par Jacqueline Poncet
« Barberousse », le « Hollandais Volant », ou le « capitaine crochet » sont présents dans nos esprits comme des contes pour enfants ou des mythes hérités du passé. La piraterie n’est pourtant ni une fable, ni une histoire révolue. Elle est sans doute beaucoup moins romantique que ces histoires ou que le blockbuster « Pirates des caraïbes ». En Asie du sud-est, le problème de la piraterie est toujours d’actualité. Les mers d’Indonésie sont chaque jour sillonnées par des milliers de navires commerciaux, ce qui offre aux pirates un vaste choix de cibles. Ces derniers ont des profils variés, du pauvre pêcheur écrasé par la mondialisation, qui saisit une opportunité de sortir un peu de la misère, au bandit issu d’un réseau de crime organisé. L’Indonésie est particulièrement touchée par ce problème, mais ses voisins malais et singapouriens, ainsi que les compagnies propriétaires des navires qui transitent par la région sont tous concernés par l’insécurité.
La région de l’Asie du Sud-Est a une composition géographique propice aux actes de banditisme marin. L’Indonésie est un archipel composé de plus de 17 000 îles, dont 6000 sont inhabitées. Il existe des kilomètres de côtes isolées de tout, des villages de pêcheurs perdus dans la mangrove (les Kampungs), toutes ces particularités offrant des cachettes idéales pour les pirates. À côté de cela, les mers indonésiennes ont un trafic intense, le détroit de Malacca est traversé chaque jour par près de 70 000 navires (1). À travers ce flux intense de marchandises et de navires, il est aisé pour les pirates non seulement de déguiser leurs embarcations pour les fondre dans la masse, mais également de revendre leurs butins. Les marchandises ne sont d’ailleurs pas leur cible principale, ils sont particulièrement intéressés par le carburant des navires qui se revend très cher.
Il s’est avéré que la piraterie connaît un regain en Asie du Sud-Est depuis les années 1980. Cette période coïncide avec l’industrialisation et l’entrée sur le marché mondial des pays de la région. L’investissement militaire américain dans les pays voisins du Vietnam, après la guerre froide, engendre la circulation d’armes et le développement de bateaux toujours plus rapides. Autant d’opportunités qui facilitent la tâche des pirates. En parallèle la crise des boats-people offre aux pirates des cibles faciles.
On distingue deux principaux profils de pirates. Tout d’abord, il y a ceux qui agissent de façon isolée; leurs actions sont opportunistes. Ce sont des petits pêcheurs, des taxis-bateaux qui vivent généralement dans la pauvreté, et qui saisissent l’occasion de pourvoir un peu mieux aux besoins de leurs familles au détriment de la loi et de la morale. Le commerce des petits pêcheurs souffre beaucoup de la densité du trafic maritime et de la pêche illégale qui s’opère dans les eaux indonésiennes. À cela on peut ajouter les risques pris par les pêcheurs de nuit qui doivent circuler entre des tankers et des portes-containers.
Il y a aussi un type de piraterie qui s’inscrit dans une dimension plus grande de réseaux organisés. Leurs attaques sont plus ciblées, ils ont des accords avec des intermédiaires prêts à racheter soit le carburant qu’ils ont siphonné, voire les navires qu’ils se sont accaparés. Tous les trafics sont possibles; par exemple, durant la crise des boats-people, certaines personnes enlevées étaient revendues à des réseaux de prostitution et autre réseaux d’esclavage moderne.
Les pays les plus concernés par le problème de la piraterie sont l’Indonésie, la Malaisie et Singapour. Malgré les difficultés que ces pays rencontrent pour trouver des accords, ils mettent en place un système de patrouilles de sécurité en 2004, qu’ils nomment MALSINDO. Des patrouilles de sécurité maritime et aérienne des trois pays, surveillent de façon coordonnée le détroit de Malacca et ses alentours. Autrement, la surveillance reste limitée et les mobilisations internationales presque nulles. L’International Maritime Organization (IMO) et International Maritime Bureau Piracy Reporting Center (IMB PRC) ont mis en avant que les eaux de l’archipel indonésien étaient celles qui accueillent le plus d’attaques pirates, avant même la Somalie, malgré les mesures de sécurité plus ciblées et locales. En Somalie, les États-Unis et l’Europe s’étaient mobilisés, via les opérations Atalanta et la Task force 151. Le professeur Stefan Eklof, spécialiste de l’histoire de la piraterie à l’Université de Lund, avance l’argument que cette dernière demeure un problème mineur, dans la mesure où les opérations de surveillance pourraient avoir un coût supérieur à celui du dédommagement des attaques, ce qui expliquerait le manque d’intérêt pour l’investissement sécuritaire(2).
La piraterie dans les eaux de l’Asie du Sud-Est est une histoire qui remonte à plusieurs siècles. Pourtant, de la fin du XIX à la seconde moitié du XXe siècle, leurs activités diminuent, avant de trouver un regain dans les années 1980. Ainsi, l’explication de ce phénomène sur une simple base historico-culturelle demeure insuffisante. La justification du banditisme maritime par des arguments socio-économiques tels que la pauvreté, le développement à deux vitesses et les oubliés de la mondialisation me semblent plus juste.
(1)Fréon, Éric. 2009. La dimension terrestre des pirateries somaliennes et indonésiennes. Hérodote n 134. p80-106
(2)Eklof, Stefan. 2006. Pirates in paradise: A modern history of southeast Asia maritime marauders. Nordic Institute of Asian Studies. p184.
sources
Eklof, Stefan.2005. Piracy in Southeast Asia: Real Menace or Red Herring?. The Asia Pacific Journal.p6
Eklof, Stefan. 2006. Pirates in paradise: A modern history of southeast Asia maritime marauders. Nordic Institute of Asian Studies. p184.
Fréon, Éric. 2009. La dimension terrestre des pirateries somaliennes et indonésiennes. Hérodote n 134. p80-106
Kemp, Ted.2016. Crime on the high seas: The world’s most pirated waters. CNBC publication.
Von Hoessein, Karsten. 2016. The economics of piracy in south east asia.The Global Initiative against Tranational Organized Crime. p36