L’ALCOOLISME CHEZ LES AUTOCHTONES : LA GÉNÉTIQUE OU UN FACTEUR IDENTITAIRE ?

Par Janie Beaupré Quenneville

Il est nécessaire pour chaque peuple d’avoir une identification collective, un aspect de leur culture qui leur est propre, afin de se reconnaître et de s’identifier à un seul et même groupe. Par exemple, les deux nations canadiennes s’identifient à une culture différente, à savoir, la culture française et anglaise. Cependant, selon plusieurs, la nation autochtone s’identifie principalement à un mode de vie spécifique composé d’une alimentation particulière, mais aussi à une consommation d’alcool plus souvent qu’autrement excessive[i]. Outre le facteur identitaire, l’hypothèse du « désordre génétique » est aussi apportée par les scientifiques pour expliquer ce problème de consommation[ii].

Le facteur identitaire serait une répercussion directe de la ségrégation connue par les Autochtones depuis la conquête du Nouveau Monde. Lorsque Champlain a interdit la consommation d’alcool aux « Indiens » en 1633, les Autochtones ont convoité ce bien de façon tout à fait illégale[iii]. Le problème est que cette course à l’alcool se poursuivit jusqu’en 1985, année où la prohibition fût levée par le gouvernement canadien[iv]. Préalablement, la consommation était associée au prestige des « blancs ». C’est cette notion de prestige qui va encourager cette nation à vouloir la consommer de plus en plus. Ainsi, au fil du temps la consommation devient une habitude au sein de la nation, pour par la suite s’intégrer dans les mœurs.

La deuxième hypothèse propose plutôt une prédisposition génétique à consommer de l’alcool. En fonction de plusieurs facteurs différents, telles l’hérédité, la vulnérabilité ou la susceptibilité de ce peuple, leur système transformerait plus lentement que les « blancs » l’alcool[v]. Selon un article paru dans l’Human Genetics, c’est un gène spécifique, l’ADH1C, qui causerait la vulnérabilité des autochtones[vi]. À cause de la génétique, plusieurs Amérindiens ne considèrent pas l’alcoolisme comme un problème de consommation à surmonter, mais plutôt comme une maladie à laquelle ils devront faire face toute leur vie. Ainsi, ils ne cherchent pas à régler ce problème et le taux d’alcoolisme dans les Réserves reste élevé.

Par contre, plusieurs recherches récentes contredisent cette thèse. En résumé, Bernard Roy soulève le fait « qu’avec le triomphe mondial du monde de production capitaliste, [soit] nos sociétés marchandes et individualistes, [les scientifiques] tendent à dissoudre les solidarités et à se décharger de toute responsabilité dans le devenir des individus »[vii]. Selon lui, la génétique serait donc un moyen de ne pas se préoccuper de ce problème.

Malgré tout, l’alcoolisme est perpétuel chez les Autochtones. Pour eux, c’est un mode de vie, une façon d’être, une identité culturelle. Ces nations déclarent elles-mêmes que c’est le plus grand problème auquel ils sont confrontés. Pour le surmonter, Santé Canada, en collaboration avec les Premières nations, a mis en place le Programme national de lutte contre l’abus d’alcool et de drogue chez les Autochtones. Dans le cadre de ce programme, on cherche à reconstruire un mode de vie qui ne tourne pas autour de l’alcool, qui n’en est pas dépendant. Cette rééducation est d’autant plus importante sachant que plusieurs auteurs mettent en relation la consommation d’alcool et le comportement social des gens, à savoir, le haut taux de violence, le viol, le vol, la criminalité et j’en passe. Le but est donc de diminuer le taux de victimisation pour assurer une meilleure vie au sein des Réserves[viii].

Cependant, la mise en place de ce programme est plutôt méprisée au sein des communautés. Comme il l’a été dit précédemment, l’alcool est un code identitaire au sein de ces populations. Ainsi, il est plutôt difficile de promouvoir la désintoxication. De plus, le problème se continue même une fois la rééducation accomplie. L’obstacle le plus important est la marginalisation de l’individu au sein de sa communauté provoquant l’exclusion sociale[ix]. L’extrait suivant démontre clairement ce problème : « Depuis que j’ai arrêté de boire, tu vois, je suis tout seul. Je n’ai plus d’amis. Les amis que j’avais avant. Je dis que c’était mes amis parce que je payais la traite à mes amis. Aujourd’hui, j’y vais là-bas. J’y vais pour aller voir mes amis. Ils ne me parlent pas parce que je ne bois pas » (Anonyme, 46 ans)[x]. Comme le démontre ce témoignage, le fait d’arrêter de boire apporte aussi l’isolement et l’exclusion volontaire des autres membres de la communauté, ceci affectant grandement le taux de participation et de réussite aux programmes de soutien. Il faut donc changer la mentalité de la communauté, en plus d’intégrer un meilleur support pour les participants terminant le programme.

Somme toute, il n’en reste pas moins que la reconnaissance du problème comme identité collective commence à être bien cernée auprès des différentes communautés. Un chef autochtone, Matthew Coon Come, a même déclaré publiquement que la consommation est omniprésente dans les différentes communautés et que les chefs doivent s’y attaquer le plus vite possible. Contradictoirement, en s’attaquant à l’alcoolisme, le chef Coon Come a perdu son titre lors de l’Assemblée des premières nations[xi]. Il va sans dire, ce problème est loin d’être réglé.


[i] Bernard Roy, p.90.

[ii] Bernard Roy, p.94.

[iii] Bernard Roy, p.93.

[iv] Alexandra Pronovost, p.36.

[v] Bernard Roy, p.94.

[vi] Connie J. Mulligan et Robert W. Robin, p.329.

[vii] Voir Bernard Roy, p.98.

[viii] Santé Canada, en ligne.

[ix] Alexandra Pronovost, p.42.

[x] Voir Bernard Roy, p.111.

[xi] Bernard Roy, p.119.

Bibliographie

Canada. Santé Canada. 2006. Programme national de lutte contre l’abus de l’alcool et des drogues chez les autochtones. En ligne. http://www.hc-sc.gc.ca/fniah-spnia/substan/ads/nnadap-pnlaada-fra.php (Page consultée le 2 mars 2010).

Mulligan, Connie J. et Robert W. Robin. 2003. « Allelic and variation at alcohol metabolism genes (ADH1B, ADH1C, ALDH2) and alcohol dependance in a Americain Indian population ». Human genetics 113 (juillet): 325-336.

Pronovost, Alexandra. 2009. « Réparer le cercle : la responsabilité de l’Autochtone alcoolique ». Régulations sociopénales et peuples autochtones 42 (no 2): 31-51.

Roy, Bernard. 2005. « Alcool en milieu autochtone et marqueurs identitaires meurtriers ». Alcool et Amérindiens : usage et intervention 4 (no 1): 85-128.

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03 2010

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