À QUI PROFITE LA CROISSANCE? L’ÉTAT DÉVELOPPEMENTALISTE AU VIETNAM
Par Jean-François Roof
L’Assemblée Nationale du Vietnam, siège du gouvernement
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Les réformes entreprises au Vietnam (appelées doi moi) ont rencontré un certain succès dans les années ’90. Le Vietnam s’est mérité l’un des taux de croissance les plus dynamiques des pays en voie de développement. Le taux de croissance ne doit cependant pas être confondu avec le niveau de vie, qui lui, demeure précaire. La disparité qui en résulte peut sembler paradoxale à première vue, mais, malheureusement, c’est souvent être le cas lorsque la croissance ne profite pas à toute la population. Pourtant, les investissements et l’aide financière qui sont liés à cette croissance devraient susciter un bon niveau de richesse. Les disparités entre la croissance et la qualité de vie peuvent en partie être expliquées par phénomène de l’État développementaliste. Nous verrons dans ce billet en quoi constitue cette approche et comment elle peut nous aider (partiellement) à expliquer les difficultés qui subsistent au Vietnam malgré sa libéralisation et l’aide financière internationale qui lui est accordée et vérifier à qui profite réellement la croissance.
L’État développementaliste est souvent associé au miracle asiatique au cours duquel le Japon, suivi des 4 dragons (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour, Taiwan), puis des 4 tigres (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande) sont parvenus à un niveau de développement extraordinaire en très peu de temps. La crise asiatique survenue en 1997 a néanmoins entaché la réputation de cette forme de politique et suscité de nombreuses critiques, notamment des cercles de politiciens non-interventionnistes. L’État développementaliste se définit par quelques caractéristiques particulières : une élite liée au développement, une autonomie relative de l’État par rapport à la société, une économie rationnelle et bureaucratique compétente, une société civile faible et docile, la gestion de l’économie privée (non-reliée à l’État à prime abord, mais gérée de facto) et la répression légitimée au nom de la performance et de l’efficience[1]. En résumé, l’État instaure un plan pour le développement du pays et propose des projets selon les intérêts à l’ordre du jour. Le secteur privé agit de concert avec le plan suggéré. Malgré l’idéal libéral qui tiens mordicus à limiter l’action de l’État afin d’assurer la liberté des individus et de laisser le marché se réguler automatiquement, l’État a souvent agi de façon à ce que le développement puisse s’orienter d’une quelconque façon. Ce n’est donc pas la première fois que l’État se retrouve au centre des politiques de développement. Certains économistes ont en effet placé l’État au centre de leur théorie. Par exemple, Rostow tentait de démontrer historiquement que les pays industrialisés avaient assurés la concurrence de leurs entreprises grâce aux investissements et à la protection de l’État. Keynes avait aussi avancé que l’intervention de l’État est essentielle lors des récessions cycliques afin d’assurer le plein-emploi et des services aux moins fortunés.
Il ne fait aucun doute que la planification occupe une part substantielle au Vietnam. La libéralisation économique n’a toutefois pas apporté de changements politiques et le pouvoir est toujours occupé par le Parti Communiste. On peut légitimement attribuer le terme d’État développementaliste au Vietnam[2].
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D’après ce qui a été observé au Vietnam dans les années ’90 et qui continue toujours d’être le cas aujourd’hui, l’État privilégie de grands projets d’infrastructures, tels que les routes, les aéroports, les ports, etc. Bien sûr, l’efficacité du réseau de transports a une incidence directe sur l’amélioration des communications et du commerce, mais les petites et moyennes entreprises privées (surtout familiales) sont quelque peu délaissées, au contraire des entreprises nationales ou des firmes bénéficiant du support de l’État[3]. Afin de favoriser un niveau de vie parallèle à la croissance, il serait peut-être préférable d’intégrer les entreprises familiales aux projets de l’État, surtout lorsqu’on considère qu’une grande partie du budget de l’État provient de l’aide financière internationale[4] (ODA en anglais, par opposition à FDI qui se rapporte aux investissements). Qui plus est, l’État reste l’acteur le plus important en termes d’investissements et l’aide internationale ne suffit pas à contrer le déficit[5]. Le partenariat doit donc être opéré avec les investisseurs privés si le Vietnam souhaite conserver son taux de croissance qui, rappelons-le, n’est pas synonyme d’amélioration de la qualité de vie. Les grands gagnants de la croissance sont alors les grandes entreprises, souvent sous contrôle de l’État ou en partenariat État-investisseurs étrangers, et les profits générés n’aident en rien à enrayer la pauvreté. Bien que l’État creuse son déficit et peut difficilement obtenir des revenus de façon autre que part l’aide internationale et les investissements, il garde tout de même le contrôle et dirige le développement. Le Parti communiste reçoit dès lors le prestige d’avoir sorti le pays du marasme économique. Ce prestige lui confère un gain de légitimité non négligeable. Pour répondre à la question de départ, on peut conclure que la croissance profite aux grandes entreprises, mais que la population en général n’en est pas encore là. On pourrait pousser l’analyse plus loin en observant les dichotomies urbain-rural, mais le temps nous manque malheureusement. On pourra cependant mentionner qu’une plus grande intégration des petites entreprises privées dans la planification économique pourrait peut-être bénéficier à un plus grand nombre de personnes, en supposant qu’elles puissent faire face au courant de la mondialisation.
Bibliographie
Hansen, Henrik, John Rand et Finn Tarp. 2009. « Enterprise Growth and Survival in Vietnam: Does Government Support Matter? », Journal of Development Studies, Vol. 45, No 7, 1048-1069.
Gainsborough, Martin. 2009. « The (Neglected) Static Bias and the Developmental State: the case of Singapore and Vietnam ». Thirdly World Quarterly. Vol. 30, No 7: 1317-1328.
Mai, Pham Hoang. 1996. « The Role of Government in the Utilization of Official Development Assistance in Vietnam ». Contemporary Southeast Asia. Vol. 18. No 1: 81-99.
Fromonteil, Paul. 2009. Vietnam : Doi moi et crise mondiale. En Ligne. http://www.humanite.fr/2009-06-10_Tribune-libre_Vietnam-doi-moi-et-crise-mondiale (Page consultée le 1er avril 2010).
OCDE. 1996. The Story of Official Development Assistance: A History of Development Assistance Committee and the Development Co-Operation Directorate In Dates, Names and Figures.En Ligne. http://www.oecd.org/dataoecd/3/39/1896816.pdf (Page consultée le 1er avril 2010).
[1] Martin Gainsborough, « The ( Neglected) Static Bias and the Developmental State: the case of Singapore and Vietnam », Third World Quarterly, Vol. 30, No 7 (2009), p. 1318.
[2] Ibid. p. 1318.
[3] Henrik Hansen, Hohn Rand et Finn Tarp, « Enterprise Growth and Survival in Vietnam: Does Government Support Matter », Journal of Development Studies, Vol. 45, No 7 (2009), p. 1064.
[4] Pham Hoang Mai, « The Role of Government in the Utilization of Official Development Assistance in Vietnam », Contemporary Southeast Asia, Vol. 18, No1 (1996), p. 91.
[5] Ibid. p. 84.