Par Arnaud Daoust Janson
On peut remonter loin dans l’histoire de la colonisation agricole en Indonésie. De nos jours, le concept, parfois mieux connu sous le nom de transmigration, s’inscrit dans un vaste programme du gouvernement pour développer l’archipel. Le Middle-Term National Development Plan 2005-2009 comporte trois agendas politiques. Le troisième concerne le bien-être de la population. C’est à l’intérieur de cet agenda que le programme de transmigration prend aujourd’hui place au sein du monde rural.
L’idée de départ vient de constats assez simples : l’inégalité du développement entre Java et le reste de l’archipel, le déséquilibre démographique entre le centre et la périphérie ainsi que le besoin d’unifier l’archipel sous une seule bannière. Le gouvernement est alors venu proposer son programme de transmigration, qui est géré aujourd’hui par le Ministère de la Main d’Œuvre et de la Transmigration.
Il y a au moins trois objectifs au programme de transmigration : améliorer le bien-être des migrants et des populations locales, améliorer l’équilibre du développement et unifier la nation.
Micro Histoire de la colonisation agricole
Il ne faut pas croire que la transmigration, telle que vécue en Indonésie, est une activité humaine entièrement construite par l’État. Au temps des sociétés agraires, il existait déjà des mouvements de populations sur le territoire au fur et à mesure que l’on défrichait la terre. Mais, avec le contexte archipélagique de la région (6000 îles habitées sur environ 13 000 en 2005 [1]), la migration était surtout régionale.
Avec la colonisation hollandaise, l’île de Java (géostratégiquement déjà importante) devenait définitivement l’île la plus importante de l’archipel. Avec l’impulsion coloniale, le développement s’accéléra, ce qui produisit un impact réel et direct sur la démographie. Pour pallier à un potentiel problème de surpopulation (et peut être aussi de santé publique), les Hollandais envisagèrent de donner un « coup de pouce » au phénomène de colonisation agricole, en cherchant à mettre en valeur ce qu’ils appelaient les possessions extérieures, soit les îles en opposition à Java.
Le plan de colonisation hollandais, allait être, après la guerre d’indépendance de 1945-1949, repris par le gouvernement indonésien, pour devenir le programme de transmigration qui va s’imbriquer dans un vaste projet de construction nationale.
La transmigration et l’unification du territoire
Sous la présidence de Sukarno, puis sous l’impulsion du régime de l’Ordre nouveau de Suharto, le programme de transmigration devait répondre au problème de surpopulation des îles principales et du besoin en ressources vivrières. Politique oblige, il s’agit surtout à cette époque, en plus des raisons de développement ou de surpopulation, d’un moyen pour unifier et consolider l’indépendance fraîchement acquise.
Au cours des années 1960 et 1970, le gouvernement était sensible à « civiliser » les populations papoues. Le gouvernement chercha alors à peupler les régions qui risquaient éventuellement d’échapper à son contrôle. À partir de ce point, la transmigration devenait un moyen pour implanter des villages de colons dans les régions abritant des mouvements séparatistes.
En 1972 un décret présidentiel précisait que l’un des objectifs du programme de Transmigration devait s’efforcer de faire disparaitre les particularismes régionaux [2].
Contestations
Les documents, émis par ceux qui ont participé à l’architecture de programme de transmigration, s’étendent la plupart du temps sur les bienfaits de la transmigration. Cette dernière s’inscrit d’ailleurs maintenant au sein d’un programme qui s’occupe également d’éducation ou de santé. Ceci n’empêche pourtant pas la contestation.
Depuis la moitié des années 1980, des groupes d’environnementalistes et de défense des droits humains se sont mobilisés pour décrier les effets pervers de la transmigration sur les populations autochtones. On se retrouve alors dans ce débat qui oppose droits humains et écologie contre développement économique, pression démographique et unité nationale.
Au plan environnemental, certains groupes environnementalistes s’alarment sur les effets du programme de transmigration, qui est un péril de plus pour la ressource forestière, celle-ci étant déjà plutôt malmenée par l’exploitation forestière, l’agriculture sur brulis et les feux de forêts naturels.
Sur le plan humain, on peut mettre parfois en doute l’optimisme des « volontaires » au programme de transmigration. Il arrive souvent, par exemple, que les migrants inscrits soient des agriculteurs de Java qui ont perdu leurs terres. Depuis longtemps, l’urbanisation du centre névralgique du pays a commencé à grignoter les terres vouées à l’agriculture. De plus, on ne peut nier l’aspect répressif des déplacements forcés des populations indigènes, vers les villages érigés par le gouvernement. Souvent considérés comme des citoyens de seconde zone, ceux-ci se retrouvent, contre leur gré, dans un environnement qu’ils n’avaient pas choisi.
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Références
[1] Rodolphe De Koninck. L’Asie du Sud-est. Armand Colin, 2e édition, 2005, p.138
[2] Olivier Sevin. Migrations, colonisation agricole et terres neuves en Indonésie. Îles et Archipels, n.28, Tome 2, 2001, p. 559.