L’Islam en Thaïlande, de l’intégration au déchirement

Par Victor Klein

La Thaïlande est une monarchie constitutionnelle dont la majorité de la population est adepte du Bouddhisme. Néanmoins, ses deux dernières constitutions, de 1997 et 2007, ne donne pas au Bouddhisme le statut de religion officielle. Cette omission qui fut vivement critiquée par certaines élites bouddhistes, vise, en partie, dans un effort pluraliste, à favoriser l’intégration de la première minorité religieuse du pays, les musulmans[1].

Les musulmans thaïlandais composent en effet 5 % de la population et se divisent en deux groupes, ceux parlant le Thaï, dans le nord du pays, et ceux parlant Malais, au sud. Ces derniers représentent 80 % des musulmans du pays, et se répartissent dans les cinq provinces (changwat) méridionales du pays : Narathiwat, Pattani, Satun, Songkla et Yala. Elles se situent au sud de l’isthme de Kra, sur la péninsule malaise, à la frontière de la Malaisie[2].

Jusque dans les années 80, la politique officielle de Bangkok vis-à-vis des musulmans parlant malais était l’assimilation forcée. Cette politique se déclinait notamment par l’imposition de noms thaïlandais pour les nouveau-nés et l’apprentissage forcé du thaïlandais aux locuteurs malais. Les thaïlandais d’origines malaises ont donc toujours eu comme principale préoccupation, la sauvegarde et la promotion de leur identité culturelle et religieuse au sein de la Thaïlande. Leurs principales revendications au début des années 2000, touchent à la liberté de se vêtir du Hijab pour les femmes musulmanes en privé mais aussi au travail, la création de mosquées et l’expansion des études islamiques dans les écoles publiques[3].

Ces demandes sont principalement traitées par le Chularatchamontri, le chef religieux des musulmans Thaïlandais. Il est nommé par le roi et gère les affaires religieuses islamiques du pays. La minorité musulmane fait aussi valoir sa voix par les urnes pour faire avancer son agenda politique. Dans les années 90, au sein des provinces de Yala et Narathiwat, un groupe de pression politique musulman, le Wahdah, (Unité), se forme pour influencer les deux partis politiques présent dans cette région, le Prachathipat, (Parti Démocrate), et le Kwam Wang Mai, (Parti des Nouvelles Aspirations). Ses efforts permirent la présence de musulmans à des postes de cabinets ministériels et l’élection de Wan Mohammed Noor Matha, un musulman, comme président du parlement Thaïlandais en 1996[4].

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La paix relative qui prévalait dans le sud de la Thaïlande durant les années 90, semble maintenant être un lointain souvenir. Depuis 2004, une guerre civile fait rage dans les trois provinces les plus au sud du pays, Yala, Narathiwat et Pattani. Dans ces trois provinces qui formaient jusqu’au début du vingtième siècle un sultanat indépendant, le Royaume de Patani, annexé par celui de Siam, l’ancienne Thaïlande, un nouveau conflit a éclaté en 2004, mettant aux prises les forces thaïlandaises avec plusieurs groupes révolutionnaires et séparatistes musulmans de langue malaise[5].

Les groupes indépendantistes qui mènent une lutte nationaliste depuis les années soixante, mais dont les activités ont énormément ralenti à la fin des années 80, comme le Pattani United Liberation Organization, (P.U.L.O) et le Barisan Revolusi Nasional, (B.R.N), semblent être seulement responsables d’une partie des nouvelles violences. Alors, qui sont les nouveaux combattants qui affrontent l’État Thaïlandais et ceux considérés comme ses «collaborateurs», bouddhistes et musulmans, depuis 2004 ? Personne ne semble être capable de les nommer avec précision. Les habitants de la région y réfèrent simplement comme les juwae (combattants)[6].

