Par Clara Florensa
Dans l’histoire diplomatique de l’après-guerre mondiale, on ne peut concevoir la reconstruction d’un pays sans la participation de la communauté internationale. Néanmoins, le cas du Cambodge est des plus particuliers dans le sens où le rétablissement du pays repose entièrement sur l’aide internationale. Le rôle de l’Autorité provisoire des nations unies au Cambodge (APRONUC) dans la reconstruction du pays est un des exemples les plus valorisants de l’efficacité des institutions onusiennes ; après de nombreux échecs et inefficacités (notamment en ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Somalie, en Afghanistan…), l’APRONUC démontrerait donc l’utilité de l’ONU dans le règlement de conflits nationaux, justifiant ainsi le droit d’ingérence (1). Pour le Cambodge, la reconstruction est passée par la réintégration du pays, tant au niveau régional qu’international. Cette intégration était fortement conditionnelle à l’établissement du régime stable et d’apparence démocratique que l’APRONUC a encouragé. Mais peut-on en conclure que l’intégration au système-monde a permis l’essor d’une démocratie au Cambodge et dans quelle mesure ?
La politique extérieure du Cambodge est fortement orientée sur ses échanges commerciaux. Dans ce cadre, le gouvernement a dû se plier aux exigences des organismes et pays avec lesquels il a souhaité faire affaire. Ainsi, pour adhérer à l’ASEAN (1999) et à l’OMC (2004), le Cambodge a mis en place des politiques économiques libérales, mais il a surtout dû démontrer la stabilité de sa démocratie. L’entrée du Cambodge à l’ASEAN était prévue pour 1997, mais les conflits et les abus de pouvoir perpétrés par le parti du peuple cambodgien (PPC) en cette même année vont décourager les membres de l’ASEAN ; le Cambodge devra prouver avec les élections de 1998 la légitimité du pouvoir du PPC (2). Ces évènements vont également affecter les relations bilatérales du pays avec les pays dits occidentaux, notamment les États-Unis qui vont proférer de très vives critiques quant aux institutions démocratiques et au respect des droits humains, suspendant leurs aides financières dans les périodes de tension.
Les interlocuteurs occidentaux réclament des preuves du bon fonctionnement de la démocratie (comme l’ont été les élections de 1998), mais s’agit-il d’une préoccupation réelle ou d’une question d’image?
Au niveau régional, l’intégration du Cambodge est liée à son adhésion à l’ASEAN. Les avantages de nature économique sont bien connus : l’ouverture d’un marché en expansion constante, l’aide au développement de l’industrie, des exportations… ne font aucun doute. Mais l’ASEAN a aussi permis au Cambodge d’intégrer un groupe de pays occupant une place de plus en plus importante dans les dynamiques mondiales, augmentant ainsi son influence diplomatique. L’adhésion à l’ASEAN a contribué à apaiser et régler la majorité des tensions entre le Cambodge et ses voisins directs : la Thaïlande et le Vietnam. Des tensions concernant la délimitation des frontières, les flux d’immigration et de réfugiés… renvoyant à l’appréhension des envahisseurs qui a poussé le Cambodge à demander le protectorat français par le passé. Cette entente a encouragé la fortification des liens commerciaux et des accords sur l’exploitation commune de ressources off shore (3).
Au niveau international, le rôle de l’ONU est indéniable dans la démocratisation du Cambodge ; les organismes onusiens maintiennent leur influence dans le pays à travers d’organismes qui contrôlent le respect des droits humains, de la démocratie et encouragent des programmes de développement. De nombreux organismes internationaux liés au développement (Banque Mondiale), ONG et autres associations internationales sont aussi présents sur le terrain. Mais la plupart des aides au développement se font à la suite d’accords bilatéraux entre le Cambodge et ses partenaires. Ainsi, entre 1993 et 2006, on estime à 6 milliards de dollars le montant des aides attribuées au Cambodge par des États (4). Il s’agit ici d’une course à l’investissement dans un nouveau marché, d’un jeu d’influence. Et dans ce jeu, on retrouve en première ligne et en concurrence directe le Japon et la Chine, qui cherchent à asseoir leur influence dans une des régions les plus dynamiques du monde. Les puissances occidentales, et notamment les États-Unis, se bousculent aussi pour contrebalancer l’influence chinoise dans la zone. Ainsi, les aides au développement des infrastructures de confection, de l’armée, des plans d’aide à la pauvreté, mais aussi les accords commerciaux représentent le nerf de la guerre pour la domination de ce nouveau marché en émergence. La Chine apparaît ici comme l’un des pays les plus influents, se présentant comme le seul pays qui respecte la souveraineté cambodgienne (5) face à l’ingérence occidentale. Du reste, on voit récemment apparaître un nouveau type de rapport entre le Cambodge et le Moyen Orient, des pays tels que le Qatar ou le Koweït rachètent des terres de culture afin de pallier à leurs besoins alimentaires.
S’ajoutant à cela, l’enjeu du Tribunal international mixte vient ajouter à l’interventionnisme international dans les questions internes cambodgiennes. Les entraves mises en place par le Cambodge sont sources de tension diplomatique. Le développement du Cambodge va-t-il permettre d’instaurer une diplomatie forte et indépendante, où va-t-il accroître le lien de dépendance envers des puissances souhaitant élargir sa zone d’influence ?
(1) Cambodge contemporain p.287
(2) Le Cambodge de 1945 à nos jours p.151
(3) Le Cambodge de 1945 à nos jours p.153
(4) Ibid p.165
(5) Ibid p.159
Références:
Richer, Philippe. 2009. Le Cambodge de 1945 à nos jours. Paris : Presses de la fondation nationale des sciences politiques.
De Vienne, Marie-Sybille. 2008. « Le Cambodge entre intégration et désintégration». Dans Alain Forestier dir., Cambodge contemporain. Paris : Les Indes savantes, 257-289.
France. Page officielle du Sénat.“Le Cambodge à l’entrée du 21e siècle”. 2007. En ligne: http://www.senat.fr/ga/ga75/ga751.html (page consultée le 17 novembre 2013)
Rochigneux, Grégoire. « Entretien avec Cham Prasidh, ministre du Commerce cambodgien »,Outre-Terre 1/2004 (no 6), p. 239-243.