Par Taïbou Diallo
Au Cambodge, la reconnaissance officielle d’un génocide des minorités vietnamiennes et chams par les khmers rouges demeure relativement récente. L’inclusion de ce chapitre au programme d’histoire cambodgienne en 2009 illustre que l’acceptation de cet héritage demeure en processus (Borshel-Dan 2017). Cela nous rappelle à quel point nos sociétés sont des éternelles constructions, que la légitimité des faits et mêmes des individus qui les composent sont d’abord soumis à une reconnaissance sociale. À travers le Monde, cette reconnaissance pour les minorités demeure précaire, le cas des minorités cambodgiennes n’est pas une exception. Pourquoi donc la marginalisation des minorités peut être envisagée essentiellement comme une construction sociale ?
Une stigmatisation institutionnalisée
La culture est le fruit de plusieurs interactions entre les individus. Le fait qu’ils en partage une en commun, illustre les similarités partagées entre eux. Dans le contexte d’un pays, la majorité domine naturellement les minorités. C’est à travers ce rapport, que la population Khmers exerce son influence culturelle historique. Par exemple, le fait de caractériser les populations chinoises et vietnamiennes de « résidents » alors qu’ils sont citoyens constitue une norme officielle (Procheasas 2005). Ces derniers ne peuvent intégrer le Parti révolutionnaire populaire. Dans la même logique, on attribue le terme de « minorités nationales » aux populations ethniques telles que les Cham, les Lao ou encore les Thai, qui peuvent intégrer n’importe quel parti et sont acceptées au gouvernement (Procheasas 2005). Ces distinctions pour parler des différentes fractions de la population ne sont pas anodines. Elles rentrent dans le processus de stigmatisation des minorités, indiquant qui peut ou pas participer aux activités de la société civile. Elles indiquent surtout une différence d’identité avec la majorité mais également entre les différentes ethnies. Ces distinctions sont d’autant plus symboliques qu’elles sont utilisées par les autorités politiques, le pouvoir politique (Procheasas 2005).
Contrairement aux Vietnamiens et aux Chinois, les minorités nationales sont inclues dans la vie politique cambodgienne. Cependant, cela n’indique pas qu’elles soient intégrées, au contraire, elles sont souvent marginalisées de la société. Les différences culturelles entre les ethnies cambodgiennes s’inscrivent dans les dimensions sociales et économique. Il existe indéniablement un lien, entre le fait de faire partie d’une minorité indigène et la probabilité d’être économiquement exclu de la société, surtout lorsque la minorité en question s’éloigne culturellement de la majorité. Une simple identité culturelle va souvent indiquer la catégorie socio-professionnelle d’une minorité. Par exemple, les Chams font de l’Islam la deuxième religion au Cambodge, mais la population cambodgienne est à 95% bouddhiste (Procheasas 2005). On constate que les Chams occupent avec récurrence les mêmes métiers traditionnels soient : pécheurs, travailleurs dans les abattoirs et ouvriers non qualifiés (Padwe 2013). Cette dimension traditionnelle peut-être expliquer par le manque d’accès à l’éducation qui vient les exclu davantage du développement économique, d’autant plus que la langue Cham n’est pas utilisée dans le système scolaire (Kiernan 1990 ; Padwe 2013).
Une stigmatisation socio-culturelle
Si les Chams disposent du statut de « minorités nationales », on ne peut oublier le génocide qui les a touchés sous le régime des khmers rouges de PolPot entre 1967 et 1975, aux côtés de la minorité vietnamienne (Kiernan 1990). Ce massacre ayant été justifié par la volonté de préserver la nation cambodgienne contre les ennemis du peuple. Des récents efforts pour leur intégration ont pourtant été constaté, notamment avec la désignation de Khmers Islam pour les caractériser, ou encore la récente reconnaissance du génocide au programme scolaire (De Féo 2005 ; Borshel-Dan 2017). Cependant de nombreux stéréotypes perdurent à leur encontre dans la population bouddhiste et alimente leur exclusion. Les mythes les plus insensés sur leurs pratiques chez les populations les moins éduquées sont nombreux. Ils ont par exemple la réputation d’être des sorciers, ou encore l’appel à la prière est assimilé à celui des chiens pour copuler, pratiques secrètes qu’occuperaient les musulmans dans les mosquées (De Féo 2005, 104). D’autre part, il semblerait que le communautarisme des Chams viendrait alimenter l’ignorance envers leur culture. Par exemple, contrairement à la majorité, les Chams n’envisagent pas l’économie à l’image de celle de la mondialisation, mais en fonction de leur religion (De Féo 2005). De même pour la minorité linguistique des Khmers Loeu, située dans les montagnes. L’étiquette de « montagnard, sauvage et primitif » persiste de nos jours (Kiernan 1990). Leur situation locale, leur différence de langage alimente leur stigmatisation en tant que peuple arriéré et par extension « inférieur ».
Le Cambodge réside dans une économie agraire, en tant que pays en voie de développement, il est soumis à des défis de développement (Procheasas 2005). Les minorités cambodgiennes, qu’elles soient linguistiques ou ethniques sont exclues et font donc face à des situations plus précaires que la majorité. Leur accès au biens publics tels que l’éducation, les soins de santé est limité. Ils existent évidemment d’autres facteurs que la dimension sociale pour expliquer leur marginalisation. Il apparait cependant que les facteurs sociaux tels que : la composition ethnique de la société, les différents rapports sociaux et entre les ethnies et l’agenda politique sont les éléments clés pour comprendre leur exclusion sociale.
Bibliographie
Borschel-Dan, Amanda.2017. « Les Cambodgiens affrontent leur génocide à travers l’étude de la Shoah ». The Times of Israel, 15 avril. En ligne. http://fr.timesofisrael.com/les-cambodgiens-affrontent-leur-genocide-a-travers-letude-de-la-shoah/ (page consultée le 1 juin)
Cambodge : population et société d’aujourd’hui. 2005. Procheasas. Paris : L’Harmattan
De Féo, Agnès. 2005. « Le royaume bouddhique face au renouveau islamique ». Les Cahiers de l’Orient n°78, deuxième trimestre
Guérin, Mathieu. 2003. Des montagnards aux minorités ethniques : quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge? Paris:L’Harmattan ; Bangkok, Thaïlande : Institut de recherche sur l’Asie du Sud Est contemporaine
Kiernan, Ben. 1990. « The Survival of Cambodia’s Ethnic Minorities ». Cultural Survival Quarterly, Jan 1, 1990, Vol.14(3), p.64
Padwe, Jonathan. 2013. « Highlands of history: Indigenous identity and its antecedents in Cambodia » . Asia Pacific Viewpoint, December Vol.54(3), pp.282-295