Par LisaThuc Duyên Hua
Quiconque se promène dans les quartiers riches de Montréal tombe souvent sur des femmes asiatiques à l’allure modeste poussant des landaus ou tenant par la main des enfants blancs, rejetons de la classe fortunée de la ville. Ces femmes sont des Philippines, vraisemblablement des aides familiales. Qu’est-ce qui motive ces femmes à venir jusqu’ici, si loin de chez elles ? Est-ce un phénomène uniquement canadien ? Quels sont leurs conditions de vie et leur statut ? Le gouvernement philippin a-t-il des intérêts dans l’exportation de sa main-d’œuvre ?
Depuis plusieurs décennies, et surtout depuis la mondialisation, des groupes de populations importants se déplacent d’un continent donné vers un autre. Ceux qui quittent leur pays sont motivés par l’instabilité politico-économique, voire la guerre. Les pays d’accueil sont des pays riches, préoccupés par la baisse de leur natalité et de leur main-d’œuvre locale. Les Philippines n’échappent pas ce phénomène. 10 % de la population philippine, soit 7,4 millions de personnes, sont actuellement dispersés dans 193 pays[1]. Après une longue tradition de travailleurs émigrés philippins vers les États-Unis au début du 20e siècle, puis vers le Moyen-Orient lors du boom de la construction dans les années 70, la main-d’œuvre philippine émigrée d’aujourd’hui a le visage d’une femme. Selon POEA (service d’administration philippine du travail outremer), les travailleuses philippines à l’étranger constituaient en 2003 70 % des travailleurs émigrés philippins[2]. Âgées entre 25-29 ans, quelques unes au Québec sont infirmières et aides-soignantes dans des résidences pour personnes âgées, bénéficiant d’un statut légal. Mais la vaste majorité d’entre elles est plutôt recrutée pour des tâches domestiques : bonnes d’enfants, cuisinières, dames de compagnie pour personnes âgées aisées. En situation précaire, elles n’ont droit à aucune assurance-chômage ni assurance-maladie, encore moins à des prestations de retraite. Leurs employeurs bénéficient ainsi d’une main-d’œuvre bon marché et fiable. Car ces domestiques nouveau genre ne sont pas forcément issues d’un milieu non éduqué. Certaines d’entre elles, institutrices ou comptables dans leur pays, aident les enfants des familles anglophones de Montréal dans leurs devoirs, tout cela après avoir fait la cuisine, la vaisselle et la lessive[3]! Ce phénomène ne se passe pas uniquement au Canada, les Philippines louant leurs services également en Europe, dans les pays riches d’Asie et du Moyen-Orient. En plus d’un salaire plus que modeste, elles sont souvent maltraitées et violentées. Devant cet exode massif, on peut s’interroger pourquoi le gouvernement philippin laisse-t-il autant de milliers de personnes quitter son sol chaque année ?
Gloria Arroyo, actuelle présidente des Philippines, proclamait récemment que pendant que certaines nations se contentaient d’envoyer des véhicules à leurs citoyens vivant dans les pays riches du Moyen-Orient, les Philippines, elles, y envoyaient de «super bonnes» pour les servir. Cette exportation de main d’œuvre institutionnalisée de l’exportation par le gouvernement philippin ne date pas d’hier. Après trois siècles de colonisation espagnole, les Philippines n’obtinrent leur indépendance qu’en1946 avec l’aide des États-Unis dont l’intérêt était de faire déguerpir l’occupant japonais[4]. Depuis, de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos à Gloria Arroyo, tous les présidents qui se succédèrent sombrèrent dans la corruption, entraînant des oppositions vives à leur régime, suivies de répressions militaires brutales, ce qui fit fuir les investisseurs étrangers et créer des conditions économiques désastreuses. Tous, afin de créer des infrastructures sociales et économiques, durent emprunter à des banques étrangères et devenir dépendants du FMI. Ce désastre économique avec ses années de récession explique principalement l’exode des travailleurs et travailleuses philippins tout au long du vingtième siècle. Mais aujourd’hui, face à des pays riches en demande d’une main-d’oeuvre précaire bon marché, ce sont particulièrement les femmes qui s’exportent, encouragées en cela par le gouvernement qui en a fait une composante de sa stratégie économique[5].
L’émigration est devenue en effet l’une des principales sources de rentrées de devises au pays : 12 à 14 milliards de US$ par an. Ce chiffre ne représente que les revenus des secteurs de travail les plus représentés envoyés au pays, tandis que ceux des femmes sont souvent non-documentés[6]. Les domestiques philippines à l’étranger renvoient mensuellement au pays une partie de leurs salaires (environ 200 US$). Ces revenus, qui non seulement contribuent aux frais de scolarité et aux soins de santé des enfants laissés derrière elles, sont aussi l’objet de taxes gouvernementales. La majeure partie de ces sommes servent à rembourser ses dettes vis-à-vis des banques étrangères, n’en laissant que peu pour répondre aux besoins reliés à la création d’emplois.
Les conséquences de cet exode féminin à l’étranger sont graves. Sur le plan social et individuel, en même temps qu’une désintégration du milieu familial[7]. On assiste à la perte de repère des enfants, à la dévalorisation d’une éducation des femmes qui ne sert plus à rien, à la perte du respect de soi. Sur le pan économique, les grands gagnants sont bien entendu les marchés financiers et les institutions de transfert d’argent dans les pays du Nord. Le gouvernement philippin ne tire même pas son épingle du jeu, car malgré l’importance des rentrées de devises générées par les travailleuses à l’étranger, il est incapable d’investir dans des projets productifs à long terme dans le cadre d’une économie durable, et se contentent de pratiquer une politique de survie.
Bibliographie
- Olaer, Eva, 2007. «Philippine’s Main Export Trade :Development Or Devastation? » British section of the Fourth International.Socialist Resistance : SR46 – Summer 2007.
- Hega, Mylène. 2003. Participation of Women in Philippine Politics and Society: A Situationer. PhilippineOffice : Secretary General of MAKALAYA (Women Workers Network) for the Friedrich-Ebert-Stiftung
- Rousset. Sally.1997.«La douloureuse expérience de l’émigrée philippine». En ligne. http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-3759.html ( Page consultée le 30 novembre 2009)
- Rousset, Sally. 2003.«Femmes philippines émigrées à l’heure de la mondialisation : actrices et victimes du développement» En ligne. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article2570 (Page consultée le 29 novembre 2009)
- Wurfel, David. 2001.« Les Philippines : Une démocratie hésitante» Revue Internationale de Politique Comparée 8 (n° 3) : 501-516.
[1] Rousset. Sally.1997.«La douloureuse expérience de l’émigrée philippine»
[2] Olaer, Eva, 2007. «Philippine’s main export trade :Development or devastation?
[3] Rousset. Sally.2003.«Femmes philippines émigrées à l’heure de la mondialisation :..
[4] Wurfel, David. 2001.« Les Philippines : Une démocratie hésitante»
[5] Olaer, Eva, 2007. «Philippine’s main export trade :Development or devastation? »
[6] Olaer, Eva, 2007. «Philippine’s main export trade :Development or devastation? »
[7] Hega, Mylène. 2003. Participation of Women in Philippine Politics and Society