Par Xavier Faraire
La Birmanie, rebaptisée Union du Myanmar en 1989, est soumise à un régime militaire considéré comme l’un des plus dures au monde. Dans ce premier billet, je vous propose le survol politique d’un pays qui vit avec la dictature depuis plus de 40 ans, et dont le régime semble bien déterminé à ne pas céder aux revendications démocratiques de ses citoyens.
La Birmanie est en théorie une fédération qui compte 14 entités divisées en deux catégories. Tout d’abord, il y a sept subdivisions abritant des populations à majorité birmane : Sagaing, Tenasserim, Bago, Magwe, Mandalay, Yangon, Irrawaddy. Ensuite, les sept autres subdivisions sont des États périphériques correspondant à la minorité ethnique dominante : Les États kachin, karenni, karen, chin, môn, rakhine et shan. Selon la constitution de 1974, les États périphériques devaient même avoir un droit de sécession[1]. Dans les faits, le pouvoir est très centralisé.
La Birmanie, colonie britannique, obtient son indépendance le 4 janvier 1948. Suite à la conférence de Panglong, tenue en 1947, la première constitution de la Birmanie établie un système bicaméral constitué d’une chambre des députés élus et d’une chambre des nationalités où les États birmans étaient représentés, dans le but de faire de la Birmanie un État fédéral[2]. Au préalable, les premières élections qui ont eu lieu en 1947 portent au pouvoir le général Aung San. Celui-ci est considéré comme un héros de l’indépendance birmane. Il est cependant assassiné avec 6 membres de son cabinet la même année[3]. C’est donc U Nu qui est élu à la tête du nouvel État. Président de 1948 à 1958, puis de 1962 à 1962, il doit faire face à de graves problèmes ethniques alors que différentes minorités, spécialement les karens, mènent une lutte armée contre l’État central. U Nu désigne Ne Win à la tête de l’armée. Ce dernier prend une place de plus en plus importante au sein du gouvernement, notamment en raison de ses succès militaires contre les minorités rebelles. Il est ministre de l’intérieur et de la défense. Le 2 mars 1962, Ne Win fait un coup d’État militaire et instaure une dictature qui durera 26 ans. U Nu quant à lui, est arrêté ainsi que d’autres personnalités politiques et représentants des minorités ethniques[4].
Une fois arrivé au pouvoir, Ne Win s’empresse d’imposer sa dictature. Pour ce faire, il supprime toutes les institutions parlementaires, notamment les conseils des différents États, ce qui a pour effet de centraliser grandement le pouvoir. Tous les partis politiques sont supprimés à l’exception du Burma Socialist Program Party (BSPP), son propre parti. Un nombre important de personnel
militaire est placé dans l’administration et les cours de justices sont supprimés au profit d’une seule cour dirigée par le régime[5]. Dès lors, Ne Win entreprend de faire de la Birmanie un État socialiste. Dans cette optique, il entreprend une nationalisation complète de l’économie. Ne Win institutionnalise le tout avec la nouvelle constitution de 1974. Celle-ci confirme la primauté du BSPP et son pouvoir sur le pays via le Conseil d’État. Il n’y a aucune séparation des pouvoirs. De plus, les États birmans perdent leurs pouvoirs au profit d’une administration très centralisée. Les États ne deviennent que de simples régions[6].
En 1988, le bilan du régime socialiste de Ne Win est catastrophique. L’économie est en stagnation, le coût de la vie augmente et la pauvreté s’accentue considérablement. Dans les régions ethniques, les guérillas font toujours rage. La population, quant à elle, manifeste son mécontentement. Ces manifestations sont cependant réprimées dans le sang. Le 8 aout 1988 a lieu la plus importante révolte populaire depuis l’instauration de la dictature. Face à ce constat d’échec flagrant et en raison de cette immense pression populaire, Ne Win démissionne[7]. Cependant, c’est l’armée qui s’empare du pouvoir et y instaure une junte militaire, le State Law and Order Restoration Council, dirigée par le général Saw Maung. L’armée qui prend le pouvoir n’entend pas tolérer les protestations plus longtemps et réprime avec une grande violence les manifestations. C’est durant cette période de contestation que fait son apparition sur la scène publique Aung San Suu Kyi. Fille du général et héros national Aung Sang assassiné en 1947, et fonde le National League for Democracy qui prend la tête du mouvement populaire. Même si les contestation populaires du mois d’aout 1988 se sont terminées dans un bain de sang, elles auront tout de même permis de faire avancer la cause de la démocratie dans le pays puisque le mois suivant, la junte annonce des élections libres qui se tiennent le 27 mai 1990. Ce jour là, il se produit quelque chose qui reste encore difficile d’expliquer aujourd’hui. En effet, la junte militaire s’est abstenue de truquer les élections, pensant pouvoir remporter le scrutin avec aisance. Le résultat est tout autre puisque la NLD l’emporte avec une majorité écrasante. Était-ce une monumentale erreur de perception? La junte, qui espérait pourtant légitimer son pouvoir, décide alors d’annuler le résultat de l’élection[8]. Aung San Suu Kyi, quant à elle, est arrêtée et assignée à résidence. Au sein du gouvernement, tous les postes de ministres et autres sont détenus par des hauts gradés de l’armée
Aung San Suu Kyi est devenue une figure importante de la lutte pour la démocratie, non seulement dans son pays, mais aussi sur la scène internationale. Ses efforts ont été soulignés par de nombreux prix dont le prix Nobel de la paix en 1991. C’est sans aucun doute à cause de ce support international qu’Aung San Suu Kyi n’a pas été envoyée en prison. Elle a cependant passé 14 des 20 dernières années assignée à résidence[9].
