Les minorités ethniques au Vietnam (période postcoloniale)

Par Matthieu John

Longeant la mer de Chine méridionale, le Vietnam se trouve être à la croisée des aires chinoise, malaise et indienne (PAPIN, 1999, p. 7). Ces influences ont forgé l’héritage culturel et se retrouvent toujours aujourd’hui dans la diversité culturelle et ethnique du pays. Si une majeure partie de la population, à peu près 85%, est issu de l’ethnie Kinh (les Viêt), l’autre partie est composée de 53 minorités ethniques. Or, durant la seconde moitié du XXème siècle, ces minorités ont été particulièrement affectées par les guerres, les politiques gouvernementales et le dynamisme économique. C’est dans ce contexte que nous allons chercher à répondre à la question suivante : quel impact a eut l’évolution postcoloniale du Vietnam sur la culture, le territoire et l’économie des minorités?

          LimitéSans titre à l’ouest par une longue chaine montagneuse, la chaine annamitique, et à l’est par la mer de Chine méridionale, le Vietnam s’est construit « verticalement », le long du littoral. C’est au XIème siècle que débute la marche vers le sud (Nam-Tiên) des populations Viêt du nord, en raison d’une croissance démographique et d’un mouvement d’endiguement des terres. Cela a vu la rencontre des Viêt avec d’autres populations et a participé à la création de l’espace nationale vietnamien (PAPIN, 1999, p. 17). Cet espace, un des plus diversifiés d’Asie, regroupe un éventail de langues et de civilisations. On compte 53 minorités ethniques qui ne représentent qu’environ 15% de la population nationale. Ces ethnies se sont principalement installées sur les hautes terres, où elles peuvent toujours représenter jusqu’à 30-40% de la population (PAPIN, 1999, p. 28).

            Suite à la guerre d’Indochine en 1954, le Vietnam du sud, le Laos et le Cambodge redéfinissent leurs territoires vis-à-vis des plateaux, alors peuplés de populations autochtones. Les politiques d’intégrations du gouvernement sud-vietnamien cherchent l’acculturation et l’assimilation à la nation, cela à travers des lois telles que l’interdiction du pagne, vêtement traditionnel porté par les minorités, ou même des décorations corporelles. D’un autre côté, on assiste à une progressive christianisation des autochtones suite à l’implantation de Viêt chrétiens depuis le début du siècle (GUÉRIN, 2003, p.60). Le gouvernement souhaite regrouper la population derrière une « identité Viêt » : l’enseignement des langues locales est interdit, le droit national prend place sur les systèmes juridiques locaux, etc. (GUÉRIN, 2003, p.54). Cependant, il existait au Vietnam, jusqu’au XIXème siècle, une différenciation et une hiérarchisation au sein des populations non-Viêt. Par exemple, le régime fiscal était spécifique à chaque groupe. En raison de son histoire, et en parallèle de la politique d’assimilation, le gouvernement sud-vietnamien de Diêm doit donc reconnaitre un nationalisme dit « pluriel ». Dans cette optique de création d’identité nationale, le gouvernement favorise le peuplement des régions montagneuses par des populations majoritairement Viêt. Par exemple, la population Viêt de la province de Dak Lak passe de 800 personnes en 1945 à 57000 en 1962. Les populations locales commencent alors à perdre une grande partie de leurs terres.

            Par la suite, durant la guerre du Vietnam, on assiste à un réel « exode » des hautes-terres du Vietnam : 8 habitants sur 10 auraient quitté leurs villages, fuyant les bombardements (GUÉRIN, 2003, p. 81). Cela marque un tournant pour ces populations. Car en 1975, le gouvernement vietnamien s’intéresse au potentiel socio-économique de ces terres : le retour des réfugiés autochtones dans leurs terres ancestrales s’accompagne de migrations intensives et programmées de populations Viêt (près de 4 millions de personnes). On peut y voir 3 objectifs : développer l’économie de ces régions, protéger les zones frontalières et redistribuer « rationnellement » la population du pays (GUÉRIN, 2003, p.114). En parallèle, l’idéologie communiste s’applique : création de fermes d’État, les productions familiales sont regroupées en coopératives, on industrialise la production. Les cultures locales en sortent changées : les méthodes de productions sont redéfinies (les autochtones pratiquaient jusque-là l’agriculture en friche), on impose la sédentarisation des populations (fin de la culture itinérante) et l’on met un terme à la culture de production familiale.

            Finalement, durant les années 1980, le paysage politique et économique va de nouveau changer. Alors que le pays communiste voit l’aide financière soviétique diminuer à partir de 1986, il va s’engager dans la fameuse politique du doi moi (renouveau économique). Cette politique va entrainer d’importants changements qui vont de nouveau redéfinir les modes de vies et de travail des minorités ethniques: décollectivisations de l’agriculture, restauration du modèle d’exploitation familial, libéralisation du marché, etc. Le dynamisme économique va s’accentuer avec l’entrée en 1995 dans l’Association of South-East Asian Nations (ASEAN) qui est en pleine croissance. Ainsi, les migrations de populations vers les hautes terres continuent: autrefois majoritaires, les minorités ethniques sont aujourd’hui largement supplantées par les Viêt. Si l’on peut retenir des dernières années des efforts du gouvernement dans la protection de l’héritage culturel des minorités (préservation de la littérature orale, des légendes et chants, de l’artisanat, etc.), la situation reste critique (GUÉRIN, 2003, 276).

            Il semble en effet que le développement économique et social du pays, ainsi que la consolidation de l’identité nationale ne vont pas de pairs avec la préservation des cultures minoritaires. Alors qu’elles occupaient un vaste espace, les minorités voient maintenant leurs territoires habités en majorité par des Viêt. Leurs ressources ont donc changées, mais leur modèle agricole familial et nomade a aussi pris fin avec l’arrivée du communisme. Les modes de vies ont beaucoup évolué en quelques décennies, les cultures locales ayant progressivement laissé place à la culture Viêt. Tous ces éléments menacent la diversité culturelle et ethnique, si riche, au profit d’une identité nationale commune.


Références :

  • GUÉRIN, M., HARDY, A., VAN CHINH, N., TAN BOON HWEE, S., (2003). Des montagnards aux minorités ethniques. « Quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge ? ». Paris : L’Harmatan, Bangkok : IRASEC.
  • LE HUU KHOA, (2009) Anthropologie du Vietnam. Paris : Les Indes savantes.
  • PAPIN, P., (1999). VIETNAM Parcours d’une nation. Paris : La Documentation française.
  • ROZE, X., (2000). Géopolitique de l’Indochine La péninsule éclatée. Paris : Economica.
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