L’ENJEU AFGHAN : 1945-1964

Par Delphine Meunier

L’Afghanistan est un pays que l’on croit connaître. Pourtant, son histoire contemporaine pourrait en étonner beaucoup. Qui pourrait imaginer que ce pays aujourd’hui ravagé tenta inlassablement au cours des 60 dernières années de se redresser ? Dans cet article, nous étudierons le premier élan de modernisation de l’après-guerre à 1964 – date à laquelle fut créée une nouvelle Constitution – et analyserons ses lacunes. L’histoire sera une dimension importante de notre propos puisque cette période suit la fin de la Seconde Guerre mondiale puis s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide. C’est pourquoi nous travaillerons sur ces deux périodes distinctement pour ensuite comprendre le problème principal qui fit échouer les politiques de développement en Afghanistan.

Au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale veut aider les pays sous-développés[1]. L’Afghanistan, qui était déjà autonome, reçoit aussi cette aide. Grâce à cela, dès 1946, le pays se modernise et se démocratise rapidement. Par exemple, est créée la première banque privée : la Bank-e-Melli[2]. Le pays débute son accélération : il est dans une phase précédant son take-off (décollage)[3].

Cependant, sa situation chute à nouveau à cause d’une crise de la dette. En 1961, 40% des revenus du gouvernement servent à rembourser la dette du pays. En 1963, ses exportations ne rapportent même plus assez pour s’acquitter[4] de cette dette.

La fin de la Seconde Guerre mondiale est aussi synonyme de début de la Guerre froide. Deux blocs, les États-Unis capitalistes d’un côté et l’URSS communiste de l’autre, cherchent à s’accaparer le plus de territoires possibles pour pallier l’expansion de l’adversaire. L’Afghanistan est un allié stratégique : il se trouve au coeur de l’Asie. Les deux blocs y voient une porte ouverte sur tout le continent pour répandre leur idéologie. L’URSS s’y intéresse particulièrement car l’Afghanistan est un pays limitrophe.

Toutefois, ce dernier est réputé dans le monde oriental pour sa neutralité. L’Afghanistan réclamait au tout début de la Guerre froide de l’aide aux deux blocs, que l’un d’eux, celui de l’Ouest, refusait toujours. Le gouvernement afghan voulait surtout un soutien financier pour le secteur militaire. Or, les États-Unis jugeaient que le pays avait plutôt besoin d’aide humanitaire et technique, ce qui explique leur refus. Pour répondre à ses objectifs militaires, l’Afghanistan dû donc sacrifier sa neutralité au profit de l’URSS[5].

Le bloc communiste ne laissa pas passer sa chance. Dès 1953, l’URSS investit massivement dans l’armée afghane pour uniformiser l’autorité afghane dans tout le territoire. En 1955, l’URSS prêta 100 millions de dollars. Ceux-ci permirent notamment d’améliorer les structures de santé et d’enseignement, mais principalement de construire un véritable réseau routier. Le tunnel de Salang, seul moyen sûr d’aller de Kaboul à la frontière nord, est l’emblème de ces années de modernisation[6]. Le pays dépend d’autant plus du bloc soviétique entre 1961-1963 : les frontières avec le Pakistan, principal partenaire économique de l’Afghanistan, sont closes[7].

Les États-Unis, voyant l’Afghanistan se rapprocher de l’URSS, se rendent compte que des efforts doivent être fait pour empêcher que le pays soit englouti sous l’influence communiste. Ils investissent alors en Afghanistan. Ce dernier devient l’un des pays recevant le plus d’aide au monde, au point d’en devenir dépendant.

De plus, il compte sur les projets d’aide au développement pour développer son économie, ce qui lui permettrait de rembourser sa dette. Or, ces projets échouent souvent. L’Afghanistan n’amasse pas assez d’argent pour s’acquitter de sa dette. Il ne peut, de plus, se passer de l’aide puisqu’il en est dépendant[8]. Le voilà parti dans un cercle vicieux.