Les pressions internationales ont un certain effet sur le régime. Ainsi, le régime tente de montrer des signes d’ouverture à la démocratie depuis le début des années 1990. En 1993, la junte a lancé un projet de création d’une nouvelle constitution. Cependant, ce projet est suspendu en 1996. À la suite de la violente répression du soulèvement de 2007, qui a été très médiatisé partout à travers le monde, l’actuel chef de la junte, le général Tang Shwe, annonce la tenue d’un référendum l’année suivante portant sur le projet d’une nouvelle constitution. La nouvelle constitution prévoit notamment la confirmation du statut d’union du pays, la création d’un système multipartite et des élections sont prévues pour 2010[10]. Cependant, la constitution prévoit un minimum de 25% des sièges réservés aux militaires. De plus, le chef du gouvernement devrait avoir une expérience militaire et ne devrait pas avoir été marié€ à un€ étranger(ère). Cette dernière mesure vise clairement Aung San Suu Kyi qui fut marié à un Britannique. La constitution a été largement approuvée par la population lors du référendum.
À la veille des élections générales prévues pour 2010, il est difficile de prédire quelle sera la tournure des événements. Mais il est cependant difficile de croire que cet exercice se déroulera de manière démocratique. Au mois d’aout dernier, à quelques jours de la fin de sa peine, Aung San Suu kyi a reçu la visite d’un américain qui s’est rendu à sa résidence à la nage et y a passé deux jours. Elle a été aussitôt condamnée à 18 mois supplémentaires de résidence surveillée, peine qui prendra fin après les élections générales de 2010[11]. Décrié par la communauté internationale, cet événement en dit long sur la volonté de la junte militaire de démocratiser le pays. Une chose semble davantage sure, c’est que le pays ne deviendra certainement pas une démocratie en 2010.
Vidéos
Soulèvement du 8 aout 1888 : vidéo amateur prise en plein milieu d’une répression militaire
Entrevue avec Aung San Suu Kyi sur France 2
Bibliographie
Defert, Gabriel dir. 2008. Birmanie contemporaine. Paris : Irasec. 475p
Holliday, Ian. «Voting And Violence In Myanmar: Nation Building for a Transition to Democracy». Asian Survey vol. 48, no. 6, pp. 1038-1058
Messier,François. 2009. «Aung San Suu Kyi, : Symbole de la lutte du peulpe birman». Radio-Canada. En ligne. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/08/11/001-suu_kyi_condamnation.shtml (Page consultée le 25 octobre 2009)
Messier, François. 2009. «Birmanie : sous une chape de plomb». Radio-Canada. En ligne. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/05/26/008-Birmanie.shtml (Page consultée le 25 octobre 2009)
«Obituary: Ne Win. 2002». BBC News. En ligne. http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/1581413.stm (Page consultée le 25 octobre 2009)
[1] Defert, Gabriel dir. 2008. Birmanie contemporaine. Paris : Irasec. P. 126
[2] Ibid. p. 150
[3] Holliday, Ian. «Voting And Violence In Myanmar: Nation Building for a Transition to Democracy». Asian Survey vol. 48, no. 6, pp. 1038-1058
[4] Defert, Gabriel dir. 2008. Birmanie contemporaine. Paris : Irasec. P. 149
[5] Ibid.
[6] Ibidem p.150
[7] Holliday, Ian. «Voting And Violence In Myanmar: Nation Building for a Transition to Democracy». Asian Survey vol. 48, no. 6, pp. 1038-1058
[8] Ibid.
[9] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/05/21/006-aung_san_suu_kyi.shtml
[10] Holliday, Ian. «Voting And Violence In Myanmar: Nation Building for a Transition to Democracy». Asian Survey vol. 48, no. 6, pp. 1038-1058
[11] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2009/08/11/001-suu_kyi_condamnation.shtml