Par Aurélien Clément
Malgré les apparences et la volonté des autorités thaïlandaises d’homogénéiser la population sous une seule culture, la culture thaïe, la Thaïlande n’en reste pas moins un pays multiethnique, multiculturel et multiconfessionnel. Même si la proportion des ethnies Thaï reste largement dominante, elles cohabitent avec d’autres communautés plus ou moins assimilées à la nation. Traditionnellement, on distingue quatre grandes familles, les Thaï majoritaires, les Karen le long de la frontière birmane, les Malais au Sud à la frontière malaise et les Khmers à l’Ouest proche du Cambodge. Pourtant, il demeure une plus grande déclinaison de minorités ethniques en Thaïlande, surtout dans les régions montagneuses du Nord et du Nord-Est.
L’immigration chinoise à toujours été importante vers les pays d’Asie du Sud-Est, en Thaïlande prés de 11 % de la population est chinoise ou d’origine chinoise (sino-Thaï). La communauté chinoise a toujours joué un grand rôle dans le développement économique et commercial de la Thaïlande. En effet, issue de la diaspora, les Chinois ne possédaient généralement pas de terres à cultiver donc se lancèrent dans le secteur banquier, mais aussi dans le commerce en s’appuyant sur les vastes réseaux et filières constitués grâce à leurs mouvements migratoires. Directement confronté à la politique nationaliste et assimilationniste du gouvernement Thaï dès la fin du 19e siècle, la communauté chinoise s’est progressivement « Thaïisé ».
En 1909, à la suite d’un Traité avec les Britanniques, les autorités thaïlandaises acquirent des régions qui comprenaient une forte population malaise musulmane. Politiquement, les musulmans sont inclus à la nation en tant que citoyens à part entière (des Malais prennent parfois place au sein du gouvernement), mais les gouvernements rencontrent de sérieux problèmes dans la région.
Les ethnies malaises de confession musulmanes situées en grande partie dans les régions frontalières de la Malaisie n’ont jamais accepté l’abandon de leurs cultures et de leurs traditions. Attachés à leurs cultures et plus particulièrement à leur religion, ils luttent désespérément pour sauvegarder leurs identités face à l’État qui tente de les amalgamer culturellement.
Certains crient à l’ethnocide tandis que d’autre réclament juste la préservation de leur patrimoine et le respect de leurs croyances. Cette oppression sur la frange malaise de la population a favorisé la pénétration du terrorisme et la coopération de réseaux illégaux. En 2004, cela a conduit à de graves révoltes de la part des musulmans contre les civils thaïs et une recrudescence du terrorisme.
Le cas des tribus montagnardes
Dans les régions frontalières et dans les montagnes au Nord sont établies de nombreuses minorités ethniques dont les cultures et le mode de vie sont niés et méprisés tandis qu’ils ne jouissent d’aucuns droits politiques ou sinon très limités et depuis peu. La majorité des tribus montagnardes ne sont appréhendées par le gouvernement que depuis 1960 dans un contexte d’intégration nationale et d’optimisation du territoire qui ne ménage ni leurs identités ni leurs traditions.
Dans un premier temps, l’État à crée une division entre les ethnies des montagnes et des vallées, ce qui créa d’emblée une situation discriminatoire entre Thaï, Chinois et Birmans des plaines et les ethnies ayant plus ou moins fuient l’autorité d’un État en trouvant refuge en montagnes. Si quelques ethnies comme les Laos de par leurs similitudes avec les Thaïs et leurs plus grandes assimilations ont un régime plus favorable, la plupart des ethnies établies en montagnes vivent en pleines précarités. Intentionnellement associées aux problèmes de déforestation, d’immigration clandestine, de trafic de drogue ou de communisme, les tribus montagnardes furent persécutées, déportées et victimes d’une politique d’assimilation culturelle féroce. Dans les années 1970, l’État thaï mit en place des programmes d’intégrations qui assignaient aux tribus des montagnes des cultures de produit spécifiques en collaborations étroites avec l’État ce qui transforma de manière irréversible leurs modes de vie. Dans les années 1990 survinrent d’autres problématiques avec d’une part la reforestation qui exclut un peu plus les tribus de leurs terres ainsi que de leurs ressources. Par ailleurs, le potentiel touristique que représentaient à présent ces tribus aux yeux de l’État lança des projets afin d’en tirer parti, bien évidemment au détriment des tribus montagnardes.
D’autre part, les tribus montagnardes sont contraintes à une précarité non seulement sociale, mais aussi civique et législative. Enregistrés en tant qu’individus à « identité Thaï incomplète », ils sont soumis à une intégration sélective et discriminatoire puisque obtenir la naturalisation implique non seulement de pouvoir prouver l’ancienneté de sa migration sur le sol thaïlandais, mais surtout de se conformer aux normes de la culture Thaï.
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Référence
Formoso Bernard, Thaïlande : Bouddhisme renonçant Capitalisme triomphant, La documentation française, Paris 2000.
Vaddhanaphuti Chayan, « The Thaï State and Ethnic Minorities: From Assimilation to Selective Integration” Ethnic conflicts in Southeast Asia / edited by Kusuma Snitwongse, W. Scott Thompson.
[Bangkok] Thailand: Institute of Security and International Studies, Chulalongkorn University ; Singapore : Institute of Southeast Asian Studies, 2005.
Dover Stephane, Thaïlande contemporaine, L’Harmattan, Paris, 2001.
Hoang, Michel, La Thaïlande et ses populations, Presse universitaire de France, Bruxelles, 1976.