par Lu Wei Zheng
Sihanouk, prince du Cambodge (1922 – ), voulait amener une politique de neutralité conforme à la doctrine des pays non alignés dans le contexte de la guerre froide. La reprise de la guerre du Vietnam dès 1956 a compliqué la réalisation de cette politique. En raison de son importance stratégique, le bloc de l’Est et de l’Ouest ont cherché à s’allier avec le Cambodge afin d’emporter la victoire. Ainsi, le Vietminh a apporté leur soutien aux communistes cambodgiens et les États-Unis ont appuyé le parti de la droite. Il est impératif pour Sihanouk de prévenir la division du pays, s’il veut maintenir son pouvoir autoritaire. Ce qui explique pourquoi le prince a mis la politique de neutralité en priorité. Dans cette perspective, son échec a été démontré par sa destitution en 1970. En réalité, Sihanouk n’avait pas un contrôle exhaustif sur le Cambodge. À l’interne, malgré la répression, il n’a pas réussi à éviter la polarisation politique entre le socialisme et le capitalisme. À l’externe, la neutralité ambiguë de Sihanouk à l’égard des deux blocs a entraîné l’accroissement de leurs influences dans le pays. Cela a eu comme conséquence d’aggraver la division politique.
Au plan domestique, la politique de neutralité s’est traduite par le maintien de l’équilibre entre les partisans de la droite et de la gauche. D’un côté, il a essayé d’absorber ses opposants de droite dans son parti politique, le Sangkum. À travers cette organisation, il avait l’intention de préserver l’unité nationale et de consolider son pouvoir dans le gouvernement.[1] Ainsi, le système demeurait autocratique royal. Pourtant, son refus de l’aide économique américaine en 1960 a abouti à l’apparition d’un groupe pro-américain au Cambodge.[2] D’un autre côté, il a employé la répression et la police secrète face aux étudiants de gauche[3]. Néanmoins, les communistes cambodgiens ont résisté à l’oppression et ils se sont réfugiés chez les montagnards. Ces hommes sont les futurs Khmers rouges. Le recours à la violence de Sihanouk n’est pas parvenu à contrecarrer le développement des groupes communistes. On voit que le maintien de son pouvoir autoritaire ne répond ni aux aspirations de droite ni à celles de gauche. Dans ce cas, ni l’unité nationale ni l’autorité absolue ne sont garanties par cette politique de neutralité.
Au niveau international, la politique de neutralité de Sihanouk est marquée par son caractère confus. Cela conduit à l’intervention de plus en plus fréquente de l’Est et de l’Ouest au Cambodge. Tout d’abord, on constate une détérioration de la relation entre le prince et les États-Unis à partir des années soixante. Cela est démontré par le refus de l’aide américaine en 1960 et par la rupture des relations diplomatiques avec ceux-ci en 1965. Cette rupture annonce la fin de l’équilibre poursuivi jusqu’alors entre l’Est et l’Ouest. À l’époque, Sihanouk se trouvait dans une politique de collusion avec les communistes vietnamiens. Par exemple, en 1966, il a mis le port de Sihanoukville à la disposition des révolutionnaires vietnamiens pour faire transiter leur matériel de guerre à travers le Cambodge.[4] On voit que la politique extérieure du prince était loin d’être neutre. Puis, on observe rapidement un revirement de Sihanouk après 1967. Ce changement résulte de la propagande prochinoise et provietnamienne[5] sous l’influence de la Révolution culturelle en Chine. Pour cette raison, en 1969, il a renoué les relations diplomatiques avec les États-Unis. Il semble que la politique extérieure de Sihanouk n’était jamais vraiment neutre. Elle était tantôt antiaméricaine et tantôt anticommuniste
L’échec de Sihanouk réside dans l’ambiguïté de sa politique de neutralité. Il a rompu avec les États-Unis sans s’allier officiellement avec le bloc de l’Est. La méfiance envers le Nord-Vietnam joue un grand rôle dans la position indécise de Sihanouk. S’il s’était engagé aux côtés des communistes, il aurait été contraint de sacrifier l’indépendance nationale du Cambodge. En d’autres termes, cela signifie nécessairement l’ingérence des pays communistes et la réduction de son pouvoir. D’ailleurs, la peur d’être annexé par le Vietnam obsède son esprit à cause de leur rapprochement géographique. Ainsi, l’ambivalence de ses politiques n’empêche pas l’intrusion des acteurs extérieurs au Cambodge. Le meilleur exemple est la déclaration de sa destitution par le gouvernement de Lon Nol en 1970 avec l’appuie des États-Unis.
En somme, la politique dite « neutre » de Sihanouk n’est pas parvenue à sauvegarder son autorité absolue. Après la destitution, il a fait l’appel aux paysans et aux troupes communistes pour renverser le gouvernement de Lon Nol.[6] Cette alliance « verbale » avec les Khmers rouges permettait à ceux-ci de gagner beaucoup de soutien populaire.[7] À cause de cet incident, plusieurs chercheurs se sont interrogés sur le rôle de Sihanouk dans le génocide cambodgien.
1 Cheong, Yong Mun
2 Kiernan, Ben, p. 23
3 Hamel, Bernard, p. 61
4 Ponchaud, François, p. 62
5 Sola, Richard, p. 21
6 Ponchaud, François, p. 65
7 Edwards, Matthew.
Bibliographie
Cheong, Yong Mun. « The Political Structure of the Independent States ». The Cambridge History of Southeast Aisa, Vol.4 edited by Nichols Tarling, Cambridge University Press, 1999: pp. 59-131.
Edwards, Matthew. « The rise of the Khmer rouge in Cambodia : internal or external origins? ». Asian Affairs, vol. XXXV, no.1, March 2004.
Hamel, Bernard. 1993. Sihanouk et le drame cambodgien. Paris : L’Harmattan.
Kiernan, Ben. 1998. Le génocide au Cambodge 1975-1979 : race, idéologie et pouvoir. Paris : Gallimard.
Ponchaud, François. 2007. Une brève histoire du Cambodge. Nantes ; Laval : Siloë.
Sola, Richard. 1994. Le Cambodge de Sihanouk : espoir, désillusions et amertume : 1982-1993. Paris : Sudestasie.