La Malaisie: Du nationalisme culturel au nationalisme économique

Par Charles-Antoine Michel

Contrairement à d’autres pays d’Asie du Sud-Est, il ne reste rien des empires passés du Monde malais. Même s’il n’y a pas de grands monuments à la gloire du passé, ou de héros nationalistes tels que Rizal aux Philippines ou Hô chi Minh au Vietnam, les discours des dirigeants de la Malaisie sont de plus en plus tournés vers la construction d’une nation malaise. Je ferai lors de cette étude une distinction bien précise entre les mots Malais et Malaisiens. En effet, le premier terme fait référence à la race, l’ethnie, tandis que le second désigne la nationalité. Nous allons voir au cours de ce billet que la Malaisie a connu plusieurs types de nationalismes jusqu’à aujourd’hui.

La Malaisie, avec son fameux détroit de Malacca, a été l’objet de nombreuses convoitises, car elle représente un point stratégique pour les échanges commerciaux. Dès le 15ième siècle, l’Islam est introduit par des marchands venus d’Inde et va être à la base du nationalisme culturel. En 1511, les Portugais s’emparent de ce comptoir. Plus d’un siècle plus tard, les Néerlandais, de plus en plus puissants dans la région grâce à leur Compagnie des Indes Orientales écartent les Portugais dans le but de prendre à leur tour le contrôle du détroit. La domination hollandaise s’achève à la fin du 19iéme siècle et correspond à l’arrivée des Britanniques dans la région. L’administration anglaise s’étend petit à petit dans le pays et en 1891 est créée la Fédération de Malaisie [1]. Les Britanniques vont devoir faire face à plusieurs types de nationalismes dont le premier est un nationalisme culturel.

Ainsi, au début du 20ième siècle, le nationalisme malais s’appuie sur deux phénomènes: la langue et la religion musulmane. En effet, être Malais c’est avant tout parler le malais mais c’est aussi être musulman. Ce type de nationalisme va rapidement devenir anticolonial, les Occidentaux étant perçus comme matérialistes et hostiles à l’Islam [2]. L’intelligentsia et les hommes politiques Malais tentent petit à petit de promouvoir la culture malaise. L’apparition de la revue Al-Imam en 1906 va développer « un des thèmes essentiels de la vie politique dans le premier tiers du siècle: […] la maîtrise de la religion » [3]. Après une courte dépression en 1921, un « Retrenchment Committee » (Richer 1981, 28) est créé afin qu’une priorité absolue soit accordée aux personnes nées en Malaisie dans le cadre des services techniques tels que les chemins de fer, les travaux publics, les hôpitaux, etc. On fait prévaloir la nationalité Malaisienne dans le milieu du travail, permettant ainsi la mise en valeur d’un aspect culturel. Également, ce comité recommande aux fonctionnaires européens d’avoir une réelle connaissance du malais, précisant que « le malais, non l’anglais, est la langue du pays » (Richer 1981, 28).

Le nationalisme n’apparaît dans le milieu de la politique que dans les années précédant la Seconde guerre mondiale. Le mouvement Brotherhood of Pen Friends, représentant un nationalisme réformiste, regroupait 2 000 personnes en 1935 et 10 000 en 1937, réunis sous le slogan « Vive la langue, vive la nation ! ». Le premier parti politique de gauche, le Kesatuan Melayu Muda (KMM) est créé en 1938. Anticapitaliste et anticolonial, le KMM est radicalement opposé à l’occupation britannique. Selon Richer, ce parti va constituer « le creuset d’hommes politiques qui, au plus tard, constitueront le noyau des mouvements nationalistes ».

Le nationalisme politique naît lors de la Seconde Guerre mondiale, sous l’influence du parti communiste malais créé en 1930. En effet, lors de l’invasion du Japon, le PCM réussit à prendre place dans la communauté chinoise déjà très importante à l’époque et réveille l’hostilité des Malais à l’égard du nouvel occupant. De nombreuses manifestations anti-japonaises sont mises en place par ce parti.

Après l’indépendance de la Malaisie en 1957, on assiste à un nouveau type de nationalisme, le nationalisme ethnique. On compte dans le pays trois principales ethnies: les Malais, représentant 57, 6 % de la population, les Chinois, 25,6 % de la population, les Indiens, environ 10 %. Les 6 % restants sont représentés par les immigrés. Mais après les troubles raciaux de 1969 entre les Malais et les Chinois détenant la part la plus importante de l’économie malaise, le gouvernement en place adopte progressivement un rééquilibrage économique entre les ethnies. Ainsi, l’UMNO (United Malays National Organisation), en place depuis l’indépendance, prône la « discrimination positive » en faveur des Malais [4]. On assiste à la naissance d’un capitalisme nationaliste. C’est de cette idée nouvelle que naît le nationalisme économique. En effet, pour maintenir une stabilité politique dans le pays et mettre fin aux conflits ethniques, il a fallu équilibrer les intérêts de la communauté malaise, plus nombreuse, ainsi que ceux des « étrangers ». On pense avant tout aux Chinois, qui détiennent la part la plus importante de l’économie. De nombreuses résolutions nationalistes sont apparues dans les années 80 telles que la création d’une voiture nationale, la Proton, la construction des deux Tours Petronas (photo 1), représentant la compagnie pétrolière portant ce même nom ou encore la naissance d’une nouvelle capitale administrative, Putrajaya. Pour les nationalistes économiques, « il faut empêcher que des capitaux étrangers affluent dans le pays et achètent des entreprises à des prix sacrifiés » [5]. Les chefs d’entreprises malais représentent des alliés politiques de poids, dont le soutien financier est capital pour le maintien du nationalisme économique.

Ainsi, on a pu constater qu’au fil des années, selon les évènements qui ont rythmé l’histoire de la Malaisie, le pays a connu plusieurs sortes de nationalismes qui font sont identité actuelle. Or depuis quelques années, c’est le nationalisme économique qui prédomine. Mais ce dernier doit faire face aux partisans de l’ouverture économique du pays, ce qui ne manquera pas, dans un futur proche, d’alimenter les tensions au sein de la scène politique malaise.

Bibliographie

[1] France. Maison des Français de l’Étranger. 2002. Histoire. En ligne http://www.mfe.org/default.aspx?SID=10098 (page consultée le 15 novembre 2009).

[2] Raillon, François. 1986. « À propos du récent Congrès sur la Langue et les Lettres Malaises : quelques observations sur le nouveau nationalisme malais ». Archipel 31: 61-71.

[3] Richer, Philippe. 1981. L’Asie du Sud-Est: Indépendances et communismes. Paris: Imprimerie nationale.

[4] Durand, Jean-Pierre. 1998. « Malaisie: capitalisme et nationalisme ». En ligne http://jean-pierredurand.com/artfrancaispdf/MalaiAlterEco2.pdf (page consultée le 15 novembre 2009).

[5] Stubbs, Richard. « Revue Internationale de Politique Comparée » 8, no 3 (2001), 461-472.

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