LE COMMERCE: CHANGER LES RÈGLES OU QUITTER LE JEU?
Par Dominic Garant
Le développement n’est pas que l’affaire des grandes institutions internationales ou de l’État. Il peut aussi être entrepris par des organisations non-gouvernementales (ONG) ou des groupes locaux. En effet, des projets initiés tant par des ONG des centres que par des organisations de la périphérie fustigent. De tels projets ont évidemment des répercussions significatives sur les relations centres-périphéries. Il est important de savoir si ces initiatives renforcent ou atténuent la dépendance des périphéries envers les centres. Pour répondre à cette question, un premier regard sera porté sur le commerce équitable en Amérique latine. Un second regard jettera un œil sur deux mouvements agissant sous la bannière de la souveraineté alimentaire.
Le commerce équitable n’a cessé de prendre de l’importance dans les centres au cours des dernières années. En effet, la Fairtrade Labeling Organization (FLO) estime que les ventes dans les centres ont augmenté de 22% entre 2007 et 2008.[1] Le produit ayant connu le plus de succès dans les centres est le café[2], mais il est possible de trouver des produits variés tels que des savons, des instruments de musique ou de la literie. Les règles régissant le commerce équitable sont en voie d’institutionnalisation via la certification. Parmi ces règles, on retrouve des critères de démocratie participative, de respect de l’environnement, de santé et sécurité des travailleurs et de garanties de prix aux producteurs.[3]
Le commerce équitable semble apporter plusieurs bénéfices aux producteurs. Au niveau du prix perçu pour leur produit, il est estimé qu’un producteur de café équitable au Mexique reçoit le double de ce qu’il recevrait sur le marché “traditionnel”.[4] De plus, les producteurs reçoivent souvent une formation accrue sur la production des produits. Les coopératives peuvent se permettre aussi d’offrir à leurs membres du support technique.[5] Certains groupes marginalisés tels que les handicapés ou les femmes sont souvent aussi encouragés, leur permettant d’obtenir une certaine sécurité financière et un emploi stable.[6] Il peut donc être dit que le commerce équitable contribue de façon positive, entre autres, à l’emploi et au revenu pour les populations d’Amérique latine.
Son impact sur les relations centres-périphéries est cependant moins reluisant. Le commerce équitable s’imbrique en effet dans une vision marchande du développement dans laquelle il faut changer les mentalités de la demande dans les centres et aider l’offre dans les périphéries. Le succès du commerce équitable est donc grandement dépendant de la réaction de la demande dans les centres.[7] Il y a donc une continuité avec le modèle de développement qui se base sur les exportations. Ce qui perpétue la dépendance des périphéries envers les centres.
La via campesina (la voie paysanne), quant à elle, s’inspire du concept de souveraineté alimentaire, qu’elle définit comme étant “le droit de chaque nation de maintenir et développer sa capacité de produire ses aliments de base, dans le respect de la diversité culturelle et culturale. Et le droit de produire sa nourriture sur son propre territoire”.[8] Sur son site internet, la voie paysanne se décrit comme suit:
Un mouvement international de paysans, de petits et moyens producteurs, de sans terre, de femmes et de jeunes du milieu rural, de peuples indigènes et de travailleurs agricoles. Nous défendons les valeurs et les intérêts de base de nos membres. Nous sommes un mouvement autonome, pluraliste et multiculturel, indépendant de toute organisation politique, économique ou autre. [9]
La souveraineté alimentaire implique plusieurs prescriptions. L’agriculture, de nature vivrière, devrait être basée sur les pratiques paysannes et tenir compte de la biodiversité et de la capacité des sols. Les prix des produits locaux doivent être protégés, nécessitant donc des mesures protectionnistes. Il faut éviter l’industrialisation de l’agriculture. Toutes les aides à l’exportation doivent être supprimées.[10] Le commerce des denrées alimentaires ne se fait qu’advenant la présence d’excédents. Ceux-ci pourront donc être échangés, mais seulement de façon bilatérale.[11]
