Par François Robert-Durand
Le Canada a de la difficulté à garder son unité nationale uniquement avec deux principaux groupes linguistiques. Malgré les différentes mesures du gouvernement fédéral, telles que la loi sur le bilinguisme de 1968 ( Encyclopédie Canadienne 2014), deux référendums sur la souveraineté du Québec ont eu lieu. L’unité nationale canadienne est loin d’être acceptée et ce, avec la coexistence de seulement deux grands ensembles linguistiques.
Les Philippines se trouvent dans une situation linguistique bien plus problématique, car cet État doit conjuguer avec la coexistence de 175 langues à l’intérieur de ses frontières (Université Laval 2014).
Pour régler ce problème, les autorités philippines ont érigé deux langues à titre de langues officielles. La première est le Filipino qui est, dans les faits, un dérivé du Tagalog. La seconde est une langue exogène: l’Anglais. Cependant, unifier une nation plurielle avec uniquement deux langues fait en sorte que de nombreux autres groupes linguistiques du pays sont ostracisés. Autrement dit, l’apparence d’unification du pays à travers ces deux langues ne rend pas justice à la réelle diversité linguistique du pays.
Le Filipino: un Esperanto sauce philippine?
Pour remédier à cette pluralité linguistique, le gouvernement philippin crée, durant les années 30, le langage filipino (Gonzales et Andrew 1998, 486). Cependant, l’usage de cette langue est controversé, car il s’agit d’une quasi copie du Tagalog: la langue parlée notamment à Manille ainsi que par les élites politiques philippines (Université Laval 2014). C’est donc, malgré ses prétentions pan philippines, une langue qui n’est pas neutre, car elle met sur un piédestal une langue comparativement à d’autres.
C’est le président philippin de l’époque, Manuel Quezon, a érigé le Tagalog en tant que langue officielle des Philippines. Cependant, afin d’enlever la connotation ethnique et d’augmenter l’acceptation sociale, le Tagalog changea d’appellation pour être nommé Filipino (Gonzales et Andrew 1998, 487).
S’inspirant des pays européens, les élites politiques philippines voyaient, dans la création d’une langue commune, une condition sine qua non de construction nationale ( Smolicz et Nical 1997, 507 ). Cependant, ce lien entre l’État, la nation et la langue est difficilement applicable aux Philippines à cause de sa grande variété linguistique.
L’Anglais comme langue fédératrice
C’est pourquoi le gouvernement décida de conserver l’Anglais comme la seconde langue nationale. Cela s’explique par le fait que les minorités linguistiques des Philippines voyaient d’un mauvais œil l’expansion du Filipino. En effet, plusieurs voyaient le Filipino comme un moyen visant à asservir les minorités linguistiques sous une langue particulière (Gonzales et Andrew 1998, 488).
C’est pourquoi certaines institutions, dont l’exemple le plus frappant est celui de l’enseignement universitaire, persistent à s’exercer en Anglais. Ayant été une colonie américaine durant près de cinquante ans, l’enseignement supérieur se faisait uniquement en Anglais durant cette période. Or, suite au départ des Américains, l’enseignement universitaire s’est poursuivi dans cette langue. L’objectif officiel était de se tailler une place compétitive sur la scène internationale en matière d’éducation (Gonzales 1998, 497).
Or, étant donné la méfiance susmentionnée des membres des minorités linguistiques envers le Filipino, nous pourrions également considérer que le recours à l’Anglais avait des visées fédératrices, i.e. fournir une langue exogène comprise par une majorité de philippins afin d’éviter le sentiment qu’une langue locale supplante les autres. Autrement dit, il semble que l’Anglais avait pour but de mettre l’entièreté des Philippins sur un pied d’égalité face à la transmission de l’enseignement supérieur.
La difficile pérennité des langues locales
Cependant, ce recours à l’Anglais et au Filipino a comme effet pervers de négliger la pérennité des langues issues des provinces du pays. Plus précisément, la mise à l’écart des langues locales au profit desdites langues fédératrices ne sont pas compensées par un enseignement de ces langues provinciales.
L’exemple de l’Université des Philippines Diliman est assez révélateur à ce sujet. Les cours de langues offerts à cette université sont tous des cours de langues étrangères. Il est donc possible d’apprendre l’Allemand, le Français, le Mandarin, etc. Cependant, nous ne trouvons nulle part des cours visant à enseigner différentes langues des Philippines telles que le Cebuano ou l’Ilocano (UP Diliman 2014).
Bref, il est difficile d’ériger des institutions qui rendent justice à une aussi grande diversité linguistique que celle des Philippines. Or, il semble que les institutions ne permettent pas une représentation efficace de cette diversité non plus.
Bibliographie
Encyclopédie Canadienne. 2014. Pierre Elliott Trudeau. En ligne. http://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/pierre-elliott-trudeau/. (page consultée le 17 Novembre 2014).
Gonzales, Andrew. 1998. « The language planning situation in the Philippines ». Journal of Multilingual and Multicutural Development. 19 (no 5). 487-525.
Smolicz, Jersy J. et Illuminado Nical. 1997. « Exporting the European Idea of a National Language: Some Educational Implications of the Use of English and Indigenous Languages in the Philippines ». International Review of Education. 43 (no 5-6), 507-526.
Université Laval. 2014. Philippines. En ligne. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/philip.htm.(page consultée le 17 Novembre 2014)
University of the Philippines Diliman. 2014. Academics, Undergraduates. En ligne. http://upd.edu.ph/acadprogUndergrad.html. (page consultée le 18 Novembre 2014).