Par Marc-Olivier Cléroux-Cloutier
Bien que les politiques actuelles de l’Indonésie soient favorable à l’intégration de la communauté sino-indonésienne, durant l’entièreté du 20e siècle en Indonésie cette dernière connu une discrimination marquante et à plusieurs reprises brutale. L’histoire de l’Indonésie est parsemée d’incidents de violence visant les communautés chinoises du pays. Qu’est-ce qui explique ce fort sentiment antichinois et pour quelle raison y a-t-il eue un changement de tendance au 21e siècle?
La présence chinoise en Indonésie précède celle néerlandaise de plusieurs centaines d’années. L’archéologie démontre une présence chinoise dans l’archipel au premier siècle avant notre ère et la première présence documentée remonte en 1293 alors des invasions mongoles. Le grand explorateur Sino-Musulman Zheng He aurait fait de nombreuses expéditions en Indonésie au 15e siècle et plusieurs marchands Sino-Musulmans se seraient installés sur l’île de Java, qui se serait complètement intégrées à la majorité musulmane jusqu’à en devenir indissociable à partir du 16e siècle. Avec le regain du commerce de la Chine avec l’Asie du sud-est en 1567, un grand nombre de colonies chinoises s’établirent au travers de l’archipel.
C’est avec l’arrivée des Néerlandais en Indonésie que commença le sentiment antichinois. Plusieurs Sino-Indonésiens furent employés par la compagnie des indes orientales (VOC) comme intermédiaires afin de collecter les taxes et les revenues d’extraction des ressources naturelles, ce qui attira une certaine hostilité chez les résidents locaux. La VOC introduisit ensuite un système de classification raciale qui les sépara des autres Indonésiens. Puis, en 1740, après une révolte initiée par des hommes d’ethnie chinoise, la VOC instaura une politique activement antichinoise. Ils limitèrent l’immigration chinoise et éventuellement tuèrent près de 10,000 chinois à Batavia. Ils furent joints par des Indonésiens durant le massacre dû à des rumeurs où on accusait les Chinois de planifier une série de meurtres et de viols, causant la première confrontation majeure moderne entre Indonésiens et Chinois. Suite à ce massacre, les communautés urbaines Chinoises furent isolées dans des quartiers externes aux murs des villes majeures.
La nationalisation de la VOC au 19e siècle entraina plusieurs conséquences sur les communautés sino-indonésiennes. Les privilèges de monopolisation de certains marchés par les Chinois furent retirés, voyager sur le territoire ne put se faire qu’avec un permis sous peine d’emprisonnement et ils furent interdits d’habiter dans les mêmes quartiers que les populations natives. Ils eurent aussi de la difficulté à obtenir des terres puisque que la distribution était principalement faite avec les Européens et les natifs au détriment de tous les autres. Puis, durant la deuxième moitié du 19e siècle, le gouvernement instaura de nouvelles restrictions économiques pour les communautés chinoises à l’intérieur de leur nouvelle « politique éthique ».
Vus comme des collaborateurs du régime colonial à cause de leur rôle dans la collection des impôts et taxes, les nationalistes indonésien virent en la communauté chinoise un ennemi du nationalisme, résultant en des émeutes raciales au début du 20e siècle organisées par le Sarekat Islam, premier mouvement nationaliste indonésien. Au même moment les révolutions à l’intérieure de la Chine continentale suscitèrent un certain nationalisme envers le pays d’origine chez les Sino-Indonésiens, distançant de plus ceux-ci des mouvements locaux qui, de toute façon, leur étaient hostiles.
Durant l’occupation japonaise, la communauté chinoise fut sujette à une forte oppression alors qu’ils étaient vus comme collaborateurs du Guomindang contre lequel l’armée japonaise se battait en Chine continentale. Encore vus comme ennemis du nationalisme indonésien, ils furent aussi la cible d’attaques par les guérillas indépendantistes indonésiennes durant l’occupation, bien que les chefs de ces mouvements fussent personnellement favorables aux communautés chinoises. La fuite des communautés sino-indonésiennes vers les territoires sous contrôle Néerlandais, suite à leur retour en territoire Indonésien, afin d’échapper à la violence des guérillas, fut perçu comme une preuve de pro-colonialisme chez les Sino-Indonésiens.
L’indépendance de l’Indonésie fut obtenue la même année que l’expulsion du Guomindang vers Taiwan par l’armée communiste chinoise. Bien que les Sino-Indonésiens préférèrent une Indonésie oppressive à une Chine communiste, la loyauté de ceux-ci fut questionnée. À cause des principes de citoyenneté conflictuels entre l’Indonésie et la Chine (citoyenneté par naissance et par lignée, respectivement), les Sino-Indonésiens durent choisir entre les deux. Près des deux-tiers de ceux-ci choisirent de garder seulement leur citoyenneté indonésienne. En 1956, le gouvernement Sukarno adopta une loi qui révoqua le droit de commerce dans les régions rurales aux non-indigènes, qui incluait la population Sino-Indonésienne qui avait choisi de garder leur nationalité chinoise. Des quelques 260,000 Sino-Indonésiens ayant rejeté la citoyenneté Indonésienne, plus de 100,000 quittèrent l’Indonésie vers la Chine suite à cette loi.
En 1965, suite à un coup d’État échoué qui aurait soi-disant impliqué des communistes, près de 500,000 personnes furent tués en Indonésie, incluant des citoyens d’ethnie chinoise, dû à leur supposée association avec la Chine communiste. Puis, durant le gouvernement militaire de Suharto, ce dernier usa grandement du pouvoir de l’élite économique, dont faisaient partie plusieurs Sino-Indonésien, afin d’asseoir son pouvoir. L’association avec le régime corrompu de Suharto instigua le stéréotype du Chinois riche, puissant et corrompu qui perdure jusqu’aujourd’hui. Au même moment que cette collusion se formait, par contre, le gouvernement indonésien appliquait des lois discriminantes envers les Sino-Indonésiens. Celles-ci entrainèrent la fermeture des écoles chinoises privées, l’interdiction de démonstration de culture chinoise (langage, religion et festivals traditionnels). Finalement, des pressions furent faites sur les Sino-Indonésiens afin d’adopter des noms Indonésiens, entre autres.
Plusieurs émeutes ciblant tout particulièrement les Sino-Indonésiens éclatèrent à la fin des années 1990. Celle de mai 1998 fut tout spécialement violente, alors qu’elle ravagea plusieurs villes dont Jakarta, Medan et Surakarta, détruisant plusieurs milliers d’édifices et de véhicules. Suite à ces émeutes quelques dizaines de milliers de Sino-Indonésiens quittèrent le pays, emportant avec eux un capital estimé atteindre 20 milliards de dollars américains vers des destinations comme la Malaisie, Singapour et les États-Unis. Suite à ces événements qui eurent pour raison majeure la réélection du président Suharto, ce dernier dut démissionner et fut remplacé par un gouvernement de réformation.
Le gouvernement de réformation suivant le régime Suharto tenta au cours des années suivant les émeutes de reconstruire la confiance des Sino-Indonésiens expatriés et locaux en retirant les lois et interdictions discriminatoires et en offrant une certaine protection. L’effort d’intégration qui a fait cruellement défaut aux communautés d’ethnie chinoise depuis le régime colonial se construit aujourd’hui encore lentement en Indonésie, mais le racisme reste encore très répandu et certaines lois discriminatoires sont encore en effet. Il reste encore beaucoup de chemin à faire avant que les Sino-Indonésiens soient perçus comme des participants actifs de la société Indonésienne.
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