Par Lisandra Moor
La politique linguistique à Singapour est loin de faire l’unanimité, mais elle permet de calmer les tensions entre les groupes ethniques. En comparaison, celle de la Malaisie est tenue pour responsable des tensions générées entre les différentes communautés, l’un de ses objectifs principaux étant d’assimiler tout groupe ethnique étranger aux traditions et à la lange malaises, active contributrice à la conservation et à la definition de l’identité du peuple indigène.
Dans la majorité des pays de l’Asie du Sud-Est, particulièrement les pays regroupant une grande variété de communautés ethniques, la langue n’est pas nécessairement une composante de l’identité nationale. Il existe cependant une exception à cette règle: la Malaisie, et plus particulièrement la communauté malaise, communauté qui se définit tout particulièrement par sa langue. Le malais joue un rôle primordial dans le nationalisme malais et influence les partis politiques, et ce au détriment des autres communautés ethniques.
Dans la présente constitution, la langue officielle du pays est le malais ; en plus de jouer un rôle important dans la construction de l’identité nationale, elle représente le concept de adat-istiadat (les pratiques culturelles malaises traditionnelles). L’ampleur du malais est tel qu’il marginalise tout autre langue dans sa politique linguistique. En effet, il n’est jamais mention du mandarin, qui est pourtant la langue de la deuxième communauté ethnique la plus importante dans le pays. À première vue, il s’agit d’une approche qui laisse croire que le pays se renferme sur lui-même. Contrairement à Singapour qui se caractérise par son multilinguisme, la Malaisie favorise au contraire l’unilinguisme. Le pays résiste beaucoup plus aux influences étrangères durant la période coloniale. En fait, leur politique linguistique est peut-être la plus ancienne de l’Asie du Sud-Est insulaire, datant de la colonisation britannique (entre 1874 et 1963), et joue un rôle important dans la modernisation du pays et la création d’un mythe national. Le malais prend lentement le statut de langue nationale à la fin des colonisations portugaise et hollandaise. Mais une politique linguistique sévère n’empêche pas du tout l’emploi d’autres langues (le mandarin, le tamoule et l’anglais), lors d’échanges commerciaux notamment, démontrant ainsi la place massive occupée par les autres communautés ethniques dans la région.
Il n’est pas incorrect de conclure que le malais contribue activement au développement du nationalisme, devenant conséquemment un instrument politique. Au IIIe congrès de la langue et de la littérature malaises de 1956, l’élite (constituée surtout de malaisiens) recommandait la création d’un organisme qui serait en charge du développement et de la propagation de la langue dans les communautés minoritaires. La mise en place d’un tel organisme avait sans doute comme objectif d’arrêter la propagation de l’anglais en obligeant l’usage du malais dans tous les domaines (tant dans les affaires qu’en lettres et en sciences). Les Malais constituent à eux seuls près de 53% de la population du pays, le reste regroupant plusieurs petites communautés, dont les communautés chinoise et indienne, les plus imposantes d’entre toutes. La mise en place d’une politique linguistique favorisant le malais permet donc de conserver cette majorité.
Il y a eu un autre congrès, le Congrès mondiale sur la langue malaise, cette fois-ci en 1995. Comme le nom le laisse entendre, le congrès porte sur le malais et sa position à l’international. Les discussions tenues lors de ces quatre jours semblent refléter un désir de faire du malais la linga franca. Dans le cas de Singapour, par exemple, cette langue est l’anglais, et ce malgré la majorité chinoise, actuellement autour de 74,3%. Dans le cas de la Malaisie, bien que la communauté malaise soit majoritaire, sa langue n’est certainement pas aussi imposante, laissant plus de place aux langues minoritaires.
Il est difficile de ne pas être étonné par les approches du Singapour et de la Malaisie quant à leur politique linguistique, totalement opposées l’une de l’autre. Alors que l’une embrasse le bilinguisme, et même le multilinguisme, comme un signe de modernité, l’autre voit plutôt la présence significative de communautés minoritaires comme une menace à la nation malaisienne.
Bibliographie
Ouvrages généraux:
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Bernard Spolsky (éditeur), 2012, The Cambridge Handbook of Language Policy, Cambridge, Cambridge University Press
Brian Weinstein (éditeur), 1990, Language Policy and Political Development, Norwood, Ablex Publishing Corporation
Ouvrages spécifique à la Malaisie:
Perret Daniel, « Le congrès mondial sur la langue malaise », (Kuala Lumpur, 21-25 août 1995), Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient. Tome 83, 1996. pp. 349-356. [En ligne] http://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1996_num_83_1_3800
John Platt, Heidi Weber, MIan Lian Ho, Singapore and Malaysia, 1983, Amsterdam, John Benjamins Publishing Company
Raillon François, « A propos du récent Congrès sur la Langue et les Lettres Malaises : quelques observations sur le nouveau nationalisme malais », Archipel, volume 31, 1986. pp. 61-71. [En ligne] http://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1986_num_31_1_2269