Par Clément Rivière,
« Le drame d’un pays qui accepte la collaboration plutôt que la résistance, c’est qu’en même temps, il renonce à lui-même et à ses valeurs » [1]. La présence coloniale, imposée par la France en 1858, a entrainé l’émergence d’un nationalisme radical et la fixation d’une idéologie marxiste au Vietnam. Les bouleversements que provoque la colonisation engendrent un nationalisme territorial, soit l’idée d’un sentiment d’appartenance à une même communauté au sein de la zone colonisée. Et les mouvements nationalistes adoptent plusieurs formes de résistance, allant de l’idéologie à la révolution.
De la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’en 1945, l’émergence et la prise de pouvoir des mouvements nationalistes au Vietnam se fait en deux mouvements.
Le choc colonial et l’impact de la colonisation française (1858-1925)
L’histoire de ce pays a été longtemps touchée par l’occupation étrangère. Le Vietnam est envahi très tôt par la Chine et il sera occupé pendant près de mille ans. En 938, suite à une révolte, le pays devient un territoire indépendant mais il n’est pas unifié et se trouve divisé en grandes dynasties. Il est unifié seulement au XIXe siècle et après 900 ans d’indépendance, le territoire est annexé à l’empire colonial de la France en 1883, et le Vietnam est de nouveau divisé en trois zones : le Nord (Tonkin), le Centre (Annam) et le Sud (Cochinchine) [2].
La colonisation se fait par le biais des missionnaires français qui utilisent le catholicisme comme moyen d’assujettissement des habitants locaux [3]. Les prêtres français remplacèrent l’écriture traditionnelle confucéenne en introduisant une nouvelle langue, le quốc ngữ, une écriture phonétique romanisée conçue par des missionnaires jésuites au XVIIe siècle [4]. C’est donc la diffusion des idées colonialistes et le reniement de la culture locale qui fit émergé un fort sentiment anticolonial entrainant de nombreux mouvements protestataires contre les abus des colons. Comme le Can Vuong qui est un mouvement national et paysan, dirigé par les Lettrés (Van Than), et luttant contre la domination française [5].
Cependant, l’élite de la première génération nationaliste, attachée aux valeurs confucéennes de la monarchie et de l’empire, va être divisée entre deux orientations : la résistance ou la collaboration. En effet, les enjeux économiques deviennent importants et une partie de l’élite locale, composée de propriétaires terriens, veut collaborer avec l’administration coloniale pour préserver ses avantages [6].
Ainsi, l’option loyaliste envers l’administration française est privilégiée de 1870 à 1920. Cependant, face aux humiliations et à l’exploitation des travailleurs locaux, les insurrections continuent et à partir de la fin des années 1920 une nouvelle génération, formée de jeunes intellectuels partisans du mouvement bolchévique, se met sur le devant de la scène nationaliste dans l’optique de briser le pouvoir colonial et de former un véritable État.
L’émergence d’un nationalisme radical et l’influence de l’idéologie marxiste (1925-1938)
La contestation politique va prendre le devant de la scène nationaliste. Les adeptes de ce nouveau nationalisme vont privilégier l’écriture et la parole pour diffuser les idées remettant en question l’autorité du gouvernement colonialiste. Son émergence est principalement dut aux développements technologiques et industriels de l’époque ainsi qu’à l’essor de l’éducation moderne par le régime colonial. Ce dernier lança une politique éducative ayant pour objectif de produire une élite indigène acculturée, politiquement fiable et reconnaissante, susceptible de participer aux activités de l’administration française. Pour ce faire, se créa un système d’échange scolaire entre la métropole et la colonie. Étant donné qu’il n’y a pas de nation sans l’existence d’une langue nationale, l’instruction offerte par les colons a permis en effet la construction d’une communauté imaginée, propre au nationalisme, en contribuant à accroitre l’alphabétisation du pays entre 1920 et 1945 [7].
De plus, le départ des jeunes intellectuels en Europe fait qu’ils vont découvrir les nouvelles idées diffusées au sein du vieux continent, comme les valeurs démocratiques et surtout l’idéologie marxiste qui est très présente. Cette jeunesse nationaliste va donc être le témoin des contradictions existantes entre la métropole et la colonie et aura pour but de chasser le pouvoir colonial en entrainant l’émergence d’une véritable « nation » vietnamienne [8]. L’exemple le plus connu d’un des dirigeants nationalistes issus de cette nouvelle génération, est celui de Ho Chi Minh. Nguyen Tat Thanh, alias Nguyen Aic Quoc, partit faire ses études en Europe et en 1920 il adhère à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) à paris [9].
Dès lors, c’est la France qui a éclairé ses convictions nationalistes. Puis, il atterrit à Moscou où le Parti communiste russe lui confie la mise en place des partis communistes dans les pays du Sud-Est asiatique. Et en 1930, avec l’aide la Chine, Nguyen fonde le Parti communiste indochinois (PCI) qui va entrer dans la lutte pour l’indépendance en reprenant l’idéologie marxiste. Il va donc être une des pièces maitresse de l’intelligentsia vietnamienne contribuant ainsi à l’essor du nationalisme par l’émergence de groupes révolutionnaires. Il est donc clair que pour Nguyen, le nationalisme sera sa volonté et le communisme sera son objectif [10].
Au fil des années 1930, face à la sévère répression et à l’autoritarisme colonial français, le combat pour l’émancipation nationale de l’élite intellectuelle s’étendit dans les villages. Et le peuple, convaincue de son malheur, se mit à prendre les armes. Avec l’aide de la classe paysanne, la lutte nationaliste, dirigée par le PCI, se transforme en révolution et les mouvements s’amplifièrent du Nord au Sud. Le PCI crée en 1941, une organisation politique et paramilitaire : la « Ligue pour l’Indépendance du Viêt-Nam » (Vietminh). Et, en 1945 Ho Chi Minh devient le président et proclame la République démocratique du Viet-Nam et l’indépendance du pays [11].
Bibliographie :
[1] CADIOT, Marc et NOLAN, Betsy (1972), Hexagone Papers : cent ans de guerre au Viêt-Nam 1859-1972, Poitiers, Éditeur la Jeune Parque, 170 p.
[2] REGAUD, Nicolas et LECHERVY, Christian (1996), Les guerres d’Indochine du Xe au XXe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, p. 77-94.
[3] idem.
[4] NGUYEN The Anh (1992), Monarchie et fait colonial au Viêt-Nam (1875-1925) : le crépuscule d’un ordre nouveau, Paris, Éditions l’Harmattan, p. 259-284.
[5] FOURNIAU, Charles (1989), Annam-Tonkin (1885-1896) : lettrés et paysans vietnamiens face à la conquête coloniale, Paris, Éditions l’Harmattan, p. 271-281.
[6] PECQUEUR, Jean-Piere (2009), Indochine-France : conquête et rupture 1620-1954, Paris, Éditions Alan Sutton, p. 41-78.
[7] idem.
[8] NGUYEN The Anh (1992), Monarchie et fait colonial au Viêt-Nam (1875-1925) : le crépuscule d’un ordre nouveau, Paris, Éditions l’Harmattan, p. 259-284.
[9] idem.
[10] PECQUEUR, Jean-Piere (2009), Indochine-France : conquête et rupture 1620-1954, Paris, Éditions Alan Sutton, p. 41-78.
[11] idem.