LA ZLEA: ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE AMÉRICAINE?

Par Mijail Raigorodsky

La Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), traité visant à éliminer toute barrière douanière parmi l’ensemble des États du continent américain (à l’exception de Cuba), fut proposée pour la première fois lors du sommet des Amériques à Miami le 11 décembre 1994. Malgré les rencontres multiples effectuées entre les différents dirigeants politiques des nations concernées, un consensus général sur la portée dont l’accord devrait bénéficier n’a toujours pas été achevé. Les États-Unis ayant favorisé avant tout un simple élargissement de l’Accord de libre-échange nord-américain, les petites et moyennes puissances continentales(dont notamment le Brésil et les fameuses nations  »bolivariennes ») critiquent vivement la possibilité d’adopter un tel traité qui d’après eux viendrait renforcer la domination américaine (Gudynas 2005). Quels effets aurait la mise en place du traité de libre-échange des Amériques dans les nations latino-américaines du point de vue économique et social? On étudiera tout d’abord les avantages de l’établissement éventuel d’un tel accord en Amérique, pour ensuite étudier les inconvénients de celui-ci.

Tout d’abord, la création d’une zone de libre-échange des Amériques constitue une réponse juste et nécessaire à la vague régionaliste qui, depuis vingt ans, ne cesse de croître. En effet, la planète compte aujourd’hui plusieurs blocs commerciaux dont les plus connues sont l’Union Européenne et l’ASEAN. Ces blocs rentrent dans la logique de l’école néo-fonctionnaliste qui, dans le cadre de la mondialisation, préconise une intégration politique plus approfondie à travers l’effet du  »spill-over ». Ce dernier permettrait, par la création dans un premier temps d’institutions favorisant la coopération dans les domaines techniques et économiques (laissant donc de côté tout aspect politique), une coopération qui s’étend dans des domaines  sensibles (Leresche and Saez 1997, 31). L’exemple classique de cette théorie repose  dans le cas européen, dont l’intégration débuta par l’entrée en vigueur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1952 et qui aujourd’hui profite  du modèle d’intégration le plus complexe au niveau planétaire. La ZLÉA serait donc non pas seulement un traité exclusivement économique, mais un véritable pas vers une intégration complète caractérisée par la coopération politique et économique de l’ensemble des États membres.

De plus,  le régionalisme économique proposé permettrait aux pays du continent américain d’accroître l’efficience dans la production et dans l’organisation des marchés (Deblock and Brunelle 1997, 343).  Geneviève Lessard  ajoute que les gains de l’intégration seraient encore plus importants pour les pays en développement, du fait que l’association avec les États-Unis permettrait de  »diversifier leurs exportations et d’obtenir un plus grand nombre de produits au prix le plus bas possible » (Lessard 2000, 6). Cette association favoriserait l’investissement direct étranger, source de capitaux et de technologies dont les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont besoin afin d’assurer leur croissance économique, ainsi que  la présence d’entreprises étrangères qui représentent une source d’emploi essentielle pour la population, permettant souvent d’obtenir des meilleurs emplois et de meilleures conditions de travail (Lessard 2000, 7). L’établissement de ce traité constitue par conséquent une étape incontournable pour parvenir à la croissance économique et au développement.

D’autre part,  l’expérience du régionalisme en Amérique n’est souvent pas aussi positive qu’on le pense. Malgré l’établissement de nombreux traités de libre-échange et de réformes commerciales, la croissance économique enregistrée durant les années 1990 dans le continent américain n’a été en moyenne que de 3,3%, alors que le PIB par habitant n’a augmenté que de 1,5%. Ceci représente  un progrès par rapport à la décennie précédente, mais ne parvient toujours pas à pallier les énormes écarts au sein des sociétés de la plupart des pays du continent. En effet, cette région est caractérisée par d’énormes contrastes, qui vont bien au-delà des rapports intra-nationaux, mais se retrouvent aussi dans les rapports inter-étatiques. Si aujourd’hui  60% des exportations et un peu moins de 50% des importations totales des 34 pays se font à l’intérieur des Amériques, contre 48% et 41 % il y a dix ans,   »les États-Unis représentent près de 77% du PIB total des Amériques et plus de 62% de toutes les exportations du continent » (Turcotte 2001, 33), comparé au Nicaragua et à Haïti qui comptent ensemble pour 1/2000e  du même total. Il existe donc un haut degré d’hétérogénéité dans les Amériques, évident dans la répartition des ressources économiques. Ces disparités, censées se réduire avec l’établissement de traités de libre-échange ne cessent de croître, ce qui nous emmène à penser que le ZLEA constitue un instrument des États-Unis pour renforcer leur domination économique et politique en Amérique latine.

Si on a parlé auparavant des avantages liés aux investissements directs étrangers, il existe aussi plusieurs inconvénients considérables engendrés par ces investissements, surtout pour les économies limitées au niveau des ressources naturelles, les capitaux investis dans ces pays n’étant pas dans une perspective d’investissement à long terme.  »Lorsqu’il y a investissement direct celui-ci passe le plus souvent par l’acquisition d’entreprises locales. L’efficacité des entreprises achetées peut ainsi être améliorée, mais l’effet sur la capacité productive du pays hôte demeure limitée » (Lessard 2000, 15). Le système capitaliste ne peut donc pas répondre aux besoins réels des pays en difficulté, la privatisation des industries créant un frein au  développement durable. Ainsi, plutôt que de cibler l’expansion du commerce de services et d’établir encore plus de protection pour la propriété intellectuelle (telle que préconisé par l’Amérique du Nord), il faudrait plutôt mettre une fin aux subventions gouvernementales pour l’agriculture mises en place principalement par les États-Unis, ainsi que de créer une clause pour les biens agricoles dans un futur traité.

En conclusion, malgré les avantages préconisés par l’école libérale (surtout les néo-fonctionnalistes) d’un accord de libre-échange  dans l’intégration économique et politique des nations  du continent américain, l’écart croissant entre les États-Unis et le reste des pays malgré l’établissement de divers traités régionaux et bilatéraux avec le géant américain, laisse croire que la création d’une zone de libre-échange des Amériques viendrait renforcer l’hégémonie américaine dans la région. C’est pourquoi une autre voie dans l’intégration économique et politique doit être entreprise, axée sur les spécificités et avantages des plus petites nations.

Bibliographie

Deblock, C., and D. Brunelle. 1997. «De PALE à la ZLEA: régionalisme et sécurité économiques dans les Amériques.» Études internationales 28(2): 313–344.

Gudynas, Eduardo. L’ombre de la Zlea sur sommet présidentiel sans accord. En ligne.

http://www.alternatives.ca/fra/journal-alternatives/publications/nos-publications/articles-et-analyses/articles-de-l-exterieur/article/l-ombre-de-la-zlea-sur-un-sommet?lang=fr (page consultée le 26 avril 2010).

Leresche, Jean-Philippe, and Guy Saez. 1997. «Identités territoriales et régimes politiques de la frontière.» Pôle Sud 7(1): 27-47.

Lessard, G. 2000. «Les économies de petite taille et la ZLÉA.» mars 2(4): 5-24.

Turcotte, S. 2001. L’intégration des Amériques: pleins feux sur la ZLEA, ses acteurs, ses enjeux. Montréal: Les Editions Fides.

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05 2010

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