La corruption, un véritable frein au développement au Cambodge

Par Antoine de Blauwe

Le couple Wan vit avec ses dix enfants dans une modeste maison le long du lac Tonle Sap au Cambodge. Un modeste bateau de pêche assure une subsistance toute relative, les quelques poissons ramenés en surplus permettant d’acheter du riz, aliment de base de la famille. Pauvres parmi les pauvres, les Wan ont peu à donner. Pourtant, régulièrement, la police locale procède à des raids sur leur hameau et extorque les quelques riels épargnés ici et là. Cette histoire reflète malheureusement l’ordinaire du quotidien vécu par les Cambodgiens et l’étendue de la corruption dans le pays.

Selon une étude du cabinet Political and Economic Risk Consultancy (Perc) basé à Hong Kong, le Cambodge serait le deuxième pays le plus corrompu de l’Asie du Sud-est après l’Indonésie. L’indice de perception de la corruption au Cambodge de 2011 confirme également l’étendue  du phénomène dans pays; le Cambodge se place à la 164ème place (sur 188 pays) dans le classement de la corruption établi par Transparency International (1). Ce fléau est ainsi enraciné dans toutes les sphères de la société cambodgienne : politique, économique et sociale.

Il existe différentes formes de corruption politique au Cambodge. La première forme, « la  petite corruption », est pratiquée par les fonctionnaires des administrations locales (fp1), qui, non seulement se font payer pour commettre des actions illégales, mais aussi payent pour exercer leurs fonctions légales (2). Au Cambodge par exemple, une personne promue à un poste dans l’administration publique doit normalement sa nomination à sa contribution aux intérêts du parti au pouvoir, le Parti du peuple cambodgien (PPC) (fp2) (2). La seconde forme, « la grande corruption » (en raison de son poids économique),  est l’apanage de hauts dirigeants, qui, en quête de  « gros » avantages personnels (on parle ici de plusieurs millions de dollars) (fp3 et 4), détournent les intérêts collectifs pour leur propre bien (3).

Les structures politiques jouent un rôle important dans l’expansion de la corruption dans le Royaume. Cette dernière peut ainsi être vue dans le pays comme le symbole de la dégénérescence du pouvoir (3). La corruption provient d’une organisation et d’une distribution du pouvoir obsolète car non-adaptés aux exigences d’une société moderne et d’une économie de marché (2) (fp5). La corruption au Cambodge peut être analysée comme une revanche de l’économie de marché sur l’étatisme; Elle permet (fp6) à une économie étouffée par les réglementations et les impôts, de fonctionner quand même (2).

La corruption au Cambodge est donc aussi économique. La majorité des sociétés menant des affaires au Cambodge se plaint de la concurrence injuste et non institutionnalisée. Certaines sociétés estiment que le gouvernement ne les traite pas toutes sur un pied d’égalité (4). En faisant monter les enchères, la corruption prive aussi la population des avantages d’un marché concurrentiel. La concurrence permet par exemple de fixer un juste prix aux marchandises et de  favoriser l’adaptation permanente entre offre, demande et innovation (fp7).

La corruption est particulièrement enracinée dans la sphère commerciale. Pour prendre livraison des marchandises qu’elle fait venir de l’étranger, une entreprise cambodgienne doit remplir et présenter de nombreux documents et payer de très nombreux pots de vin à différents fonctionnaires pour accélérer les procédures et ainsi échapper aux nombreuses lourdeurs administratives en place dans le pays (4). La police frontalière, les services vétérinaires et sanitaires effectuent des inspections, ce qui occasionne des retards et des frais officiels et surtout  cachés, à chaque étape (fp8). Par exemple il en coûte 800 $ à une manufacture, la moitié en frais cachés, pour expédier un conteneur du port de Sihanoukville à Phnom Penh contre 200 $ au Viêt Nam ou 350 $ en Chine (3). Ces méthodes découragent les hommes d’affaires étrangers de miser sur les entreprises cambodgiennes et d’investir dans le Royaume (5).

La corruption actuellement associée aux ressources naturelles du Cambodge vient également creuser le fossé qui existe entre les classes les plus riches et les plus pauvres. La riche et puissante élite économique du pays, continue de bénéficier du système et des revenus découlant de la forte croissance du pays (5% en 2010) (6). Cette « caste » qui représente une partie infime de la population cambodgienne,  préserve son statut et ses privilèges en versant, de manière régulière, des sommes colossales au parti au pouvoir (Le PPC) (fp9) (4).

D’autres formes de corruption, moins spectaculaires, mais tout aussi néfastes sévissent également au Cambodge. C’est le cas du chantage exercé par les forces de l’ordre, qui ont souvent recours aux menaces pour obtenir le paiement d’un pot-de-vin (comme dans le cas de la famille Wan), d’instituteurs taxant leurs élèves et d’étudiants achetant leurs diplômes (6).

