Par Julie Perreault-Henry
L’empire romain est au bord de s’écrouler vers la fin du 5e siècle. En réponse à la crise, les responsables politiques désireux de maintenir leur emprise sur la population organisent une série de divertissements. Cette dernière a pour but premier d’endormir la plèbe face aux graves enjeux auxquels est confronté l’empire. C’est l’expression du pain et des jeux qui découle de cette situation particulière. Cette façon de détourner l’attention du peuple des problématiques fondamentales de la société est encore aujourd’hui surexploitée par nos dirigeants politiques. En Birmanie, le régime semi-civil en place affiche une façade de bon apôtre vis-à-vis de ses concitoyens et de la communauté internationale. Il joue cependant un double jeu: malgré les récentes améliorations du système civil, un climat politique et économique désastreux entretenu par des acteurs de l’ancien régime militaire persiste. La vigueur continue de l’économie informelle, particulièrement celle du commerce de la drogue, constitue un des éléments clés de leur succès en leur permettant d’assurer un renflouement régulier de leurs coffres. D’un autre côté, des groupes armés représentant des minorités alimentent également le trafic des stupéfiants afin de financer leur combat contre l’État birman.
Lors d’une Assemblée de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime tenu le 10 octobre 2012, le délégué birman M. Thant Sin a affirmé que « le Myanmar mène une guerre sans merci contre la drogue depuis son indépendance en 1948» Profitant de sa visibilité politique, il attire l’attention sur un plan gouvernemental visant l’éradication du commerce des stupéfiants par la suppression des filières d’approvisionnement pour la période de 1999 à 2014. Il souligne également les innombrables efforts menés par les responsables politiques pour offrir aux paysans des moyens alternatifs d’obtenir leur gagne-pain quotidien autre que par la culture du pavot à opium. L’État birman, au banc des accusés vis-à-vis de la communauté internationale dû à sa grave problématique liée au trafic de substances illicites, tente ainsi d’afficher une image du gouvernement combattant les menaces liées au commerce de la drogue. Récemment, la Birmanie a passé des accords bilatéraux avec la Thaïlande et des ententes de coopération transnationale avec Thaïlande, la Chine et Laos visant l’enrayement du phénomène des narcotiques.
La Birmanie est considérée comme la plus grande productrice de drogues synthétiques en Asie du Sud-Est et se range au deuxième rang de production mondiale d’opium derrière l’Afghanistan. On évalue que l’État birman produit les trois quarts de l’opium brut dans le monde et 50% de l’héroïne acheminée aux États-Unis et en Europe de l’Ouest en 1992. Une grande partie des échanges commerciaux en termes de drogues prolifèrent dans des zones frontalières isolées : les groupes insurgés, pour la plupart étant des minorités ethniques réprimées dans leurs revendications politiques par les forces centrales étatiques, profitent des frontières poreuses pour échanger de l’opium, du teck et du jade et s’assurent ainsi une source de revenus stables pour mener leurs combats contre la junte. Le trafic d’opium, colossal, vaut à l’État birman et aux groupes armés d’être parties prenantes du Triangle d’or.
La croyance populaire prévaut souvent que lorsque de grands pans de l’économie sont informels, et touchent particulièrement au commerce de la drogue, les capacités de l’État sont forcément faibles. Certes, il est vrai que la Birmanie ne constitue pas un État fort, mais en demeure tout de moins que la junte militaire a pu renforcer ses assises politiques en exploitant elle-même la production l’opium. Lorsqu’un État est classé parmi les plus grands producteurs de stupéfiants dans le monde, on peut logiquement déduire que sa production nationale gigantesque nécessite des grandes infrastructures pour pallier la demande. Ces grandes infrastructures impliquent une certaine exposition, visibles par exemple par voie aérienne. Ceci étant dit, un gouvernement n’étant pas partie prenante de telles infrastructures ordonnerait leur destruction. C’est également ce que prétend le gouvernement birman: pendant la saison 2011-2012, 23271,44 hectares de champs de pavot ont ainsi été détruits. En outre, les autorités ont saisi 1786,45 kilos d’opium, 50 kilos d’héroïne, 1,92 million de stimulants et 356 kilos d’éphédrine.
Dans les faits, les dirigeants politiques birmans sont étroitement impliqués dans le trafic de la drogue. Cela leur confère des moyens politiques de se maintenir au pouvoir. Un gouvernement, pour rester à la tête d’un pays, a besoin d’alliés au sein de la société. Sa participation dans le commerce illicite des stupéfiants lui offre cette perspective: Il offre à ses partenaires, des acteurs non-étatiques, une impunité légale, une certaine forme de protection et des services de blanchiment d’argent. En contrepartie, il entretient un climat de terreur contre ses opposants mêlés à ce commerce: le gouvernement menace de mener des poursuites judiciaires ou d’entreprendre des mesures coercitives.
L’économie légale suffoque par l’expansion fulgurante de la sphère économique informelle. Une grande partie de la population pour survivre doit mener des activités illégales. Le régime, inefficace, complètement corrompu, n’offre pas les remparts contre la pauvreté à ses citoyens. Quand des changements politiques profonds modifieront les structures du pouvoir nouvellement orienté vers un État en mesure de remplir son contrat de protecteur social, on pourra enfin envisager le développement d’un Birmanie libre de forces parasitaires.
(1) Organisation des Nations unies. 2012. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime exhorte à nouveau les États Membres à trancher la question de son statut. New York: Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
(2) Organisation des Nations unies. 2012. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime exhorte à nouveau les États Membres à trancher la question de son statut. New York: Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
(3) Organisation des Nations unies. 2014. Myanmar and UNODC sign landmark agreement to strengthen the rule of law and counter crime and drug threats. Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
(4) Brown, Catherine. 2002. «Burma: The Political Economy of Violence» Disasters 23 (décembre): 173-85
(5) Organisation des Nations unies. 2014. Myanmar and UNODC sign landmark agreement to strengthen the rule of law and counter crime and drug threats. Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
(6) Brown, Catherine. 2002. «Burma: The Political Economy of Violence» Disasters 23 (décembre): 173-85
(7) L’une des principales zones mondiales de production d’opium depuis les années 1920.région montagneuse d’Asie du Sud-Est aux confins du Laos, de la Birmanie (Myanmar) et de la Thaïlande (certaines interprétations y incluent également une partie du Vietnam, voire le Yunnan chinois)
(8) http://www.un.org/press/fr/2012/AGSHC4038.doc.htm
(9) Meehan, Patrick. 2011. «Drugs, insurgency and state-building in Burma: Why the drugs trade is central to Burma’s changing political order» Journal of Southeast Asian Studies 42: 376-404