de Rose Clermont-Petit
Le 13 octobre dernier (2016), le Roi thaïlandais Bhumibol Adulyadej, aussi connu sous le nom de Rama IX, est décédé à l’âge de 88 ans après 70 ans de règne (Boisseau du Rocher 2016). Après sa mort, un deuil national a été annoncé pour la durée d’un an : des bars ont été fermés et des événements ont été annulés (Campbell 2016).
Pour être allée en Thaïlande, je peux vous assurer que les portraits du roi sont partout. On peut, en effet, en voir affichés partout dans la ville : non seulement dans les temples, mais aussi dans les rues, les magasins et même dans les maisons des gens. Que ce soit à l’école, dans les médias ou encore dans tous les événements, on véhicule le message comme quoi le roi est infaillible (Campbell 2016). Le roi est partout. Pourtant, la monarchie absolue a été abolie en 1932 et le roi n’a plus qu’un pouvoir symbolique, le Premier ministre étant celui qui possède le pouvoir politique (Universalis 2016). Pourquoi, alors, le roi, et plus particulièrement ce roi, est-il aussi important en Thaïlande ? Pour répondre à cette question, nous regarderons d’abord la place de la monarchie en Thaïlande. Puis, nous discuterons de son lien avec le bouddhisme. Pour terminer, nous aborderons le contexte de la prise de pouvoir du roi.
Tout d’abord, il est important de comprendre que la monarchie a un caractère historique en Thaïlande. Elle a toujours existé et elle est ancrée dans la culture thaïlandaise. D’ailleurs, le motto de la nation thaïlandaise a toujours été nation-religion monarchie (Thananithichot 2011, 260). Dans les années 1970, on a ajouté le quatrième élément démocratie, mais tout en spécifiant que le roi demeure « the head of state » (Thananithichot 2011, 260). De plus, l’identité thaïlandaise s’est construite sur l’obéissance à l’ordre : « les gens n’apprennent pas à écouter, mais à obéir ; ils n’apprennent pas à argumenter, mais à suivre » (Rojanaphruk 2005, 291). Ce n’est donc pas dans la culture thaïlandaise de remettre en question le pouvoir et les politiques. Le roi détient le pouvoir suprême et son nom est protégé de toute forme de critique par la constitution (Rojanaphruk 2005, 291). D’ailleurs, le crime de lèse-majesté, soit n’importe quelle atteinte à la famille royale, est un crime sévèrement puni en Thaïlande (Bargach 2015).
Le pouvoir du roi est donc un pouvoir suprême, dans le sens où il est au-dessus de tout, et c’est un pouvoir qui est soutenu par le bouddhisme, autre pilier de l’identité thaïlandaise (Jackson 1989). Effectivement, selon bouddhisme thaïlandais, le roi est le garant de la justice, médiateur du gouvernement et des politiques (Campbell 2016). Les Thaïlandais partagent la croyance selon laquelle le roi détient la légitimité d’être sur le trône puisqu’il a du mérite religieux et qu’il est vertueux (Jackson 1989, 12). Pour ce qui est de Rana IX, il y a aussi une explication dans la figure du roi lui-même. En effet, il semble qu’il était un monarque différent, charismatique et qu’il s’opposait même au crime de lèse-majesté (Campbell 2016) C’était un roi qui participait beaucoup à la vie thaïlandaise, notamment dans les cérémonies (Universalis 2016). Il a même utilisé ses fonds personnels pour financer des projets de développement et on le surnommait « Development King » (Thananithichot 2011, 259).
Mais la principale explication pour sa grande popularité va au-delà de sa personnalité; elle réside dans le contexte de sa prise de pouvoir et son règne. En effet, au moment de son accession sur le trône, on avait besoin d’un symbole d’unité pour le peuple thaïlandais. Le roi est arrivé au pouvoir dans un contexte de tensions et d’instabilités : « à cette époque, la société thaïlandaise était menacée par le communisme, la Guerre froide, mais aussi par des problèmes internes avec la minorité malaise-musulmane du Sud qui voulait se séparer du pays. En plus de cela, le pays était marqué par des inégalités économiques de plus en plus importantes » (Thananithichot 2011, 260]. Le roi est donc devenu le symbole d’unité dans un pays instable : « durant son règne, il y a eu 19 coups d’État, 22 Premiers ministres et 17 Constitutions » (Boisseau du Rocher 2016) au pays. Il était la seule chose qui ne changeait pas, de là le symbole d’unité. Et malgré ses pouvoirs limités, il est intervenu quelques fois pour ramener l’ordre dans son pays (par exemple, lors de la crise politique de 1992). On ne l’a d’ailleurs jamais accusé pour les difficultés de son pays, il était comme « un phare dans la tempête » (Uz Zaman 2016). Toute la nation a été organisée autour du roi (Thananithichot 2011, 260). D’ailleurs, la fête nationale thaïlandaise est maintenant le jour d’anniversaire de naissance de Rama IX. Cela témoigne de l’importance accordée au roi, mais aussi du lien qu’on fait ainsi entre la nation et le roi.
