Par Marie-Soleil Verville Allard
En Indonésie, contrairement à d’autres pays comme la Thaïlande ou les Philippines, la prostitution est légalisée et institutionnalisée. C’est en 1852, durant la période de la colonisation par les Hollandais, que la prostitution a commencé à être contrôlée. En effet, le colonisateur souhaitait gérer les effets néfastes de la prostitution au lieu d’essayer d’abolir un métier qui, de toute évidence, était présent en Indonésie depuis la période précoloniale. Les prostituées devaient donc, en tout temps, porter avec elles une carte d’identité et passer des examens médicaux régulièrement, afin d’éviter la propagation des maladies transmises sexuellement. Elles devaient aussi travailler dans des établissements gérés par les autorités et les gouvernements locaux. C’est encore la méthode qui prévaut aujourd’hui en Indonésie, malgré le fait qu’une industrie illégale de la prostitution existe aussi. Bien que la pratique de la prostitution contrôlée ne soit pas interdite en Indonésie, plusieurs lois interdisent les activités de prostitution illégales (en dehors des institutions prévues à cet effet, appelées lokalisasi), le trafic des femmes et des enfants, ainsi que les profits faits par une tierce partie de la prostitution des femmes[i]. Est-ce que la légalisation de la prostitution en Indonésie encourage la pratique de la prostitution et celle du tourisme sexuel? Nous verrons que pour ce qui est de la prostitution, il semble que la légalisation n’enraye pas l’industrie sous-terraine du sexe, et semble encourager celle qui est légale, car elle occupe une assez grande place dans l’économie indonésienne. Pour ce qui est du tourisme sexuel, la légalisation ne semble pas encourager le phénomène.
Effet de la légalisation sur l’industrie de la prostitution
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’industrie légale du sexe en Indonésie représente entre 0.8 % et 2.4 %[ii] du produit intérieur brut (PIB). En effet, en 1998, la prostitution aurait généré des revenus entre 1.2 et 3.3[iii] milliards de dollars américains, non seulement par le travail direct des prostituées, mais aussi par l’activité économique qu’elles engendrent indirectement à travers les hôtels, les bars, les salles de jeu, etc. Une part si importante du PIB est définitivement non négligeable, ce qui laisse croire que la légalisation a un effet positif sur la pratique de la prostitution. Il faut cependant mentionner que l’argent déclaré est généré par la prostitution légale, donc faite dans le cadre des lokalisasi, et non générée par l’industrie sous-terraine, soit la prostitution faite dans la rue, sous la supervision de proxénètes, par des enfants, etc. Il se pourrait que les revenus de l’industrie illégale (dont les chiffres ne sont évidemment pas déclarés) soient beaucoup plus élevés. Il semble donc que, malgré le fait que la prostitution soit légale (de manière encadrée) en Indonésie, l’industrie illégale subsiste. Par conséquent, il reste difficile de dire si la légalisation encourage ou décourage la pratique de la prostitution. Nous pouvons cependant dire que la légalisation ne permet pas de rendre le phénomène transparent : l’industrie sous-terraine subsiste toujours.
Effet de la légalisation sur le tourisme sexuel
Il est difficile de dire si le tourisme sexuel représente une grande partie de l’argent faite par l’industrie sexuelle. Le tourisme en général représente environ 3 % ou 4 %[iv] du PIB indonésien. Les politiques qui visent à encourager le tourisme sont donc nombreuses, étant donnée l’importance de cette industrie. Plusieurs experts croient que cette publicité encouragerait le tourisme sexuel. Cependant, selon le rapport de l’International Catholic Migration Commission, l’incidence des touristes dans la clientèle des prostituées en Indonésie serait plutôt minime[v]. Il semblerait donc que le fait que la prostitution soit légale n’ait pas vraiment d’influence positive sur la pratique du tourisme sexuel. Ce serait plutôt la publicité gouvernementale qui encouragerait le tourisme en général. Si nous comparons les données avec la Thaïlande, qui est reconnue comme la capitale mondiale du tourisme sexuel et où la prostitution est illégale, nous voyons que l’industrie sexuelle thaïlandaise rapporte beaucoup plus d’argent (entre 22.5 et 27 milliards de dollars américains par année entre 1993 et 1995[vi]) et que l’importance du tourisme dans le PIB représente 6 %[vii]. La légalisation de la prostitution ne semble donc pas augmenter le nombre de clients de l’industrie du sexe : les gens préfèrent quand même aller dans un pays comme la Thaïlande, où l’industrie est illégale[viii].
En conclusion, l’impact de la légalisation sur la prostitution reste mitigé. En effet, la légalisation faillit à son objectif, puisqu’il reste un marché noir important dans l’industrie sexuelle. Cependant, il semble que la légalisation n’encourage pas le tourisme sexuel, puisque les pays (comme la Thaïlande) où le phénomène est illégal présentent de plus hauts revenus qu’en Indonésie, où c’est légal. L’exemple de l’Indonésie démontre les craintes de ceux qui sont contre la légalisation de la prostitution dans plusieurs pays, car elle ne semble pas donner les résultats escomptés, soit une industrie plus transparente, et plus facilement contrôlable par l’État.
[i] International Catholic Migration Commission, Trafficking of Women and Children in Indonesia, (Indonésie: ICMC, 2003). P.64
[ii] Organisation Internationale du Travail, « Le commerce du sexe — Les difficultés économiques et l’appât du gain favorisent l’essor de l’industrie du sexe », Le magazine de l’OIT (1998).
[iii] Id.
[iv] TAL Gestion globale d’actifs inc., « Les marchés asiatiques demeurent stables malgré les lourdes pertes en vies humaines », (2005) En ligne, http://cibc.com/ca/am/pdf/news-publications/newsletters/market-insight/asn-market-stable-fr.pdf, (consulté le 4 novembre 2009).
[v] Voir l’ICMC, , Trafficking of Women and Children in Indonesia , p.89.
[vi] Voir Internationale du Travail, « Le commerce du sexe — Les difficultés économiques et l’appât du gain favorisent l’essor de l’industrie du sexe ».
[vii] Voir TAL Gestion globale d’actifs inc., « Les marchés asiatiques demeurent stables malgré les lourdes pertes en vies humaines ».
[viii] Il semblerait que les prix de la prostitution soient affectés à la baisse par la grande disponibilité de prostituées, ce qui ferait de la Thaïlande un endroit de rêve pour les touristes sexuels. Voir Alexandre Cayla, Gabrielle W. Cusson, Juan Carlos et Cynthia Brassard-Boudreau, « Situation des droits humains en Thaïlande », En ligne, http://catsea1.caac.umontreal.ca/dhthailande/index.htm, (page consultée le 15 novembre 2009).
Bibliographie
Alexandre Cayla, Gabrielle W. Cusson, Juan Carlos et Cynthia Brassard-Boudreau, « Situation des droits humains en Thaïlande », En ligne, http://catsea1.caac.umontreal.ca/dhthailande/index.htm, (page consultée le 15 novembre 2009).
International Catholic Migration Commission, 2003, Trafficking of Women and Children in Indonesia, Indonésie: ICMC.
Organisation Internationale du Travail, 1998, « Le commerce du sexe — Les difficultés économiques et l’appât du gain favorisent l’essor de l’industrie du sexe », Le magazine de l’OIT (nº 26).
TAL Gestion globale d’actifs inc., 2005, « Les marchés asiatiques demeurent stables malgré les lourdes pertes en vies humaines », En ligne, http://cibc.com/ca/am/pdf/news-publications/newsletters/market-insight/asn-market-stable-fr.pdf, (page consultée le 4 novembre 2009).