Par Mohamed Aidibé
La stabilité régionale et la sécurité des routes de navigation maritime sont deux points très importants pour l’économie de Singapour. Avec l’émergence de la Chine et la remise en question de l’équilibre de forces régionale et mondiale, Singapour a plus d’intérêts dans une position de neutralité et d’équilibre dans ses relations avec la Chine et les États-Unis. Cet intérêt est en grande partie lié à son caractère de «petite puissance». En d’autres termes, sa dépendance.
Vous avez dit un «État puissant»? Parlez-moi de son économie! En d’autres termes, la base de toute puissance est l’économie. Nous ne parlons pas de puissance qui a été acquit par la force du chantage comme serait le cas de la Corée du Nord (armes nucléaires, etc.), mais plutôt de cette puissance qui permet à l’État et à la société civile d’avoir les outils (moyens) lui permettant de se moderniser dans de multiples domaines tout en ayant la capacité d’avoir un bon niveau de vie. On entend la puissance économique sous cet angle: si vous avez un revenu d’un million de dollars annuel (alors que la moyenne dans la société est de 100 mille dollars), vous avez donc un important pouvoir d’achat qui vous permettra de vous procurer une plus grande maison, une Ferrari si vous le souhaitez ou d’autres achats selon vos envies. Donc, l’équation est la suivante: si vous avez un bon pouvoir d’achat, vous avez les moyens de votre politique. Sans pouvoir d’achat, vous ne pouvez avoir d’outils, donc pas de politiques. Par exemple, la Chine du début du 20ème siècle est loin de la Chine du début du 21ème siècle. Sa sphère d’influence s’est grandement élargie ainsi que sa place dans le monde. Aujourd’hui, première puissance économique et commerciale, la Chine a les moyens de sa politique. En d’autres termes, à travers sa croissance économique accélérée, la Chine à accéder au rang des grandes superpuissances.
Sur quoi repose donc l’économie de Singapour?
Singapour a une économie qui repose sur le commerce maritime. L’importance de Singapour est en premier lieu, son emplacement géostratégique au carrefour de la plus importante route maritime (le Détroit de Malacca). Ce détroit est un nerf névralgique pour l’approvisionnement en pétrole de la Chine et du Japon ainsi que pour le commerce et l’économie mondiale. La Chine «importe actuellement 40% de son pétrole et en importera probablement 80% vers 2030»[ii]. Ce pétrole passe principalement par le détroit de Malacca. «Singapour mise sur un développement rapide de la coopération économique régionale par le jeu de négociations sectorielles et lance dès 1967-68, des propositions concrètes (commerce, industrie, navigation, tourisme…)»[iii]. «L’économie de Singapour est caractérisée par une très forte financiarisation et un très important degré d’ouverture, et donc de dépendance au commerce international[iv]». Donc, l’instabilité régionale serait synonyme de catastrophe pour l’économie de la cité-État.
Petite puissance:
Selon Asle Toje, les petites puissances sont caractérisées par quatre traits importants: elles se caractérisent par leur dépendance (elles peuvent soit proclamer leurs neutralités, soit jouer la carte de l’équilibre des forces); elles sont limitées en termes de ressources et de moyens d’action; elles sont désireuses de préserver le statu quo sur la scène internationale et elles sont partisanes du droit international (adhésion aux organisations internationales)[vi].
Tout au long du XXe siècle, l’Asie du Sud-Est ainsi que le Pacifique étaient dominés par les États-Unis. Cette domination garantissait une certaine sécurité des routes de navigation maritime et une certaine paix régionale, deux choses fondamentalement importantes pour l’économie de Singapour. Mais avec l’émergence de la Chine en tant que nouvelle superpuissance économique régionale et mondiale, l’équilibre de force est remis en question.
«Au niveau régional, les autorités singapouriennes redoutent le scénario de l’embrasement de la Mer de Chine Méridionale, synonyme de perturbation des routes commerciales et donc d’instabilité́ pour un État dont l’économie repose sur le commerce maritime. Enfin, la montée en puissance de la Chine contraint Singapour à mener un savant jeu d’équilibre entre Pékin et Washington, traditionnel allié de la Cité-État qui entend ne pas perdre la main dans le bassin Pacifique.[vii]»
La stabilité, l’intérêt de tous?
