CRISE DE LA FAIM
Par Laura Hébert
« Les peuples ont ceci de commun qu’ils ont forcément connu la famine au cours de leur histoire […] Il ne s’agit pas d’établir ici une hiérarchie entre les peuples. Au contraire. Il s’agit de montrer que la faim est leur plus haute identité. Aux pays qui nous bassinent avec le caractère prétendument unique de leur population, déclarer que toute nation est une équation qui s’articule autour de la faim. »
Amélie Nothomb. Biographie de la faim
Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l’Organisation des Nations Unies, il existe aujourd’hui dans le monde 1,02 milliard de personnes qui sont sous-alimentées. En effet, la faim et la malnutrition constituent les menaces mondiales principales à la santé humaine. Les causes sont multiples : catastrophes naturelles, conflits, pauvreté, infrastructures agricoles insuffisantes, surexploitation des ressources naturelles, etc. Cependant, le problème demeure le même ; des centaines de millions de personnes ont faim et la situation, alors qu’elle avait semblé s’améliorer au cours des années 1980 et 1990, se dégrade de jour en jour. Alors que les Nations Unies se sont données comme mission de par les Objectifs du Millénaire pour le développement de réduire de moitié le nombre de personne souffrant de la faim d’ici 2015, le fléau continue d’avancer et n’est pas près de disparaître[i].
Ainsi, de nombreuses personnes sont donc dépendantes de l’aide internationale, de ce qu’Alice Corbet qualifie de «dispositif humanitaire»[ii]. En octroyant la ration minimale calorique soit les 2100 kilocalories par adulte réglementaires par jour les populations sont maintenues en état de survie, ce qui n’est pas une solution optimale pour enrayer la crise alimentaire. Comme Confucius a dit, lorsqu’un homme a faim, il vaut mieux lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. Par ailleurs, c’est dans cette optique ce billet s’intéressera à une des réponses formulées par les paysans à la crise : le concept de souveraineté alimentaire défendu par le mouvement paysan Via Campesina qui se bat également contre le modèle d’agriculture néolibéral.
Auparavant, la faim était vu comme inhérente au sous-développement et les moyens de la combattre résidaient dans l’assistance technique en misant sur l’accroissement de la productivité agricole. Mais, devant une certaine «inertie de la communauté internationale»[iii] face à l’élimination du réel problème et vu «l’état de perpétuelle dépendance»[iv] des populations touchées, de nouvelles pistes de solutions basées sur le développement participatif sont de mises. L’initiative Via Campesina représente l’une de ces alternatives menées à la base, par les communautés.
Via Campesina est « un mouvement paysan autonome, indépendant et militant »[v] qui a vu le jour en 1993 et réuni tant des petits et des moyens producteurs agricoles tant du Sud que du Nord. Elle lutte pour une agriculture à dimension humaine qui ne suit pas le modèle néolibéral et qui place les intérêts et le rôle des paysans au centre du débat. Ce qu’Annette Desmarais désigne comme « une des grandes forces de Via Campesina est sa capacité de rassembler des organisations issues de contextes politiques, économiques, sociaux et culturels différents tout en réussissant à établir la cohésion du mouvement. »[vi]
À l’instar du Programme alimentaire mondial qui tente de rétablir la «sécurité alimentaire» des affamés de ce monde, Via Campesina défend le concept de «souveraineté alimentaire». Il existe plusieurs définitions de ce qu’est la sécurité alimentaire que l’on retrouve notamment dans un article du FAO ; il s’agit en fait « d’assurer qu’un pays produise une quantité suffisante de nourriture et y donne accès à tous ses habitants »[vii]. La souveraineté alimentaire va plus loin, en ce sens qu’elle représente, selon la définition que lui a donné Via Campesina : « le droit de chaque nation de maintenir et développer sa capacité de produire des aliments de base, dans le respect de la diversité culturelle et culturale, le droit de produire sa nourriture sur son propre territoire […], de définir sa politique agroalimentaire. »[viii]
Par ailleurs, la souveraineté alimentaire représente un élément de solution à la sortie de la crise alimentaire puisqu’elle permettrait aux communautés rurales de prendre en main leur développement et de diminuer leur dépendance à l’aide humanitaire. Il faut en fait briser le carcan dans lequel s’enfoncent ces populations car « un peuple qui ne peut produire sa propre nourriture est un esclave qui est privé de toute liberté. Si une société ne produit pas de quoi se nourrir elle dépendra toujours des autres. »[ix]
Enfin, il faut essayer de changer le paradigme dominant de la gestion de la crise alimentaire, qui, s’il était réellement efficace, la faim aurait régressé depuis longtemps. Le modèle d’agriculture néolibéral basé sur la productivité et le profit à tout prix ne tient pas compte du développement participatif qui prendrait en compte les besoins réels des populations. Il faut enrayer cette dépendance à l’aide alimentaire internationale, sinon la crise alimentaire ne sera que constamment récurrente. La reconnaissance et la mise en application du concept de souveraineté alimentaire constitue une issue pouvant conduire à un éventuel dénouement de la crise alimentaire mondiale. Parce que l’Objectif du millénaire pour le développement prévoyant diminuer de moitié la faim dans le monde est loin d’être atteint, il est peut-être temps de changer de tactique car sans être ironique, il reste du pain sur la planche…
Bibliographie
Desmarais, Annette Aurélie. 2008. La Via Campesina : une réponse paysanne à la crise alimentaire. Montréal: Les Éditions Écosociété.
Action contre la faim. 2004. Géopolitique de la faim : faim et responsabilités. Paris : Presses universitaires de France.
Présentation de Mme Alice Corbet http://www.cerium.ca/Corbet-Alice, postdoctorante au CÉRIUM, « Le dispositif humanitaire: Questions et réflexions à partir des camps de réfugiés du Sahara occidental ». 8 avril 2010.
Nations Unies. Programme Alimentaire Mondial. 2010. En ligne. http://fr.wfp.org/ (page consultée le 9 avril 2010).
[i] PAM, en ligne.
[ii] Conférence d’Alice Corbet.
[iii] Action c la faim, 15.
[iv] Action contre la faim, 51.
[v] Desmarais, 135.
[vi] Desmarais, 41.
[vii] Desmarais, 46.
[viii] Desmarais, 46.
[ix] Desmarais, 47.