Aux alentours du congé des Patriotes, deux nouvelles apparues dans les médias québécois illustrent de façon locale, deux facettes de l’économie contemporaine.
Ainsi, on apprend le jeudi 14 mai que l’entreprise de fabrication de simulateur de vol CAE va mettre à pied six cents emplois situés à Montréal en raison d’une simple anticipation d’hypothétiques pertes probables, dues à l’éventuelle baisse de commande de simulateurs de vol civils, eu égard aux récentes baisses de vente des compagnies aériennes.
Mais, chose curieuse, l’entreprise a dégagé de très bons profits l’année dernière et a décroché un très gros contrat gouvernemental dans le domaine militaire qui lui permet très largement quelques baisses de profit dans le volet civil sans qu’il y ai besoin de procéder à des centaines de licenciements.
De plus, un bon nombre de gens intéressés par la question (spécialistes et ainsi de suite) affirment, sans doute avec raison, que si baisse de commandes il y a, celle-ci ne serait que temporaire. En effet, un grand nombre de pilotes «baby-boomers» vont prendre leur retraite dans les prochaines années, laissant la place à des jeunes pilotes qu’il faudra bien former sur un simulateur de vol avant de leur lâcher les commandes d’un Bombardier ou autre Airbus…
On a ici la preuve par l’exemple que des dirigeants d’entreprises n’hésitent pas à sacrifier des centaines d’employés, certains étant dans ladite entreprise depuis dix ou même vingt ans, qui en pleine crise et dans un secteur assez pointu vont sans doute avoir beaucoup de mal à retrouver un travail, notemment pour les plus âgés.
Pourquoi, une coupe à blanc de la sorte alors qu’elle ne semble pas nécessaire à la bonne marche de l’entreprise, le secteur militaire compensant largement les pertes hypothétiques du secteur civil ? Gageons que la recherche du profit maximal (et pas seulement ce qu’il faut pour faire vivre tout le monde correctement) et la volonté de croissance perpétuelle et sans limite, caractéristiques essentielles du capitalisme, y sont certainement pour beaucoup…
Quelques jours plus tard, une nouvelle plus encourageante contribua à améliorer mon humeur, qui est malheureusement passablement sensible aux évolutions de l’actualité …
L’entreprise Thornloe eu en effet droit à un reportage au téléjournal de Radio-Canada pour avoir réussi le fait d’armes de survivre à l’abandon de la part d’une firme transnationale sans aucune perte d’emploi. Thornloe est une entreprise ontarienne, productrice de fromage artisanal, qui il y a quelques temps fut jugée comme n’étant pas assez rentable par la firme transnationale Parmalat son propriétaire de l’époque qui décida de s’en séparer, la laissant ainsi à un éventuel repreneur ou en son absence face à une fermeture. L’expérience des ventes et rachats d’usines autant en Europe qu’en Amérique du Nord ne peut que mener à la constatation que dans beaucoup de cas, c’est du côté de la masse salariale que l’on va chercher à réduire les coûts de production… En plus clair, ce sont souvent les employés qui paient la note de la «restructuration» qui suit presque toujours une vente, paiement en général réglé par quelques licenciements et réductions de salaire. Pour ce qui est de la fermeture, nul besoin de décrire les conséquences d’un tel scénario, l’entreprise cessant d’exister.
Les employés de chez Thornloe, n’avaient donc pas un radieux avenir devant eux. À ce sombre tableau s’ajoutait le fait qu’ils n’étaient pas vraiment maîtres de leurs destins. C’est à dernier aspect que les travailleurs s’attaquèrent. Ils décidèrent en effet de racheter eux-même leur propre usine, la transformant ainsi en coopérative. Avec l’aide des communautés locales et de banquiers bienveillants (je vous jure qu’il en existe, le mien fait d’ailleurs partie de ces oiseaux rares), ils menèrent leur projet à bien. Après quelques années de coopérativisme, l’entreprise marche très bien à l’heure actuelle, recevant même des prix de concours spécialisés pour la qualité de ses produits. L’ironie de l’histoire réside dans le fait qu’un des clients de la coopérative de Thornloe n’est nul autre que … Parmalat, son ancien propriétaire, sans doute nostalgique.
Ainsi, tout comme il y a, paraît-il, une lumière au bout du tunnel, le coopérativisme apparaît comme une piste de solution possible à une situation économique qui semble mener de plus en plus à une impasse. Et ce constat peut aussi bien s’effectuer au niveau global, qu’au niveau local.
Vu que je ne peux malheureusement discourir à l’envi sur les caractéristiques de cette réappropriation faite par les travailleurs de leur moyen de travail, je conseille au lecteur motivé d’aller étancher sa soif en allant voir ce petit cahier d’information (4 pages), édité par le «Chantier de l’économie sociale», organisation québécoise de promotion de l’économie sociale (forcément).
Il est pour finir capital, je penses, de comprendre que les débats secouant actuellement le monde que ce soit au niveau de l’économie ou de l’environnement, ou encore de la sécurité, ne sont pas des choses désincarnés.
Car rien n’est plus frustrant que de se faire taxer de «déconnecté», d’utopiste ou de doux rêveur alors que l’on parle de ces thèmes qui, comme je viens de le montrer (enfin j’espères), ont une incidence directe sur la vie de chacun d’entre nous.
Que ce soit les deux histoires économiques que je viens de conter, ou bien d’autres comme la dévalorisation de la culture croissante au Canada, leurs issues nous concernent presque personnellement.
Que ce soit parce que l’on perd son emploi suite à une fermeture d’usine ou qu’on le garde grâce au caractère inventif du coopérativisme. Ou bien alors car, en tant que québécois, on se voit privé à petit feu du principal moyen d’expression de son identité, à savoir la culture.
Mais ceci est une autre histoire…