Par Perrine Legoube
Les Philippines multiplient les difficultés, que ce soit du fait de son territoire disparate, composé d’archipels de près de 7000 îles, ou de sa population métissée, constituée de malais, de chinois et d’autochtones. L’histoire même du territoire est complexe, passant d’une colonisation espagnole chrétienne, d’une tutelle néolibérale américaine, à une indépendance fragile, mais étonnamment durable. Le développement des Philippines n’est pas linéaire: depuis l’indépendance du pays, il ne cesse de fluctuer. Or, l’urbanisation d’un territoire est souvent un indicateur de son niveau de développement. C’est pourquoi, dans un premier temps, on étudiera le lien entre le niveau d’urbanisation des Philippines et le développement économique du pays, ainsi que les problèmes que cela produit. Puis, on se concentrera sur quelques solutions envisageables.
A l’heure actuelle, le niveau d’urbanisation des Philippines est l’un des plus élevés du Tiers-Monde. En mettant de côté les pays d’Asie orientale très industrialisés (Japon, Corée …), ainsi que les villes-États (Hong Kong, Singapour), il est même le plus élevé de toute l’Asie, bien supérieur à ses voisins de l’ASEAN. Mais c’était déjà le cas il y a trente ans. En terme de croissance, les Philippines sont particulièrement lentes, ce qui peut être expliqué par son développement en dents de scie.
Le développement des Philippines connut des débuts difficiles, n’étant qu’une annexe lointaine de l’Espagne. Économiquement, les Philippines étaient une colonie dont l’Espagne exploitait les ressources naturelles et fixait les prix, rendant la balance commerciale philippine déficitaire. Néanmoins, en diversifiant sa production, les Philippines se sortent peu à peu de cette situation, organisant son développement autour de deux grands ports: Manille et Cebu. Le développement de ces villes est le porteur de son développement économique. Avec l’occupation américaine, l’économie se libéralise et se concentre sur la capitale du pays. Même avec la crise de 1997, qui a fortement ralenti la croissance du pays, la capitale fait figure d’Eldorado, et attire la population rurale, population qui se paupérise et qui donne naissance à d’immenses bidonvilles. Avec l’accroissement naturel et l’exode rural grandissant, ce phénomène ne peut que s’aggraver. Les dix dernières années de la dictature Marcos ont créé une véritable faillite du pays, le pouvoir d’achat des moins qualifiés a presque diminué en moins de huit ans. Dès lors, l’urbanisation n’a plus été synonyme de développement économique mais aussi humain.
Pour pallier à ce phénomène, les Philippins se tournent vers la guérilla et le marché noir, quand ils n’ont pas choisi l’exil. Les régions rurales sont les plus touchées par ce phénomène. Les femmes partent généralement dans les pays d’Asie orientale (Taiwan, Hong Kong …) avec des visas temporaires, tandis que les hommes se tournent beaucoup plus vers les pays arabes du Golfe, travailler sur des chantiers, ce qui n’est pas sans poser de nombreux défis au nouveau gouvernement.
D’une part, l’agriculture philippine permet presque entièrement le ravitaillement de toute la population, et le démantèlement des monopoles sur le sucre et la banane devrait permettre un enrichissement réel pour les paysans, même si ce secteur ne pourra absorber toute la main d’œuvre supplémentaire. Le défi est de permettre la croissance de PME, qui permettent proportionnellement d’embaucher un maximum de main d’œuvre et laissent présager une meilleure rémunération. Le développement actuel peut être décrit comme « parasitaire »(Constantino-David, 2001), car il ne prend pas en compte l’environnement et l’humain. Dans l’environnement de Manille, la capacité d’absorption de l’environnement (la quantité de pollution qu’un environnement peut absorber sans effets néfastes à long terme) est depuis bien longtemps dépassé. La pollution de l’air, de l’eau, mais aussi la pollution sonore et la congestion du trafic, atteignent des records dans la capitale. L’accès aux services de santé et d’éducation sont plus mauvais dans Manille que dans les zones rurales.
Selon la chercheuse Karina Constantino-David, cinq acteurs sont responsables du développement. Et tous, aux Philippines, ont échoué. Au premier plan, l’État, qui aux Philippines se démarque depuis l’indépendance du pays par sa corruption et son désir de croissance économique à tout prix. Viennent ensuite le monde des affaires et l’Église, qui ont choisi de se dédouaner, et attendent une directive claire de la part du gouvernement. Puis les médias, qui exposèrent les abus de l’ancien gouvernement Marcos sans proposer aucune solution. Enfin, les agences internationales comme le FMI ou la BM, qui se contentèrent de petites avancées, comme la baisse des taux d’intérêt, sans s’impliquer pour le bien-être de la population.
La chercheuse indique ensuite que des actions sont aussi nécessaires que possibles:
- créer un indicateur efficace de strict minimum de qualité de vie, en association avec la société civile, pour avoir une idée claire du chemin à parcourir.
- apprendre des populations pauvres: amenuiser la dichotomie entre technocrates intellectuels formés à l’étranger et populations pauvres
- maximiser les initiatives innovantes: l’idée que les pays en développement attendent simplement l’aide du Nord, ou même celle de leur gouvernement est erronée. Les populations des Philippines regorgent d’initiatives, mais elles ont besoin d’être encouragées.
- rétablir le fonctionnement du marché: il ne s’agit pas ici d’être naïf et de croire que le marché demeure la panacée, mais plutôt de constater une réalité, qu’une trop grande pauvreté est simplement mauvaise pour les affaires.
- se concentrer sur les villes émergentes: pour éviter de continuer à créer des villes monstrueuses comme la région de Manille, et pour offrir une alternative aux populations souhaitant émigrer, il faut établir une balance avec d’autres centres urbains en développement.
L’urbanisation flambante et le développement inégal posent de nombreux problèmes environnementaux, qu’il s’agisse de la qualité de l’air, de l’accès à l’eau potable, et de la gestion des déchets. Cela mène à des inondations, à une pollution par le trafic routier, à des chutes de terrain, à la disparition de toute forme de faune dans les rivières et les mers. Les populations les plus pauvres n’ont pas accès aux services de santé, les conditions d’éducation sont mauvaises. L’urbanisation se fait sur le dos des populations pauvres et aux dépens de l’environnement.
Sources:
Karina Constantino-David« Unsustainable Development: The Philippine Experience (Développement non durable:
l’expérience des Philippines) »Development in Practice, Vol. 11, No. 2/3 (May, 2001), pp. 232-241
Jacques Denis « Urbanisation et développement en république des Philippines »Annales de Géographie
95e Année, No. 531 (Septembre-Octobre 1986), pp. 587-616