Philippines : La tentation de l’homme fort

Par Vivien Cottereau

Alors que Rodrigo Duterte s’apprête à faire son entrée au palais de Malacañan, résidence officielle du président des Philippines, les inquiétudes à son sujet s’amplifient. Seulement trois décennies après le renversement du dictateur Marcos par le « pouvoir du peuple », ses nombreux détracteurs envisagent son élection comme un retour en arrière, et mettent en garde contre le risque d’une nouvelle phase de dictature [1]. Lors des élections de 2016, durant lesquelles une grande partie de la classe politique a été renouvelée, les Philippins ont en effet été enthousiasmés par un candidat atypique, au discours provocateur, souvent vulgaire et peu orthodoxe. Si la campagne de Rodrigo Duterte, ancien maire de Davao, capitale de l’île de Mindanao, a autant séduit, c’est parce qu’elle s’organisait autour d’un discours sécuritaire, radical et populiste promettant d’éradiquer trois des fléaux de la société philippine, que sont la corruption, la drogue et la criminalité. Pourtant, la victoire de Duterte est préoccupante à bien des égards, car la vision qu’il a dévoilée pour sa présidence pourrait bloquer le pays à différents niveaux, et remettre en question l’existence même de l’État de droit.

Dans la lutte pour la présidence, Rodrigo Duterte a mis en avant son bilan en tant que maire à la tête de Davao. Il affirme y avoir éradiqué la criminalité, et fait de cette ville l’une des plus sûres des Philippines. Arrivé à la tête de la ville en 1988 suite à une campagne où il promettait de rétablir la loi et l’ordre, le taux de criminalité de Davao est effectivement devenu l’un des plus faibles des Philippines. Cependant, la sécurité a été payée au prix fort, car elle a nécessité la mise en place « d’escadrons de la mort », autorisés à tuer en toute impunité ceux qui étaient suspectés d’entretenir des activités criminelles. Ainsi, entre 1998 et 2014, ces escadrons auraient assassiné près de 1500 personnes [2]. Dans un rapport paru en 2009, [3] Human Rights Watch relève qu’au début des années 2000, Duterte annonçait personnellement sur les chaînes de télévision et ondes de radio locales le nom de ceux qui étaient suspectés de mener des activités criminelles, afin de diriger ses escadrons de la mort. Véritables appels à la haine, ces pratiques d’un autre âge, révoltantes et barbares, ont largement été dénoncées par les médias occidentaux pendant la campagne de Duterte. Malgré des contextes très différents, elles ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le rôle joué par la Radio Mille Collines dans le génocide rwandais de 1994, qui avait incité au massacre de la communauté tutsie [4].

Rodrigo Duterte, nouveau président des Philippines

             Rodrigo Duterte lors de sa campagne de 2016

La manière dont Duterte a géré le problème de la criminalité à Davao témoigne d’un manque évident de considération pour les droits humains. Sa volonté d’appliquer la même solution à l’échelle nationale est extrêmement préoccupante, d’autant plus qu’il a mis les activistes des droits humains au défi de l’en empêcher, ce qui prouve sa détermination. Au cours de sa campagne électorale, il est allé jusqu’à faire la promesse d’éliminer les criminels de ses propres mains s’il le fallait, et a également indiqué qu’il souhaitait rétablir la peine de mort, abolie en 2006 sous la présidence de Gloria Arroyo [5]. En outre, il a menacé de dissoudre le Parlement et de mettre les tribunaux au pas, dans le cas où ils s’opposeraient à ses plans radicaux prévus pour éradiquer la corruption et le crime en l’espace de six mois [6]. Lors d’une récente conférence de presse, il a également informé les journalistes « qu’ils n’étaient pas à l’abri des exécutions, surtout s’ils sont corrompus » [6]. Si toutes les menaces qu’il a proférées sont mises à exécution, cela marquera sans nul doute la fin de l’État de droit aux Philippines, ainsi qu’un fort recul des libertés individuelles.

Concernant la politique étrangère qu’il entend mettre en place, Duterte n’offre aucune certitude. Après avoir proposé de défendre lui-même la souveraineté philippine sur les îles de la Mer de Chine face aux ambitions de Pékin, il a menacé de rompre les liens avec les États-Unis, alliés historique des Philippines depuis la signature en 1951 d’un traité de défense mutuelle [7]. Cependant, il s’est également dit prêt à ouvrir un dialogue avec la Chine, afin de bénéficier d’investissements chinois pour développer les infrastructures philippines et de conclure un accord sur le partage des ressources en Mer de Chine. Que ce soit sur la plan national ou international, l’élection de Duterte au poste de président paraît donc annonciatrice de nombreux changements pour les Philippines, et ses opposants ne peuvent qu’espérer que son discours populiste et simpliste avait pour seul but de s’attirer le soutien massif des électeurs.

Bibliographie

[1] AFP. 2016. « Le Trump philippin Rodrigo Duterte remporte l’élection présidentielle », Le Temps, 10 mai

[2] Zylberman, Joris. 2016. « Philippines : Duterte, président paralysé ou dictateur éclairé ? », Asialyst,

[3] Human Rights Watch. 2009. « You Can Die Any Time, Death Squad Killings in Mindanao »

[4] Pourtier, Roland. 2003. « L’Afrique centrale dans la tourmente », Hérodote, n°111

[5] AFP. 2016. « Philippines : tout juste élu président, Duterte veut rétablir la peine de mort », Le Monde, 16 mai,

[6] Teehankee, Julio et Thompson, Mark. 2016. « Elections aux Philippines : un retour vers l’autoritarisme ? », Alterasia, 9 mai

[7] Gauquelin, Igor. 2016. « Mer de Chine : ce que Duterte veut faire avec Pékin », Asialyst 

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