L’aide humanitaire au Cambodge

Par Clara Florensa

Le défunt roi Norodom Sihanouk, symbole du nationalisme cambodgien, déclarait en 2002 : « Nous devenons une nation de mendiants et ne survivons, d’ailleurs très mal, que grâce au riz et autres aides de l’étranger et des gros capitalistes. » (1). En effet, le Cambodge est sous profusion d’aide humanitaire en provenance d’organismes internationaux, de pays divers, d’ONG… depuis les années 1990. En 2007, on estimait à 50% la part de l’aide internationale dans le budget de l’État (2), le Cambodge est donc l’un des pays ayant reçu le plus d’aide humanitaire durant ces dernières décennies. L’exemple le plus flagrant de cette aide est incarné par l’abondance d’ONG dans le pays. Elles étaient 1500 enregistrées au ministère de l’intérieur en 2008 (3), un chiffre qui ne cesse de s’accroître. Le Cambodge est aujourd’hui l’un des pays avec la plus grande proportion d’ONG par habitant. Mais de plus en plus, des voix s’élèvent pour dénoncer les méfaits de cet « excès d’humanitaire » (4) et contestent la légitimité en plus de l’efficacité de ces organismes internationaux dans le développement du Cambodge.

En 1979, la fin du régime autarcique des Khmers Rouges avec l’occupation vietnamienne marque l’arrivée des ONG internationales dans le royaume. Le gouvernement mis en place par les vietnamiens va rapidement demander une assistance à la communauté internationale prétextant l’urgence de la famine. Les divers observateurs placés à la frontière avec la Thaïlande vont confirmer la situation de crise à travers l’arrivée de ressortissants cambodgiens dans les camps de réfugiés thaïlandais. C’est le début de la dénommée « diplomatie de la faim » (5). Dans le difficile contexte de la Guerre Froide, les ONG vont devoir se placer face à la domination communiste vietnamienne, en plus d’un vide institutionnel causé par l’absence de reconnaissance du nouveau gouvernement par la communauté internationale ; c’est la situation d’urgence qui va forcer l’intervention internationale, de façon discrète dans un premier temps. On peut dire que la déferlante d’ONG aura lieu au début des années 1990 lors de l’instauration de l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC), période qui correspond aussi à la prise de conscience du génocide cambodgien par l’opinion publique internationale au travers de la presse. Cette arrivée massive d’aide dans un contexte de reconstruction des institutions étatiques est souvent qualifiée de « cohue humanitaire » (6) de par le manque de coordination et de contrôle qui la caractérisent.

On estime le montant apporté par les ONG à 80 millions de dollars chaque année (7). Une aide qui a fortement contribué à la reconstruction du pays et qui aujourd’hui se concentre sur quatre secteurs : l’éducation, le développement social, la santé et le développement rural. L’aide est la bienvenue et les effets de celle-ci sont visibles. Mais de plus en plus, des voix se lèvent qui remettent en question l’efficacité de l’action des ONG et ses bienfaits pour le Cambodge. Voilà plus de vingt ans que les ONG opèrent dans le pays et il reste l’un des plus pauvres pays au monde. Les ONG se concentrent à Phnom Penh, la capitale, et sa région, laissant les zones rurales du Nord dépourvues d’assistance.  Ces inégalités dans l’aide, ajoutées aux accusations de corruption et détournement qui pèsent sur un certain nombre d’ONG et de fonctionnaires cambodgiens entachent durablement la réputation des ONG. D’autre part, beaucoup d’observateurs craignent que les ONG se soient octroyé le rôle du gouvernement dans certains aspects : « les ONG ont dépassé leur rôle de restructuration de la société pour finalement se substituer à l’effort national » (8). En effet, le gouvernement dédie la plupart de ses fonds à la défense, assumant que les ONG s’occupent du développement des infrastructures et des services primaires. On vient donc à en craindre pour l’indépendance d’un État cambodgien encore instable. De plus, les ONG contribuent à une part de l’économie cambodgienne : les dépenses de fonctionnement des ONG et de vie des expatriés qui y travaillent deviennent de moins en moins négligeables. Les employés locaux forment une nouvelle classe moyenne, les salaires étant jusque trois fois plus élevés que dans la plupart des entreprises cambodgiennes. Ainsi, beaucoup craignent une monopolisation des travailleurs les plus formés par les ONG au lieu de se dédier à des postes administratifs, politiques… qui amèneraient le développement du pays par la fortification de ses institutions.

En somme, les ONG sont une facette non négligeable du panorama politique, économique et social du Cambodge moderne. Le pays est aujourd’hui perçu comme un laboratoire des bienfaits ou méfaits de l’aide humanitaire. Seul le développement du pays dans un sens ou l’autre permettra de mesurer la dépendance générée par la présence de ces ON

(1)  Cambodge Soir, p.98


(2)  Human rights watch


(3)  Le Panoptique


(4)  Ibid


(5)  Les liaisons dangereuses du témoignage humanitaire et des propagandes politiques


(6)  Les ONG occidentales au Cambodge


(7)  Ibid, p.16

(8)  Ibid p.26

Références:

Trannin, Sabine. 2005. Les ONG occidentales au Cambodge : la réalité derrière le mythe. Paris : L’Harmattan.

Berelowitch, Irène. 2003. « Aide internationale : quels bénéfices pour les pauvres ? ». Dans Grégoire Rochigneux dir., Cambodge soir : chroniques sociales d’un pays au quotidien. Paris : IRASEC.

King Ruel, Geneviève. « Excès d’humanitaire ? Réflexions sur les ONG au Cambodge », Le Panoptique, Édition no.35, Août 2008.

Human Rights Watch, «Cambodia: Donors Must Hold Government Accountable». 2007. En ligne: www.hrw.org/english/docs/2007/06/15/cambod16195.htm (page consultée le 25 novembre 2013)

Rony Brauman. 2006 « 11. Les liaisons dangereuses du témoignage humanitaire et des propagandes politiques », dans Crises extrêmes.  Paris: La Découverte p. 188-204.



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