Le Cambodge est un pays très pauvre et malgré une croissance rapide, ce pays est encore fortement dépendant de l’aide internationale. Annuellement, le Cambodge pouvait compter sur une aide de la communauté internationale de 1,1 milliards de dollars en 2012 (5). La corruption pourrait engendrer, à moyen terme, une baisse de l’aide au développement accordé au Cambodge du fait du manque d’efficacité des fonds accordés au pays et du manque de transparence de leur gestion. Le Fonds mondial, premier donateur du Cambodge en matière de santé a ainsi relevé des malversations dans l’utilisation de ses aides notamment dans le cadre du programme anti malaria qui est gangréné par la corruption (7).

Devant l’insistance des organismes internationaux, le Cambodge tente peu à peu de mettre en place un cadre juridique et institutionnel de lutte contre la corruption. Une loi anti-corruption garantissant une plus grande transparence dans la gestion des fonds publics et la mise en place d’agences anti-corruption a ainsi été adoptée dans la précipitation en 2010. Ce texte adopté sans consultation préalable et sans débat et qui ressemble fort à de la poudre aux yeux, suscite cependant de fortes critiques de la part de l’opposition et de la société civile (6). L’opposition et la société civile dénoncent notamment le manque d’indépendance des organismes de lutte contre la corruption qui seront entièrement contrôlés par le parti au pouvoir (PPC).

Il subsiste encore un véritable doute au Cambodge quant à la volonté du pouvoir en place de combattre réellement la corruption en se basant sur une stratégie claire, complète et cohérente (3). La lutte anti-corruption est ainsi encore aujourd’hui fortement désorganisée. Cette désorganisation est symbolisée par la multiplication désordonnée et parfois incohérente des agences anticorruption dans le Royaume. Pas moins de cinq organismes s’occupent aujourd’hui, de manière plus ou moins efficace, d’éradiquer la corruption au Cambodge.

(1) Transparency International. 2011.  Rapport annuel sur la corruption. 2011. En ligne.   http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/GCR_2011.php (page consultée le 16           novembre)

(2) Le Bonte, Christine. 2007. « Le Cambodge contemporain ». Paris : Édition l’Harmattan.

(3) Procheasas. 2006. « Cambodge.Population et société d’aujourd’hui ». Paris: Édition      l’Harmattan.

(4) Un, Kheang. 2006. State, society and democratic consolidation: the case of Cambodia. En ligne. http://business.highbeam.com/5477/article-1G1-155789811/state-society- and-democratic-consolidation-case-cambodia (page consultée le 28 novembre).       Pacific             Affairs: University of British Columbia

(5) Macan-Markar, Marwan. 2012. Marché boursier cambodgien pour mettre fin à la     corruption?     En ligne. http://ipsnouvelles.be/news.php?idnews=10867 (page consultée     le 27 novembre)

(6) Dupont, Martin. 2005. « Cambodge: La mécanique de la corruption ». En ligne.            http://www.alternatives-internationales.fr/cambodge—la-mecanique-de-la-   corruption_fr_art_286_28295.html (page consultée le 28 novembre) Alternatives Internationales (n°27)

(7) Selger, Pierre. 2012. « Cambodge: le programme antimalaria gangréné par la corruption ». En    ligne.http://asie-info.fr/2012/11/15/cambodge-le-programme-antimalaria-gangrene-par-la-  corruption-513352.html. (page consultée le 27 novembre).

 

Bibliographie:

Dupont, Martin. 2005. « Cambodge: La mécanique de la corruption ». En ligne.      http://www.alternatives-internationales.fr/cambodge—la-mecanique-de-la-        corruption_fr_art_286_28295.html (page consultée le 28 novembre) Alternatives Internationales (n°27)

Le Bonte, Christine. 2007. « Le Cambodge contemporain ». Paris : Édition l’Harmattan.

Macan-Markar, Marwan. 2012. Marché boursier cambodgien pour mettre fin à la corruption?    En ligne. http://ipsnouvelles.be/news.php?idnews=10867 (page consultée le 27 novembre)

Procheasas. 2006. « Cambodge.Population et société d’aujourd’hui ». Paris: Édition l’Harmattan.

Selger, Pierre. 2012. « Cambodge: le programme antimalaria gangréné par la corruption ». En          ligne.http://asie-info.fr/2012/11/15/cambodge-le-programme-antimalaria-gangrene-par-la-        corruption-513352.html. (page consultée le 27 novembre).

Transparency International. 2011.  Rapport annuel sur la corruption. 2011. En ligne.         http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/GCR_2011.php (page consultée le 16     novembre)

Un, Kheang. 2006. State, society and democratic consolidation: the case of Cambodia. En ligne.    http://business.highbeam.com/5477/article-1G1-155789811/state-society-and-democratic-     consolidation-case-cambodia (pagee consultée le 28 novembre). Pacific Affairs:      University of British Columbia

Un, Kheang. 2011. « Cambodia: Moving away from democracy?  » International Political Science Review, Volume 32, numéro 5.

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