Par Nicolas Pilon
Quarante ans après la déclaration de son indépendance, Singapour est devenue une puissance économique et financière, et probablement le port le plus important au monde. Véritable emblème du capitalisme dans la région, la petite cité-État fait aujourd’hui affaire dans les plus grands marchés. Leader dans les télécommunications et la biotechnologie, indice de développement humain élevé, l’un des PIB par habitant des plus élevés, comment expliquer la formidable ascension d’un pays étant dépourvue de ressources naturelles, source de convoitise dans une région politique explosive et ayant un marché intérieur faible[1], parmi les grands États industrialisés et dits « développés » de ce monde?
Taxes peu élevées ou inexistantes, infrastructures industrielles et de télécommunication ainsi que la promesse d’une main-d’œuvre bon marché, compétente et disciplinée fut le message envoyé aux multinationales afin de les convaincre de la viabilité économique de la cité-État, possible entre autres grâce aux infrastructures économiques robustes que sont le port et l’aéroport de Singapour. Il s’agissait d’une stratégie à deux volets : d’abord, attirer un important nombre de capitaux et d’investissements étrangers par le billet de multinationales, puis établir un capitalisme d’État[2], notamment par l’entremise de Singapore Incorporated. Les riches étant plutôt rares et surtout n’ayant pas de marché local où consommer, le marché intérieur étant au bord du gouffre, la machine capitaliste ne peut démarrer en s’appuyant sur ces derniers. Du coup, l’État devient lui-même un entrepreneur actif : Singapour Incorporated prend le rôle d’investisseur et devient pratiquement garant du développement économique du pays insulaire. Son rôle devient primordial lorsque vient le temps de tisser des alliances financières et de développement économique : il agit en tant que lien direct entre les investisseurs et le gouvernement.
L’économie de Singapour est fortement orientée vers l’exportation de produits manufacturés[3]. Évidemment, les politiques favorisant la libéralisation du commerce, surtout celles liées à l’exportation, ont été mises de l’avant. L’ouverture sur la mondialisation et la diplomatie économique de Singapour au fil des années l’ont conduit à un État référence dans la matière. Ces accords et liens d’échanges sont majoritairement faits avec des pays avancés et hautement industrialisés, contribuant à l’élévation de la projection mondiale du petit pays. Ces liens bilatéraux avec l’Europe et les États-Unis ont fait de Singapour le petit protégé de l’occident dans la région, les intérêts financiers et économiques de ces derniers étant constamment en augmentation[4]. Et ils ont été profitables : depuis 2003, la balance commerciale des biens et services n’a jamais descendu en bas de 25% du PIB, hormis 2008, à 22%[5]. C’est un indicateur significatif qui démontre, une fois de plus, l’importance cruciale de l’exportation dans l’économie de Singapour. Pourtant, ce qui semble étonnant, c’est que plus de 50% des investissements étrangers de Singapour restent en Asie[6].
Les relations de Singapour avec ses voisins, la Malaysia et l’Indonésie, de façon plus précise, relèvent d’une certaine ambiguïté[7]. En effet, malgré « la nécessité de passer outre ses voisins »[8] pour le gouvernement singapourien, ils restent indispensables : l’espace, les ressources naturelles, énergétiques, ainsi que la main-d’œuvre et l’eau sont des nécessités pour le bon fonctionnement de l’État Singapourien. L’envahissement du capital singapourien dans certaines régions de ces pays lance un message clair dans ce sens. Pourtant, Singapour s’apparente bien plus à la Corée du Sud et à Taiwan à ce niveau : ces trois pays ont en commun une nouvelle économie industrielle basée sur l’exportation, un développement économique surtout étatique, le pari (réussi) de l’industrie des hautes technologies et le développement d’une économie à hautes valeurs ajoutées[9]. On parle ici d’un dynamisme régional où la cité globale qu’est Singapour jour un rôle important[10].
Toutes ces similitudes sont toutefois possibles grâce à la docilité de la population. Plusieurs politiques ont été instaurées dans ce sens. L’anglais est la seule langue imposée dans les écoles, ce qui brise la barrière de la langue lors des échanges. Sans compter l’interdiction totale de grèves, les syndicats sont tous regroupés sous la même bannière[11]. Le National Trade Union Congress (NTUC), normalement censé représenter les travailleurs et leurs demandes, fonctionne plutôt dans la perpétuation de la prospérité économique et travaille main dans la main avec le gouvernement. Puis, la méritocratie basée sur l’accumulation de biens matériels étant apparente à une religion à Singapour, tous sont bien heureux tant que l’argent et la consommation sont présent[12].
En somme, les politiques favorables au libéralisme de marché, le rôle de l’État dans le développement économique de sa cité, les accords internationaux sans oublier l’ancrage régional ainsi que la docilité quelque peu forcée de la population Singapourienne constituent des éléments pouvant expliquer le fameux miracle économique que représente la cité-État.
[1] Dent, 2002, p. 64.
[2] De Koninck, 2006, p. 62.
[3] http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMImportExportPays?codePays=SGP
[4] Dent, 2002, p. 98.
[5] http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=7&codeStat=NE.RSB.GNFS.Z&codePays=SGP&codeTheme2=1&codeStat2=x&langue=fr
[6] http://www.singstat.gov.sg/statistics/browse_by_theme/investment.html
[7] De Koninck, 2006, p.135.
[8] Propos de Lee Kuan Yew, De Koninck, 2006, p.135.
[9] Propos de Lee Kuan Yew, De Koninck, 2006, p.135.
[10] Idem.
[11] Régnier, 1987, p.179.
[12] De Koninck, 2006, p. 108.
Bibliographie
De Koninck, Rodolphe. 2006. Singapour. La cité-État ambitieuse. Paris, Éditions Belin, collection Asie Plurielle, France.
Dent, Christopher M. 2002. The foreign economic policies of Singapore, South Korea and Taiwan. Northampton, Éditions Edward Elgar, États-Unis.
Economic Development Institute of The World Bank. Édité par Mody, Ashoka. 2002. Infrastructure strategies in East Asia : The Untold Story. World Bank Institute.
Régnier, Philippe T. 1987. Singapour et son environnement régional. Étude d’une cité-État au sein du monde malais. Paris, Presses Universitaires de France.
Université de Sherbrooke. 2013. Perspective Monde. En ligne. (page consultée le 2 octobre 2013) http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/pays/SGP/fr.html