Ces nouveaux militants, les juwae, se regrouperaient au sein d’organisations comme le Pattani Islamic Mujahadeen Movement (P.I.M.M.) dont les intentions seraient d’expurger les bouddhistes de la région, de promouvoir l’application de la sharia et l’autonomie du Pattani[7]. Il y a aussi un terme que personne n’ose prononcer, mais que tout le monde entend, le djihad. Une guerre sainte aurait commencé contre tous les non-musulmans et les «collaborateurs» dans la région[8].

Dans ce contexte explosif, la politique de répression drastique de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, contribua fortement à l’aggravation de la situation. La loi martiale qu’il déclenche en 2004, suivit d’un décret d’urgence lui accordant des pouvoirs étendus, ainsi que les massacres commis par les forces militaires et policières enflammèrent encore plus la région. Sa mauvaise gestion du conflit interne poussa en partie les militaires Thaïlandais à le démettre de son poste lors d’un coup d’État en 2006[9].

Moines bouddhistes escortés par des soldats Thaïlandais dans la province de Pattani.

Moines bouddhistes escortés par des soldats Thaïlandais dans la province de Pattani.

Le futur de la région et la conclusion de la guerre interne semblent tristement incertains. Aux tensions religieuses se superposent des activités criminelles encore plus obscures qui lient trafics de drogues, prostitution, corruption et contrôle de territoires, ce qui rend la compréhension du conflit encore plus complexe. Plusieurs pistes sont notamment proposées pour résoudre la situation, telle une inclusion plus large de musulmans dans les instances de pouvoir et le déclenchement par le gouvernement de Bangkok d’une politique de développement accéléré pour sortir la région du marasme économique dans laquelle elle se trouve présentement[10]. Certains efforts ont été faits, la Thaïlande a renforcé la participation des provinces touchées par les hostilités dans le Indonesia – Malaysia – Thailand Growth Triangle, une organisation économique sous-régionale visant le développement des provinces les plus pauvres de ces trois pays.

Pour en apprendre plus, regarder ce documentaire de PBS, sur la vie des civils dans le sud de la Thaïlande.

Bibliographie :

–  Albritton, Robert B. (1999) «Political Diversity Among Muslims in Thailand», Asian Studies Review, Volume 23, Number 2.

–  Council on Foreign Relations, The Muslim Insurgency in Southern Thailand, http://www.cfr.org/thailand/muslim-insurgency-southern-thailand/p12531#5, page consultée le 4 décembre 2012.

–  Imtiyaz, Yusuf (2003) «Religious Diversity in a Buddhist Majority Country: The Case of Islam in Thailand», International Journal of Buddhist Thought & Culture, Vol. 3, pp. 131~143.ç

–  Indonesia – Malaysia – Thailand Growth Triangle, http://www.imtgt.org/, page consultée le 5 décembre 2012

–  Le Monde, Du sang dans l’ancien royaume de Patani, http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2009/04/13/du-sang-dans-l-ancien-royaume-de-patani_1179980_3216.html?xtmc=pattani&xtcr=5, page consultée le 4 décembre 2012

–  Patani United Liberation Organisation, http://puloinfo.net/Default.asp, page consultée le 5 décembre 2012

–  Public Broadcasting Service, Frontline World, Thailand Women For Peace, http://www.pbs.org/frontlineworld/rough/2007/08/flwrc55.html?&c=4qt, page consultée le 5 décembre 2012

–  The New York Times, Muslim Insurgents Confound Military in Thailand, http://www.nytimes.com/2009/09/01/world/asia/01iht-thai.html?pagewanted=all, page consulté le 4 décembre 2012

–  Times, In Death’s Shadow, http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1563009-1,00.html, page consultée le 4 décembre 2012.


[1] Robert Albritton, p.236.

[2] Yusuf Imtiyaz, p.137.

[3] Yusuf Imtiyaz, p 139.

[4] Robert Albritton, p.242.

[5] Times, en ligne.

[6] Times, en ligne.

[7] The New York Times, en ligne.

[8] Le Monde, en ligne.

[9] Council on Foreign Relations, en ligne.

[10] Council on Foreign Relations, en ligne.

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