Par Jacqueline Poncet
L’Indonésie a la particularité d’accueillir la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. 120 millions d’hectares de forêt, dont 65 millions directement exploitables. Cette forêt apporte au pays une richesse en ressources naturelles unique. La forêt joue un rôle nourricier important pour les populations locales et fait partie des éléments dont dépendent l’économie nationale et la stabilité écologique. La gestion de l’agroforesterie est régulée par le gouvernement. Pourtant la déforestation industrielle est un phénomène que l’on observe depuis les années 1970. La rapide dégradation de l’environnement, conjuguée à l’usage traditionnel de la culture sur brûlis, engendre depuis les deux dernières décennies des incendies incontrôlables. La surexploitation de la forêt tropicale et de ses tourbières met non seulement en péril des richesses écologiques, mais menace également l’économie et le bien de la population.
En 1965, Suharto arrive au pouvoir et apparaît comme un dirigeant autoritaire. Dans son projet pour relancer l’économie indonésienne, il autorise l’exploitation de la forêt par des firmes privées. Ces dernières comprennent rapidement la richesse à laquelle Suharto leur ouvre l’accès. L’essor des filières d’exploitation et de transformation du bois est exponentielle. Entre 1967 et 1998, sur les 65 millions d’hectares de forêts accessibles à l’industrie, l’État cède 49 millions d’hectares aux firmes transnationales (FTN). Les exportations indonésiennes de produits dérivés de bois se retrouvent propulsées aux premiers rangs mondiaux. Les compagnies privées stimulent l’économie indonésienne. En réponse de quoi le gouvernement indonésien est peu regardant du respect de l’environnement. Il retire même le droits des populations sur l’exploitation «leurs forêts».
La décennie qui suit la libéralisation de l’exploitation de la forêt, l’Indonésie rejoint les rangs des tigres asiatiques. Elle fait partie des nouveaux pays exportateurs. Ils ont su exploiter leurs ressources pour se placer au cœur de la mondialisation. Riche en ressources naturelles, en main d’œuvre et forte de sa position de carrefour maritime, l’Indonésie s’est vite intégrée dans le marché international. Cependant la dégradation de la forêt est rapide. Les compagnies privées qui s’étaient engagées à entretenir les terres qui leurs sont allouées ne respectent pas leurs engagements. Elles ont une vision à court terme, stimulée par une forte demande internationale. Le gouvernement de son côté protège indirectement ces industries en leur offrant des subventions officielles déguisées: allocation de fonds spéciaux sans contrôle parlementaire, prêts à taux préférentiels, accès a des ressources forestières à coûts minimes, etc. D’une part, les choix du gouvernement ne sont pas favorables aux populations autochtones, d’autre part ils nourrissent les firmes étrangères dont les activités ont des coûts sur le long terme bien supérieurs aux bénéfices économiques qu’elles réalisent à court terme.
En effet, après les sécheresses dont l’Indonésie fut la victime en 1982 et 1983, de nombreux incendies ravagèrent par la suite, et à chaque année, la forêt selon une plus ou moins grande ampleur. De 1997 à 1998, un incendie d’une dimension inégalée jusqu’alors touche le pays: 3 à 5 millions d’hectares sont détruits. Les fumées qui s’en dégagent s’étendent jusqu’aux pays voisins, et perturbent le trafic aérien et maritime, causant même le crash d’un airbus. L’année 2015 est également tristement marquée par un incendie qui s’est étendu de juin à octobre, et a réduit en cendre près de 2,6 millions d’hectares, soit quatre fois et demi la taille de Bali. Le dommages sont estimés à une valeur de 16,1 milliards de dollars, soit le double du prix des reconstructions qui ont suivi le tsunami de 2004.
À cela s’ajoute les tensions liées à la pollution de l’air et au brouillard dû au feu, dépassant les frontières et les mers. C’est pourquoi Singapour et la Malaisie souffrent des conséquences directes des incendies, et appellent l’Indonésie à se mobiliser plus concrètement. Les tentatives gouvernementales de contrôler les FTN sont pour le moment vaines. De fait, si elles sont soupçonnées d’être à l’origine de ces incendies pour avoir accès à de plus grandes aires de forêt protégées, elles mettent en avant la tradition de l’utilisation de la culture sur brûlis des populations locales pour se couvrir. Le CIFOR (Center for International Forestry Research) a effectué le calcul suivant: si chaque hectare brulé au cours de l’incendie de juin à octobre 2015 est converti en culture de palmier à huile, les compagnies privées d’exploitation pourraient faire près de 8 millions de dollars de bénéfices.
Ces catastrophes coûtent cher au pays. Tout d’abord, la destruction d’une biodiversité unique qui abrite des espèces en voie de disparition, telles le tigre de sumatra. Dans un second temps, la santé de la population indonésienne se trouve elle-même menacée; de nombreux enfants contractent des infections pulmonaires à cause de la pollution de l’air. La qualité de l’air est une question qui ne connaît pas de frontières, et qui doit être gérée en prenant en compte les pays avoisinants. « Kompas », un journal indonésien, titrait en 1998: « peut-il y avoir de la fumée sans feu? », accusant le gouvernement de ne pas reconnaître le lien entre la destruction de la forêt par les industriels et les incendies. Le développement de la conscience écologique internationale met le gouvernement actuel au pied du mur. La fumée provient d’un feu qui brûle depuis trop longtemps et dont il est venu le temps de contrôler.
sources :
Durand, Frédéric.1999. Gestion et aménagement des forêts tropicales, quelques leçons tirées desincendies de forêts en Indonésie. Travaux de la société d’écologie humaine. 17p
Durand, Frédéric; Pirard, Romain. 2008. Quarante ans de politiques forestières en Indonésie, 1967-2007: La tentation de la capture par les élites. Les cahiers d’Outre-Mer. p2-18
World Bank. Indonesia sustainable landscape knowledge note: 1. 2016. The cost of fire: An economic analysis of Indonesia’s 2015 fire crisis.world bank group. p12
Food and agriculture organisation. 1998. Réunion de la FAO sur les politiques nationales ayant une incidence sur les incendies de forêt. FAO forestry paper: Forêts volume 138. 400p.