L’agriculture devient d’une part un facteur de lutte contre la pauvreté et d’autre part, une stratégie de lutte contre les structures favorisant les intérêts des centres. Effectivement, un autre mouvement au sein de la souveraineté alimentaire a réussi à mobiliser beaucoup de paysans. Il s’agit du Mouvement des Sans Terres au Brésil qui organise l’occupation de plusieurs terres (environ 390 occupations en 2003)[12] mais aussi qui sabota les cultures génétiquement modifiées et occupa les laboratoires de Monsanto en 2001. Ces mouvements, sous la bannière de la souveraineté alimentaire, cherchent à briser les structures du commerce agricole en réorientant la production vers les besoins locaux et selon les traditions locales. Ceux dont les intérêts sont affectés riposteront en catégorisant le mouvement de dangereuse tentative vers l’autarcie. D’autres y verront plutôt une prise de contrôle des populations de leur agriculture, un pas essentiel vers l’auto-détermination et le développement des collectivités.[13]
Le commerce équitable et la souveraineté alimentaire ont différentes implications pour les relations centre-périphéries. Le présent article a permis de démontrer comment le commerce équitable perpétue les structures de dépendance entre les centres et les périphéries, malgré certaines contributions positives au développement de ces dernières. Il fut ensuite présenté comment la souveraineté alimentaire peut contribuer à l’autonomie de la périphérie en réorientant l’agriculture vers les besoins locaux. Cette série de billets sur le lien entre développement et relations centres-périphéries a tenté de démontrer comment le développement est un projet politique au cours duquel les acteurs cherchent à faire valoir leurs propres intérêts. En Amérique latine, ces luttes d’intérêts se passent non seulement au niveau des institutions internationales et régionales, mais aussi au niveau national et local.
Bibliographie
Ballet, Jérôme et Aurélie Carimentrand. 2007. Le Commerce Équitable. Paris: Ellipses Édition Marketing S.A.
Desmarais, Annette Aurélie. 2008. La Via Campesina: Une Réponse Paysanne à la Crise Alimentaire. Montréal: Écosociété.
Fairtrade Labeling Organization. 2009. FLO Annual Report 2008-2009. Bonn: FLO.
Galdino, Maurilio. 2005. “The Return of Radicalism to the Countryside: the Landless Movement”. Dans Michel Duquette, dir., Collective Action and Radicalism in Brazil: Women, Urban Housing and Rural Movements. Toronto: University of Toronto Press Incorporated, 130-155.
Murray, Douglas, Laura T. Reynolds et Peter Leigh Taylor. 2003. One Cup at a Time: Poverty Alleviation and Fair Trade in Latin America. Document de recherche. Fair Trade Research Group, Colorado State University.
Via Campesina. 2007. Qu’est-ce que la Via Campesina?. En Ligne. http://www.viacampesina.org/fr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=27&Itemid=44 (page consultée le 20 Avril 2010).
[1] Fairtrade Labeling Organization, FLO Annual Report 2008-2009 (Bonn: FLO, 2009).
[2] Douglas Murray, Laura T. Reynolds et Peter Leigh Taylor, “One Cup at a Time: Poverty Alleviation and Fair Trade in Latin America”, (Colorado: Fair Trade Research Group, Colorado State University, 2003).
[3] Jérôme Ballet et Aurélie Carimentrand, Le Commerce Équitable (Paris: Ellipses Édition Marketing S.A., 2007).
[4] Voir Murray et al., 7.
[5] Ibid., 8.
[6] Selon Ballet et Carimentrand. 181.
[7] Ibid., 13.
[8] Définition tirée de Annette Aurélie Desmarais, La Via Campesina: Une Réponse Paysanne à la Crise Alimentaire (Montréal: Écosociété, 2008).
[9] Cette définition fut trouvée sur le site internet de l’organsiation. Via Campesina. “Qu’est-ce la Via Campesina”, (2007) En Ligne. http://www.viacampesina.org/fr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=27&Itemid=44 (dernière consultation le 20 Avril 2010).
[10] Ibid., 47.
[11] Ibid.
[12] Maurilio Galdino, “The Return of Radicalism to the Countryside: the Landless Movement” dans Michel Duquette, dir., Collective Action and Radicalism in Brazil: Women, Urban Housing and Rural Movements (Toronto: University of Toronto Press Incorporated, 2005), 130-155.
[13] Voir Desmarais. 49.