On a misé sur le roi pour faire oublier aux gens leur misère et l’instabilité grimpante et on peut dire que c’était un pari réussi. Par contre, maintenant que le roi est décédé, on peut se demander si c’était un pari risqué. En effet, le pays est encore dirigé par la junte militaire et les conflits interethniques et l’instabilité économique sont toujours présents. C’est le prince héritier Maha Vajiralongkorn qui est maintenant roi du pays. Par contre, on dit de lui qu’il est à l’opposé de son père : imprévisible, désintéressé et peu présent au pays (Thouvenot 2016). Comme la monarchie semble bien implantée dans l’identité thaïlandaise, elle devrait garder son prestige malgré ce nouveau roi. Mais on ne sait jamais, peut-être ce nouveau roi viendra remettre en question les acquis de la monarchie. C’est à voir!
Iconographie
(A) En ligne. https://www.dreamstime.com/editorial-stock-photo-portrait-thai-king-bhumibol-adulyadej-royalists-walk-past-large-attending-celebrations-s-th-birthday-image43214378 (page consultée le 21 mai 2017)
(B) Photo prise par Rose Clermont-Petit. 2014. Bangkok.
(C) En ligne. https://www.flickr.com/photos/13476480@N07/30189823222 (page consultée le 21 mai 2017)
Bibliographie
Bargach, Maati. 2015. « Thaïlande: la loi de lèse-majesté utilisée à tout-va ». Dans Radio France Internationale. En ligne. http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20151218-thailande-loi-lese-majeste-utilisee-roi-bhumibol-adulyadej (page consultée le 20 mai 2017)
Boisseau du Rocher, Sophie. 2016. « Le roi Bhumibol et la Thaïlande : mort d’un «demi-Dieu» au bilan en demi-teinte ». Dans Le Figaro. En ligne. http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/10/13/31002-20161013ARTFIG00322-le-roi-bhumibol-et-la-thailande-mort-d-un-demi-dieu-au-bilan-en-demi-teinte.php (page consultée le 20 mai 2017)
Campbell, Charlie. 2016. « Thailand Bids Farewell to Beloved King Bhumibol Adulyadej ». Dans Time. En ligne. http://time.com/4043989/thailand-king-dead-obituary-bhumibol-adulyadej/?xid=fbshare (page consultée le 20 mai 2017)
Jackson, Peter A. 1989. Buddhism, legitimation, and conflict: The political functions of urban Thai Buddhism (Social issues in Southeast Asia). Singapour: Institute of Southeast Asian Studies.
Rojanaphruk, Pravit. 2005. « Thailand: Hidden Dimensions of “Thainess” : Violence and Militarism in the Culture of Politics ». Dans Militarising State, Society and Culture in Asia, Asian Exchange 20 (no2) et 21 (no1) : 179-208.
Sendecki, Daniel. 2016. « A country mourns: Thailand’s king passes away ». Dans GAdventures. En ligne. https://www.gadventures.com/blog/death-king-thailands-esteemed-ruler-dead 88/?utm_source=facebook_shared&utm_campaign=country_mourns_thai_king&utm_medium=social&utm_content=newsfeed_post (page consultée le 20 mai 2017)
Suwannathat-Pian, Kobkua.2003. Kings, Country and Constitutions: Thailand’s Political Development, 1932-2000. London ; New York : RoutledgeCurzon Press.
Thananithichot, Stithorn. 2011. « Understanding Thai Nationalism and Ethnic Identity ». Journal of Asian and African Studies 46 (no 3): 250-263
Thouvenot, Delphine. 2016. « Le prince héritier proclamé roi de Thaïlande » Dans La Presse. En ligne. http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201612/01/01-5046926-le-prince-heritier-proclame-roi-de-thailande.php (page consultée le 20 mai 2017)
Universalis. 2016. « Bhumibol Adulyadej ou Rama IX (1927-2016) – roi de Thaïlande (1946-2016) ». Dans Encyclopædia Universalis. En ligne. http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/bhumibol-rama-ix/ (page consultée le 20 mai 2017)
Uz Zaman, Munir. 2016 . « Comment s’explique une telle dévotion pour le roi de Thaïlande ? » Dans AFP – France Soir. En ligne. http://www.francesoir.fr/politique-monde/comment-sexplique-une-telle-devotion-pour-le-roi-de-thailande (page consultée le 20 mai 2017)