Par Patrick Milochevitch
L’Asie du Sud-Est est le théâtre, rarement médiatisé en Occident, de plusieurs guérillas armées, légitimées par des considérations de nature identitaires et religieuses. Ces foyers de tensions ethniques illustrent les difficultés que rencontrent les États-Nations de la région dans l’intégration des minorités ethniques et dans le maintien de l’équilibre lié à la diversité religieuse locale.
La guérilla Karens en Birmanie (Myanmar) est la plus vieille guérilla d’Asie du Sud-Est et du monde. Depuis 1948, date de la proclamation de l’indépendance du pays, ces membres l’ethnie minoritaire Karens (protestante) s’opposent aux gouvernements centralisés autour de l’ethnie birmane (bouddhiste). Les Karens financent leur guérilla par le prélèvement de taxes sur les marchandises de contrebandes qui transitent sur un territoire d’environ 600 kilomètres, qu’ils contrôlent le long de la frontière thaïlandaise. 150 000 Karens vivent actuellement dans des camps de réfugiés du côté thaïlandais de la frontière. Le récent rapprochement, pour motifs économiques, du gouvernement thaïlandais avec son ennemi héréditaire birman semble priver désormais les Karens d’un soutien tacite dont ils bénéficiaient jusque-là.
La guérilla Hmong (peuple montagnard) est la deuxième guérilla ethnique la plus ancienne en Asie du Sud-Est. Elle lutte contre les politiques d’assimilation agressives des gouvernements laotien et vietnamien. Les Hmong payent aujourd’hui le prix de leur collaboration avec la CIA durant la guerre du Vietnam entre 1965 et 1975. Considérés comme des traîtres, ceux qui n’ont pas pu fuir vers les États-Unis ou la Thaïlande, sont persécutés et repoussés au plus profond des forêts des hauts plateaux qui dominent la frontière entre le Laos, le Vietnam et la Thaïlande. De plus, la conversion d’une majorité de Hmong au protestantisme attise les velléités répressives des autorités de Vientiane et de Hanoï de confession bouddhiste.
Alors que le fait religieux ne constitue qu’un élément mineur des guérillas ethniques menées par les Karens et les Hmong pour la survie de leurs peuples, les tensions qui agitent les « sud » philippin et thaïlandais ou l’Indonésie sont exprimées selon un mode religieux prédominant. « Les fondements de ces multiples conflits ne sont jamais exclusivement confessionnels, mais l’expression, les motifs déclarés et surtout la définition des groupes antagonistes passent par la forme religieuse » (Raillon, 2001, p.227).
La fracture existante entre les provinces à majorité musulmane de Yala, Pattani et Narathiwat à l’extrême sud du royaume bouddhiste thaï, s’articule autour de revendications identitaires fondées sur la différence culturelle profonde existante entre bouddhistes et musulmans. Au-delà de la simple différence de culte, c’est l’ensemble de l’identité thaï que la résistance musulmane rejette en bloc. L’autorité de l’État centralisé est perçue comme une oppression. Le recours à la lutte armée pour libérer la terre sainte et chasser les impies « non-musulman » est justifié par les éléments radicaux comme un étant un devoir de l’Islam : le Jihad. Gouvernements et factions indépendantistes s’affrontent avec une recrudescence de la violence depuis 2004.
La lutte menée par les Moros dans les îles méridionales de l’archipel des Philippines de Mindanao, Sulu et Jolo défie le gouvernement central de Manille la catholique. Le conflit armé vise, pour les éléments les plus radicaux, l’instauration d’un État musulman indépendant. Il trouve sa source dans les politiques de colonisation interne, favorisant l’implantation de chrétien en terres musulmanes, engagées par Manille dans les années 50. Les tentatives de conciliation et les politiques de répression se sont alternées entraînant la radicalisation sanglante d’une partie du mouvement de résistance. Après les attentats de New York, le 11 septembre 2001, le groupe Abu Sayyaf a été reconnu comme entretenant des liens avec le réseau Al Qaida d’Oussama Ben Laden. Le gouvernement philippin soutenu par Washington tente depuis d’éradiquer le groupe islamique radical.
Abu Sayyaff
—
Références
Gabaude Louis (2001), Religion et Politique en Thaïlande : dépendance et responsabilité, Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol.32, nº1, pp. 141-173
GILQUIN Michel (2002), Les Musulmans de Thaïlande, édition IRASEC, Bangkok / L’Harmattan, Paris
http://www.dailymotion.com/relevance/search/hmongs/video/xhty9_guerre-secrete-au-laos-envoye-special
LAUNGARAMSRI Pinkaew (2003), Ethnicity and the politics of ethnic classification in Thaïland, dans Ethnicity in Asia, dir. Colin Mackerras, Routledge Curzon, London New York, p.157-173
NGUYEN Eric (2006), Guérillas ethniques et terrorisme islamiste en Asie du Sud-Est, dans L’Asie Géopolitique : de la colonisation à la conquête du monde, partie IV : Les foyers de tensions en Asie, Chap. 4, coll. Principes, Paris, p.195-210
RAILLON François (2001), Indonésie : de la tolérance religieuse à la guerre de religions ?, dans Revue d’Étude Comparative Est/Ouest, vol.32, nº 1, Politique et Religion en Asie Orientale, CNRS, Paris, p. 227-250
VADDHANAPHUTI Chayan (2005), The Thaï State and Ethnic Minorities : From Assimilition to Selective Integration, dans Ethnic Conflicts in Southeast Asia, dir. Kusuma Sunitwongse et W. Scott Thompson, Institute of Southeast Asian Studies, Singapore, p.151-166