Par Maude Fagnant
Depuis l’époque coloniale, en 1740, la minorité chinoise d’Indonésie est considérée comme étrangère du peuple local. Le favoritisme de l’empire néerlandais à leur égard a attisé la frustration des Indonésiens en plus de détruire toutes les chances de la minorité d’arriver à s’intégrer. Au début des années 1900, le statut de la minorité changea de favorites de l’empire à ennemie de la nation(1). L’arrivée de Suharto au pouvoir en 1965 et les relations tendues qu’entretenait l’Indonésie et la Chine ont aggravé le statut précaire de la minorité(2). En 1998, suite aux violentes manifestations anti-chinoises et à la chute du gouvernement de Suharto, la situation a cependant changé pour le mieux puisque les Sino-Indonésiens ont finalement pu afficher publiquement leur identité culturelle sans crainte de représailles(3).
Sous l’empire néerlandais, deux facteurs importants ont attisé les tensions entre les Pribumi (litt. fils de la terre), ou Indonésiens, et la population d’origine chinoise. D’abord, la position sociale des Asiatiques d’origines étrangères, majoritairement d’origines chinoises, était supérieure à celle des natifs. Cette position favorable leur donna certains avantages politiques, mais surtout économiques. Il y a aussi eu, peu avant la fin du 19e siècle, des tensions liées aux occupations économiques de la minorité. Elle avait le monopole de plusieurs activités illicites, dont le commerce de l’opium et des maisons de jeu. Ces activités étaient perçues par la population locale comme étant des tentatives pour les corrompre et les empêcher de développer leur propre économie.
Au tournant du 19e siècle, les politiques néerlandaises ont changé pour maintenant défendre les droits des natifs au détriment des « étrangers ». Leurs activités illicites étaient dorénavant bannies, mais ils devaient aussi payer plus de taxes que les Indonésiens et le nouveau système de zonage les forçaient à vivre dans des zones spécifiques, qui étaient en fait des ghettos urbains(4). Les Néerlandais venaient de détruire toute possibilité de la minorité chinoise de s’intégrer puisqu’ils venaient de confirmer leur statut d’ennemi de l’État en leur imposant des réglementations différentes et désavantageuses.
L’animosité envers la minorité chinoise continua d’augmenter pour éclater très violemment une première fois en 1965, suite à un coup d’État. Suharto, un commandant de l’armée, a tenu le Parti communiste indonésien (PKI) comme responsable du coup et a repris le pouvoir en disant vouloir rétablir l’ordre. Suharto étant anticommuniste et ayant accusé la Chine d’être complice, les relations entre les deux pays ont été rompues pour n’être rétablies qu’au début des années 90(5). Suite au coup d’État, l’armée indonésienne a commencé une chasse aux communistes qui s’est terminée par le massacre de près d’un million de personnes, dont beaucoup de membres de la minorité chinoise.
Tout comme Sukarno l’avait fait avant, Suharto s’est basé sur la Pancasila, un concept idéologique qui regroupe les valeurs sur lesquelles la société indonésienne doit se baser pour fonctionner de manière unie. Ces valeurs sont donc considérées comme la norme et tout ce qui en sort est donc associé à une menace pour l’État. Ceux qui refusent ces valeurs unificatrices refusent que l’ordre soit rétabli dans la société. Les Sino-Indonésiens sont donc considérés comme un problème pour l’unité nationale puisque, si on regarde seulement le plan religieux, les cultures diffèrent.
Dans l’objectif de supprimer ces différences, le gouvernement va créer un programme d’assimilation pour la minorité. Les écoles, les organisations et les journaux chinois sont supprimés, ils doivent fréquenter les écoles indonésiennes, utiliser la langue nationale. L’utilisation de noms ou de caractères chinois est aussi interdite(6). Suharto cherchait donc à supprimer la culture chinoise(7).
Malgré ce discours, Suharto fit appel à la minorité chinoise pour développer l’économie du pays. Ils avaient plus d’expérience dans le commerce, en politique et ils avaient aussi accès à des capitaux(8). De plus, si des problèmes économiques se manifestaient, le gouvernement pouvait porter le blâme sur eux sans avoir trop de difficulté à convaincre la population, comme ce fut le cas en 1998. La crise économique qui frappa l’Occident en 97 eu des conséquences en Asie du Sud-Est l’année d’après et, alors que la population réclamait la démission de Suharto, le gouvernement accusa les Chinois d’Indonésie(9).
Cette affirmation a provoqué une réaction violente de la part de la population, mais à la fin de ce mouvement Suharto a tout de même démissionné. C’est à ce moment que les membres de la minorité chinoise ont réalisé que la population les voyait comme des non-Pribumi(10) et que s’ils ne s’impliquaient pas eux-mêmes en politique, ils finiraient par être détruits(11). Lors des élections de 2014, de nombreux Sino-Indonésiens se sont présentés pour occuper des postes gouvernementaux et cette population a pu utiliser son droit de vote. Suite au régime de Suharto, l’Indonésie s’est démocratisée, donc la population est devenue plus instruite et mieux renseignée quant à la situation des Sino-Indonésiens. De plus, la répartition des richesses dans l’ensemble de la population a fait en sorte que les Indonésiens ont aussi commencé à avoir accès au milieu économique. Ainsi, les reproches faits à la minorité en lien avec leur monopole du monde des affaires est tombé, contribuant ainsi à réduire les tensions entre les deux groupes. Les politiques liées au programme d’assimilation ont été révoquées et aujourd’hui, les Chinois d’Indonésie peuvent entre autres vivre publiquement leurs traditions culturelles et utiliser leurs noms chinois.
[1] Hoon, Chang-Yau 2008
[2] Sukma, Rizal 2009
[3] Franciska, Christine 2014
[4] Hoon, Chang-Yau 2008
[5] Sukma, Rizal 2009
[6] Hoon, Chang-Yau 2008
[7] Idem
[8] Idem
[9] Idem
[10] Idem
[11] Franciska, Christine 2014
Bibliographie :
Franciska, Christine. 2014, « New Voting Power of Chinese Indonesians ». Dans CBC News. En ligne. http://www.bbc.com/news/world-asia-27991754 (page consultée le 17 novembre 2014).
Hoon, Chang-Yau. 2008. Chinese Identity in Post-Suharto Indonesia : Culture, Politics and Media. [Leiden] : The Sussez Library of Asian Studies.
Sukma, Rizal. 2009. « Indonesia-China Relations : The Politics of Re-engagement ». Asia Survey, 2009 (Juillet-Août) : 591-608.