Par Hoai-An Tran
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«Les dirigeants communistes vietnamiens ne visent pas à développer l’économie, mais leur objectif est de garder le pouvoir en main[1]» clame Hoang Lan qui est membre du Free Alliance Vietnam, un groupe d’opposition dont les activités se font à partir de l’extérieur du pays. Son commentaire fait écho à une situation qui nous est déjà familière; celle d’une croissance économique orchestrée par un régime autoritaire. Ainsi, la prospérité des deux dernières décennies au Vietnam constituerait-elle un argument additionnel en faveur des capacités de l’autoritarisme en matière de croissance économique? Tout semble l’indiquer puisque le Parti communiste vietnamien (PCV) a non seulement réussi la réforme du Đổi mới; il s’en ait servi pour renforcer sa légitimité ainsi que son pouvoir sur la scène politique.
Le Vietnam est, depuis son unification en 1975, toujours dirigé par le même régime : le Đảng Cộng sản Việt Nam (PCV). Étant de ce fait une République socialiste menée par un parti unique stable, l’institution d’une politique économique de marché en 1986 (élaborée ci-dessous) apparaît pour le moins contradictoire. Une discorde qui, dans les faits, en est une que sur le plan théorique. En effet, peu importe le degré de libéralisation de son économie, le parti n’entend pas relâcher son contrôle politique de si tôt[2]. Les ministères, l’armée, les structures de sécurité interne, les médias, et même les plus grosses entreprises; tous sont contrôlés par des membres du parti[3]. Alors que les officiers du PCV font souvent référence à l’absence d’opposition comme preuve de consensus social à leur égard[4], le quotidien révèle plutôt une population oppressée. Bien que le Parti démente farouchement l’existence de prisonniers politiques[5], il est connu que les militants pro-démocratie sont souvent emprisonnés sous des accusations de terrorisme[6] ou autres condamnations en lien avec la sécurité nationale[7]. Sans excuser ces moyens, reste que la prééminence du PCV a fait du Vietnam l’un des pays les plus stables de l’Asie du Sud-Est[8] et donc, l’un des plus propices à la croissance économique.
Le développement du Vietnam, tel que l’on le connaît aujourd’hui, trouve ses racines dans le contexte de la guerre froide. Effectivement, le retrait du support soviétique (financier autant que politique) fut l’élément déclencheur de la réforme du Đổi mới. Le besoin d’action se fit imminent devant la disparition soudaine de près de 2,5 million$ en aide militaire et économique annuelle, ainsi que des centaines de milliers d’emplois[9]. Le Vietnam se brûlait alors les mains avec une hyperinflation de 774,76% (fin 1986)[10], ainsi qu’une dette de 8,5 millions RUB et de 1,9 million $US, en plus d’être dépendant de l’importation pour ses denrées de base telles que le riz[11]. S’il ne voulait pas être entraîné dans la chute de l’URSS, le Vietnam devait changer.
La Đổi mới fut la réponse du régime; «a market-oriented socialist economy under state guidance[12]». En d’autres mots, la stratégie visait la mise en place d’une économie multisectorielle menée par les entreprises privées et sous la supervision du gouvernement[13]. Toutes les mesures nécessaires à la matérialisation de cette politique se mirent donc en place; de la dé-collectivisation des terres agricoles à la baisse des tarifs douaniers, sans oublier l’ouverture aux investissements étrangers[14]. Résultat : la production du pays croît depuis lors à un rythme annuel aux alentours de 7,5%[15]. Toutefois, les progrès au plan économique n’ont pas suivi sur le front politique[16]. Au contraire, l’ambivalence est flagrante lorsque l’on constate le maintient du monopole du pouvoir par le PCV[17] sur des développements économiques de plus en plus libéralisés. Encore aujourd’hui, la part substantielle qu’accaparent les activités des entreprises d’État[18] dans l’économie nationale prouve le développement économique ordonnée et calculée par le haut[19]. Rappelons-nous que le Vietnam se définit toujours en tant que marché économique socialiste[20], de sorte que «the state is viewed as representing the long-term interests of the whole nation[21]». La distinction entre gouvernement et parti politique étant dénué de sens dans le cas de ce pays[22], le Parti communiste a ainsi justifié son influence permanente sur les changements structurels de la nation. Une légitimité qui sera de plus en plus consolidée au fil des succès.
Effectivement, le règne communiste semble être accepté par la majorité des Vietnamiens pour autant que le gouvernement maintienne la prospérité et les services publics[23]. Un consentement non seulement national, mais aussi international. L’ouverture du marché vietnamien permit entre autre un rétablissement de liens avec les États-Unis (qui avaient imposé un embargo sur le pays suite à la guerre du Vietnam)[24], ainsi que son inscription dans bon nombre d’organisations multilatérales. Que se soit l’ASEAN, l’APEC et plus récemment, l’OMC[25]; l’intégration du Vietnam à la scène internationale, tout comme les interactions intergouvernementales qui en découlent, apportent de façon implicite une reconnaissance au régime du Parti communiste vietnamien.
Bref, Hoang Lan avait vu juste. Le développement économique du pays de l’oncle Ho a en effet servi au PCV. À l’image du People’s Action Party de Singapore, le Parti communiste vietnamien a su préserver son pouvoir en apportant une croissance économique[26]. Toutefois, il est intéressant de réitérer le fait que Hoang est membre du Vietnam Reform Party, et représente du fait même l’existence d’une opposition au régime. La prospérité de la population vietnamienne est encore trop jeune et précaire pour envisager un ralliement de masse à la voix de Hoang. Néanmoins, advenant que la sécurité financière devienne réalité pour une bonne proportion la population, il est probable que le PCV et ses méthodes répressives devront alors trouver une nouvelle source de légitimité – ou changer.
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[1] Hoang Lan (1997), en ligne « Le Vietnam Communiste: Tigre ou Dragon? »
[2] The Economist (London) (30 avril 2005), p.32
[3] The Economist (US) (8 décembre 1990), p. 21
[4] Voir The Economist (US) (8 décembre 1990), p. 21
[5] Union Européenne (2007), p.5
[6] The Economist (London (26 avril 2008), p.16
[7] Voir Union Européenne (2007), p.5
[8] Voir Union Européenne (2007), p.5
[9] Sheldon Simon (1994), p.187
[10] Tran Vo Hung Son et Chau Van Thanh (1998), p.4
[11] Thi Ben Tran, en ligne «Implications of the Crisis for Transition Economies : Vietnam»
[12] Melanie Beresford (2008), p. 221
[13] Voir Thi Ben Tran, en ligne «Implications of the Crisis for Transition Economies : Vietnam»
[14] Voir The Economist (US) (8 décembre 1990), p. 21
[15] Voir The Economist (London (26 avril 2008), p.16
[16] Voir Union Européenne (2007), p.5
[17] Voir The Economist (London (26 avril 2008), p.16
[18] Voir Union Européenne (2007), p.6
[19] Martin Painter, p.226
[20] Voir Melanie Beresford (2008), p. 221
[21] Voir Melanie Beresford (2008), p. 226
[22] Andrew J. Pierre (2000), p. 73
[23] The Economist (London) (5 août 2006), p.50
[24] Mary Ann Von Glinow, Linda Clarke, et Ed Stockton (1995), p.35
[25] Voir Union Européenne (2007), p.6
[26] The Economist (London) (5 novembre 1994), p.31