Par Hamza Fahamoé
Parmi les onze pays que compte la région Sud-Est asiatique, la Thaïlande est le seul à avoir su préserver son indépendance politique. L’ancien royaume Siam est composé de multitudes de minorités comme les Malais, les Karen, les Kachin, les Bisu entres autres. Devenu aujourd’hui la Thaïlande, «terre des Thaïs», ses frontières ont beaucoup changé au fil du temps pour se créer autour d’une identité commune. Les frontières thaïlandaises et cette identité commune représentent-elles aujourd’hui une identité thaïe, l’ethnie majoritaire, ou thaïlandaise, qui représente la Thaïlande? Tout d’abord, nous allons définir dans la mesure du possible ces deux termes, voire leurs constructions et leurs influences sur les limites terrestres, et finir par l’interprétation de ses frontières sur l’identité thaïe ou thaïlandaise dans les paragraphes suivants.
L’ethnie thaïe représente l’ethnie majoritaire en Thaïlande. Originaire du sud de la Chine, ils s’établissent dans le Yunnan au Ier siècle. Ils migrent ensuite vers la Thaïlande actuelle autour du XIème siècle. Ils pratiquent majoritairement le bouddhisme theravada, «doctrine des anciens», et parlent la langue thaïe, langue de la famille des langues daïques parlée par plus de 60 millions de locuteurs. Le terme thaïlandais, quant à lui, va désigner l’ensemble des 66 millions de citoyens du royaume, une identité créée de toute pièce par les pouvoirs centraux pour répondre à un problème d’époque, l’encerclement du pays par les Français et les Britanniques à travers leurs colonies.
À travers l’Indochine, la Birmanie et la Malaisie à ses frontières, le Siam, ancien nom de la Thaïlande avant 1939, est entouré par des puissances européennes colonisatrices qui sont le France et le Royaume-Uni. Comparable au Japon et la restauration Meiji, le Siam décide de se moderniser politiquement pour éviter la mise sous tutelle et le partage de ses terres par Londres et Paris. Le royaume Siam va donc moderniser son administration et sa bureaucratie en suivant l’exemple des pays européens. Il va aussi créer une identité inclusive pour rassembler tous les sujets, quelle que soit leur ethnie, pour asseoir sa légitimer sur ses frontières et en se basant sur les Thaïs. Premièrement parce qu’ils sont majoritaires, et de plus parce que c’est plus facile de se servir d’un modèle thaïe de base déjà existant au lieu de repartir de zéro.
Le bouddhisme theravada est la religion officielle de la Thaïlande, influençant la culture thaïlandaise, et est pratiqué par les monarques. Le Roi va représenter tous les Thaïlandais, qu’ils soient bouddhistes ou pas, sans être à la tête du bouddhisme d’État. Tout comme le Canada où la Reine qui est à la fois la cheffe d’État du pays, représentant tous les Canadiens sans distinctions de croyances religieuses, et est aussi à la tête de l’Église Anglicane. De la même façon, la monarchie de Bangkok va personnifier le peuple thaïlandais. L’identité thaïlandaise va donc se modeler autour de la langue thaïe, la monarchie et la religion bouddhiste. La religion va jouer un rôle important à travers à la création de l’identité thaïlandaise, à la fois par la monarchie et la culture, en étant partie intégrante de l’identité thaïlandaise.
Quant aux minorités limitrophes (les Malais ou encore les Karens), les autorités de Bangkok ont préféré les intégrer sans les assimiler. L’arrière-pensée de Bangkok est de rassembler aussi les minorités thaïes en dehors de son territoire, se trouvant en Malaisie par exemple. Le but était de montrer que l’identité thaïlandaise était à la fois inclusive et diversifiée. D’ailleurs on parle plus «des» cultures thaïlandaises que «de» culture thaïlandaise. Cette politique a plutôt bien réussi. Les Malais au sud n’ont jamais vraiment essayé de se rattacher à la Malaisie ou encore moins les minorités du nord à la Birmanie, bien que des mouvements sécessionnistes existent au sud. L’identité thaïlandaise possède des traits spécifiques tout en ayant des points perméables. Pour résumer, les minorités, bien qu’ayant une culture différente de l’ethnie thaïe, vont pouvoir se considérer Thaïlandais. Le Thaïlandais «suprême» va être Thaï, mais la porte va être assez ouverte pour que les minorités à travers le pays puissent se définir en tant que Thaïlandais de Thaïlande.
Pour conclure, on a vu ce qu’est l’identité thaïe ainsi que l’identité thaïlandaise. La première va se centrer autour de l’ethnie tandis que la seconde, bien qu’en se basant sur celle-ci, va s’appuyer sur les traits d’un État moderne avec l’appartenance civique à la nation. L’identité thaïlandaise, aujourd’hui, est donc la réalité de la Thaïlande, matérialisée physiquement par ses frontières. Elles représentent donc une identité thaïlandaise. Cependant, les frontières ne sont pas toujours terrestres. Elles peuvent aussi se caractériser par la mer, élément clé de la région. Et pour faire un lien avec un autre pays de la région, voyons donc les Philippines. Dans le cas des Philippines, ils n’ont aucun voisin terrestre, et ne possèdent que des frontières maritimes. Cet isolement est-il un avantage ou un inconvénient? Des éléments de réponse dans le prochain article.
Sources:
Erik Seidenfaden, 1958 «The Thai peoples». Vil. 1. The origines and habitats of the Thai peoples with a sketch of their material culture. Bangkok : Siam Society
Pascal Khoo Thwe, 1967 «Une Odyssée Birmane». Paris : Gallimard.
Jean Michaud, 2000 «Turbulent times and enduring peoples: mountain minorities in the South-East Asian massif». Richmond: Curzon 2000.