À première vue, le risque de conflits entre la Chine et les États-Unis parait très élevé. Avec des dossiers comme celui de Taiwan, de la Mer de Chine Méridionale et de l’alliance militaire des États-Unis avec des pays de la région, on pourrait facilement conclure que la Chine et les États-Unis sont des ennemis. Mais en politique, les relations entre États sont beaucoup plus complexes que ça. Une notion de base qui doit être prise en considération, surtout dans le domaine de la politique, est le fait que toute relation entre États se base sur une certaine forme d’intérêt. Une chose est certaine, tous ces dossiers sont les résultats d’intérêts conflictuels entre ces pays. En politique, les intérêts gouvernent les relations entre pays. La question qui se pose est la suivante: l’instabilité est-elle dans l’intérêt de la Chine et des États-Unis?
Pour des raisons politico-économiques, la Chine et les États-Unis n’ont pas d’intérêts dans la déstabilisation de la région. Le parti communiste chinois a besoin de garder la croissance de la Chine aux alentours des 7% dans le but de préserver et de consolider son pouvoir La Chine a aussi besoin de stabilité régionale et n’a pas d’intérêt dans une confrontation avec les États-Unis à cause du «dilemme de Malacca»[ix]. Dans l’éventualité d’une confrontation, les États-Unis pourraient donc fermer le réservoir de pétrole de la Chine en fermant le détroit de Malacca.
Pour les États-Unis, une confrontation avec la Chine aurait aussi des répercussions insoutenables. D’un côté, la Chine est détentrice des plus grosses réserves de devises étrangères au monde, ce qui peut affecter grandement l’économie américaine. D’un autre côté, l’interdépendance de l’économie des deux pays fait qu’une confrontation aboutirait à l’affaiblissement des deux pays. En d’autres termes, la Chine et les États-Unis auront beaucoup plus à perdre qu’à gagner d’une confrontation. Donc, l’intérêt des deux pays serait la stabilité.
Vu de cet angle, Singapour a donc plus d’intérêts à suivre une politique de neutralité et d’équilibre dans ses relations avec la Chine et les États-Unis. En d’autres termes, si Singapour décidait de prendre position pour l’un ou pour l’autre, elle se mettrait à dos une des deux puissances, situation qui ne serait pas dans l’intérêt d’une puissance dépendante du commerce international.
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References
[i] http://www.lesechos.fr/11/03/2008/LesEchos/20128-532-ECH_le-port-de-singapour-a-la-conquete-de-l-economie-mondiale.htm
[ii] http://www.diploweb.com/forum/sinorusse08043.htm
[iii] http://geopolcecri.files.wordpress.com/2013/02/note-danalyse-23-singapour2.pdf
[iv] http://www.lemoci.com/pays/singapour/
[v] http://lefauteuildecolbert.over-blog.fr/article-la-piraterie-du-detroit-de-malacca-a-la-somalie-et-le-golfe-de-guinee-111217517.html
[vi] http://geopolcecri.files.wordpress.com/2013/02/note-danalyse-23-singapour2.pdf
[vii] Ibid
[viii] http://www.cnn.com/2011/WORLD/asiapcf/01/16/china.us/
[ix] David Shambaugh, p 296.
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Bibliographie
David Shambaugh, chapitre 7 China’s Global Security Presence, China Goes Global, Toronto, Oxford, 2013, p. 269-306.
Desplanque Simone. 2013. «Singapour: Une petite puissance à la charnière des océans». En ligne. http://geopolcecri.files.wordpress.com/2013/02/note-danalyse-23-singapour2.pdf (page consultée le 5 novembre 2014)
Von Gastrowv Jean-Phillipe. 2008. En ligne. http://www.lesechos.fr/11/03/2008/LesEchos/20128-532-ECH_le-port-de-singapour-a-la-conquete-de-l-economie-mondiale.htm (page consultée le 5 novembre 2014)
La piraterie : du détroit de Malacca à la Somalie et le golfe de Guinée. 2012. En ligne. http://lefauteuildecolbert.over-blog.fr/article-la-piraterie-du-detroit-de-malacca-a-la-somalie-et-le-golfe-de-guinee-111217517.html (page consultée le 5 novembre 2014)
Sébastien Fontaine. 2014. En ligne. http://www.diploweb.com/forum/sinorusse08043.htm (page consultée le 6 novembre 2014)
Singapour. 2014. En ligne. http://www.lemoci.com/pays/singapour/ (page consultée le 6 novembre 2014)
CNN Wire Staff. 2011. En ligne. http://www.cnn.com/2011/WORLD/asiapcf/01/16/china.us/ (page consultée le 6 novembre 2014)