Ces politiques d’aide sont d’autant plus vouées à l’échec par le simple fait qu’il y a un trop grand vide séparant le centre de la périphérie de l’Afghanistan. L’élite chargée de remettre le pays sur pied connaît en fait très mal la situation du territoire et de ses habitants. Ainsi, malgré toute la bonne volonté du gouvernement, celui-ci par son ignorance ne change rien voire aggrave les conditions de vie.

À ce titre, en économie, l’élite, très occidentalisée, veut créer un pays moderne. Or la population reste traditionnelle : il y a contradiction entre l’Afghanistan moderne que veut bâtir l’élite et la réalité sociale. Par exemple, dans les années 1950, existe l’économie « bazar » : c’est l’ensemble des activités économiques à petite échelle. Cette économie est la plus répandue en Afghanistan car c’est la seule à laquelle les Afghans ont accès à cause de leurs faibles revenus. Le gouvernement étatise cette économie. Les prix augmentent, le commerce de rue disparaît peu à peu [9].

Non seulement cette élite est ignorante, elle est en plus absente. l’État a un semblant de contrôle dans la capitale Kaboul. Sinon, le pouvoir étatique n’existe pratiquement pas en province. Par exemple, les malik, qui assurent la liaison entre l’administration et les villageois, sont souvent absents ou pas reconnus par les villageois eux-mêmes[10].  En conséquence, la plus grande lacune de l’Afghanistan au début de la Guerre froide, serait cet écart entre l’État et le reste du pays.

La fin du Second conflit mondial amènera l’Afghanistan à faire des efforts de développement. La Guerre froide le rendit dépendant de l’aide extérieur, plus précisément de l’URSS. Ceci créa des problèmes économiques. À ceci s’ajoute l’écart entre le centre et la province qui empêche tout développement important du pays. Cette lacune jouera plus tard bien des tours à l’Afghanistan dans chacune de ses tentatives de développement.

Bibliographie

Eterline, Andrew J., J. Michael Greig. 2008. « Against all Odds ? the History of Imposed Democracies and the Future of Irak and Afghanistan » En ligne. http://www.psci.unt.edu/enterline/against-all-odds-v5.pdf (page consultée le 13 janvier 2010)

Étienne, Gilbert. 1972. L’Afghanistan et les Aléas de la Coopération. Paris : Presses universitaires de France.

Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010).

Haider, Habib et François Nicolas,. 2006. Afghanistan : Reconstruction et Développement. Gémenos : Autres Temps.

J. Pry, Maxwell. 1974. The Afghan Economy: Money, Finance and the Critical Constraints to Economical Development.. Leiden : Brill.

Rasanayagam, Angelo. 2003. Afghansitan: a Modern History. New York : I.B. Tauris


[1]Andrwe J. Eterline et J. Michael Greig, « Against all Odds ? The History of Imposed Democracies and the Future of Irak and Afghanistan ». (2008) En ligne. http://www.psci.unt.edu/enterline/against-all-odds-v5.pdf (page consultée le 13 janvier 2010)

[2] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gemenos : Autres temps, 2006), 52.

[3] Gilbert Étienne, L’Afghanistan et les Aléas de la Coopération (Paris : Presses de l’université de France, 1972), 54.

[4] Angelo Rasanayagam, Afghanistan: a Modern History (New York : I.B. Tauris, 2003) 36-37.

[5] Angelo Rasanayagam, Afghanistan: a Modern History (New York : I.B. Tauris, 2003) 28-29.

[6] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gemenos : Autres temps, 2006), 52.

[7] Gilbert Étienne, L’Afghanistan et les Aléas de la Coopération (Paris : Presses de l’université de France, 1972), 42.

[8] Martin Ewans, « Afghanistan: History », (2010) En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010),7.

[9] Maxwell J. Fry The Afghan Economy: Money, Finance anf the Critical Constraints to Economical Development (Leiden: Brill, 1974) 45-48.

[10] Gilbert Étienne, L’Afghanistan et les Aléas de la Coopération (Paris : Presses de l’université de France, 1972), 111.

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03 2010

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