensemble la richesse culturelle de ce groupe indigène ainsi que leur histoire et les discriminations raciales qu’apportent les Philippins et son gouvernement.
D’abord, ayant plusieurs appellations (dont Aetas), ce peuple autochtone fait partie d’une des 110 ethnies que compose l’archipel des Philippines2. Habitant principalement dans les forêts tropicales, ce groupe nomade est qualifié de « chasseurs-cueilleurs », c’est-à-dire que leur mode de vie est orienté vers la chasse, la pêche et la cueillette traditionnelles. Plusieurs rites témoignent de leur richesse culturelle, dont leur langue composée d’un amalgame unique3 ainsi que leurs danses traditionnelles. Toutefois, c’est l’animisme qui anime leurs conduites respectueuses envers la nature, les animaux et toutes les autres communautés qui fructifie davantage leur beauté culturelle4.
Par contre, cette perception optimiste ne semble pas unanime puisque les Negritos sont victimes de racisme et ce, depuis l’arrivée des Espagnols au 16ème siècle. En effet, la population des Philippines évangélisée reconnait avoir une faible estime sur les Aetas, amenant une série d’actions discriminatoires, allant de l’écriture de chansons racistes5 à des persécutions violentes. Une des formes les plus récurrentes au courant de l’histoire des Negritos (et de la plupart des peuples autochtones) est le racisme environnemental, alias le fait que certaines populations sont plus susceptibles d’être soumises à la pollution, aux détériorations écologiques et aux catastrophes naturelles6. Par exemple, la compagnie canadienne « TVI Pacific Inc. » a implanté en 1999 son industrie d’exploitation minière sur la montagne de Canatuan sans le moindre consentement des locaux6. De plus, la déforestation qui a fait chuté drastiquement la proportion de forêts aux Philippines (de 80% à 9% entre 1939 et 1990) nuit à la survie des Aetas qui perdent leurs moyens de subvenir à leurs besoins fondamentaux (manger, dormir, s’habiller, etc.). C’est donc au nom du racisme des Philippines que les Negritos subissent une violation de leurs droits humains. Malheureusement, cette violation prend plusieurs formes : meurtres, kidnappings, massacres dans les réserves (dont deux marquants en 1940 et 1985), profilage racial, mauvais traitements dans les prisons et empoisonnements dans les réserves8.
Les conséquences de ces persécutions sont saisissantes : un fort taux d’homicide, de mortalité infantile, d’accidents pendant l’accouchement et de décès prématurés due à des maladies provenant de la malnutrition, la malaria, les parasites intestinaux, les conditions de vie miséreuses et la pollution. Au final, il est estimé qu’entre 1936 et 1994, 46% des Negritos perdent la vie9. En 2013, il ne reste que 30 000 Aetas… c’est pourquoi les sociétés civiles et la communauté internationale, dont les Nations Unies, exigent au gouvernement philippin d’agir10.
Les réponses gouvernementales sont multiples. Des réserves sont dédiées aux Negritos en 1939, la société civile prend de l’ampleur et la Loi sur les droits des peuples indigènes a été instaurée en 1997. Cette loi vise principalement la protection des domaines ancestraux, des cultures, de la dignité, de l’autonomie aux autochtones philippins tout en assurant un accès au développement et à la justice sociale. L’efficacité de cette loi pose une ambigüité. D’une part, les chiffres montrent une avancée considérable puisque ceux-ci avancent que la Loi a offert plus de 6 millions d’hectares aux divers peuples indigènes afin de subvenir à leurs besoins physiologiques et spirituels11. D’autre part, plusieurs problématiques substantielles sont encore d’actualité, fragilisant davantage les Negritos et tous les autres groupes indigènes. Aux premiers abords, habitant dans des villages ou réserves loin des milieux urbanisés, ces communautés sont confrontées à manque d’accès aux services, particulièrement en matière de santé et d’éducation. Par exemple, un enfant aeta peut aller à l’école, au maximum, trois fois par semaine. D’ailleurs, plusieurs locaux affirment que le gouvernement s’intéresse uniquement à leur communauté lorsque leurs terres peuvent être exploitées ou quand les politiciens sont en élection. Ensuite, les commerçants negritos sont convaincus que les prix de leurs produits sont moindres que les autres produits (étrangers ou non). Finalement, selon le rapport des « Philippines Human Development » en 2005, les régions où les autochtones philippins (dont les Negritos) sont les moins aisées du pays12.
Afin de répondre aux précédentes problématiques, une diversité d’organisations luttant pour les droits de l’homme, des droits territoriaux et contre la pauvreté a été créée. Plusieurs d’entre-elles sont religieuses et leurs combats sont divers, dont la « Conférence œcuménique nationale des peuples ruraux » qui vise a lutter pour les droits des terres des plus démunis. Alors, cette variété d’institutions permet de mobiliser la population et d’aider adéquatement le peuple des Negritos. C’est pourquoi une augmentation du financement gouvernemental pour ces organisations semble incontestable.
Somme toute, malgré la beauté culturelle du peuple des Negritos, le passé montre que ce peuple regorge d’inégalités sociales, de persécutions et de discriminations. Le présent, quant à lui, malgré les avancées sociales, dénote une présence de problématiques sociales nuisant à leur survie. Heureusement, le futur n’est pas écrit, la situation peut changer, les espoirs semblent toujours présents. Considérant la présidence de Duterte, ces espoirs frôlent-ils une candeur ou une réalité ?
1 Domy Testel, en ligne.
2 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».
3 Comptes-Rendus, p. 163.
4 A. Reid Lawrence, p. 329.
5 Lilia Arbues, p. 39.
6 Thomas Headlands et Janet Headland, p. 82.
7 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».
8 Thomas Headlands et Janet Headland, p. 82-84.
9 Thomas Headlands et Janet Headland, p. 82-84.
10 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».
11 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».
12 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».
13 Thomas Headlands et Janet Headland, p. 84.
Bibliographie
(2011). Comptes rendus. L’Homme, 197,(1), 163-226. https://www.cairn.info/revue-l-homme- 2011-1-page-163.htm.
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Fajordo, R. R. (2007, décembre 5). Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays. Courrier international. squatters-dans-leur-propre-pays. (s. d.). Consulté à l’adresse https://www.courrierinternational.com/article/2007/12/06/squatters-dans-leur-propre-pays
Headland, T., et Headland, J. (1997). Limitation of Human Rights, Land Exclusion, and Tribal Extinction: The Agta Negritos of the Philippines. Human Organization, 56(1), 79-90. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/44126606
Lawrence A. Reid. (2013). Who Are the Philippine Negritos? Evidence from Language. Human Biology, 85(1-3), 329-358. doi:10.13110/humanbiology.85.1-3.0329
Testel, Domy. (2017, 27 juillet). Aeta, peuple indigène des Philippines ! [Expat aux Philippines]. Repéré à https://expatauxphilippines.blogspot.ca/2017/07/aeta-peuple-indigene-des- philippines.html
Photographie
Karakuyan, H. (2017, 12 avril). Dans Philstar. Repéré le 23 mai 2018 à https://www.philstar.com/banat/opinyon/2017/04/12/1686022/mga-sekreto-aron- molampos-2
Negritos, Philippines.jpg. (2011). Dans Wikimédia Commons. Repéré le 23 mai 2018 à https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Negritos,_Philippines.jpg