LES INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES AU BRÉSIL
Par Jean-Baptiste Cubilier
Dans le cadre des inégalités présentes au Brésil, il semble important de nous attarder sur les disparités économiques et sociales que l’on peut sans difficulté retrouver dans la population. Nous allons dans un premier temps nous intéresser aux efforts faits quant à l’ouverture économique du pays et de comment la situation a évolué avec l’interventionnisme de Cardoso, pour dans un second temps cibler les nouveaux enjeux auxquels doit faire face ce pays d’Amérique latine ainsi que l’optique de développement qui lui serait la plus adaptée.
Les pauvres sont moins pauvres :
Parler ici des inégalités économiques et sociales permet de mettre en lumière la véritable distinction entre différentes parties de la population. [1] Pour reprendre une phrase avancée par Hasenclever et Fauré : « on pourrait avoir recours à deux valeurs qui classent le Brésil sur l’échiquier mondial : onzième puissance économique de la planète, le pays n’émerge pourtant qu’à la 73e place en ce qui concerne l’Indice de développement humain (IDH) des agences de l’ONU. ». Si on part des années 1990, on voit que le Brésil s’est basé sur le consensus de Washington pour se développer. Ce choix se reflète sur le territoire par la déréglementation, la privatisation, ou encore la libéralisation commerciale. Le gouvernement de l’époque, celui du Président Cardoso, ne s’est pas contenté d’appliquer ces lois pour le développement puisque ce dernier n’a pas hésité à appliquer des politiques d’intervention de l’État comme par exemple avec le maintien de la stabilité économique. Celui-ci consistait à garantir la stabilité monétaire et financière, et ce grâce au maintien par les efforts du gouvernement d’un taux de change largement supérieur à ce qu’aurait permis le marché s’il avait été autonome. L’idée d’attirer les capitaux étrangers pour soutenir l’industrialisation du pays et limiter l’inflation n’a apporté que de l’endettement. En effet selon Hasenclever et Fauré, sous le gouvernement Cardoso, en prenant comme dates fixes 1994 et 2000 : le chômage passe de 5,1% à 7,1%, mais le nombre de pauvres lui passe de 42% de la population à 32%. Le taux d’analphabétisme passe de 15 à 11%. Dans un sens on voit un net progrès où l’on peut féliciter les efforts qu’entreprend le Brésil dans les domaines économiques et sociaux. Ce qui doit nous interpeler est une phrase dite par les deux auteurs qui ajoutent qu’: « aujourd’hui, 30% des Brésiliens ont un niveau de scolarisation et de formation, des conditions de vie et des revenus équivalents à ceux des pays les plus avancés, mais 30% peuvent se comparer aux populations des pays les moins développés. Environ 50 millions de Brésiliens vivent dans la misère et l’indigence, et leur pauvreté remet en cause l’unité sociale du pays. » [3] On constate de fortes disparités au niveau de la population comme avec cet exemple donné par l’Observatoire des Inégalités où les plus pauvres disposent en un an du revenu que les plus riches mettent onze jours à avoir. Ce développement de l’industrialisation brésilienne semble avoir écarté une partie de la population. D’autres données, présentées par [4] Hees, Théry et Waniez dans La Carte de la Pauvreté au Brésil, toutes aussi accablantes concernant ce tiers de la population sont disponibles en ligne en cliquant sur le titre de leur étude.
Cardoso regardait-il du bon côté?
On vient de voir que c’est la volonté du gouvernement Cardoso de maintenir la stabilité économique qui est responsable de l’endettement du Brésil. La croissance a su profiter à une bonne partie de la population mais encore aujourd’hui on voit d’importantes inégalités économiques et sociales entre Brésiliens. Sur la photo que nous venons de voir, Fleury et Théry présentent quatre cartes où l’alphabétisation la plus faible concerne le Nordeste. C’est pour cette raison que toute la population n’a pas pu profiter de la croissance : il faut voir que contrairement à la région du Sudeste qui a profité de la quasi-totalité des efforts brésiliens dans le secteur de l’industrie, le Nordeste est depuis toujours une région qui n’a jamais voulu se reconvertir dans une autre secteur d’activité.
C’est l’interventionnisme du gouvernement Cardoso combiné au Consensus de Washington qui a conduit le pays à cette situation. C’est pourquoi on se doit de rappeler comme théorie du développement celle de l’État développementaliste. C’est cette importance du politique qui semble avoir manqué au gouvernement Cardoso qui a eu comme résultat de subir un développement dans les règles du Consensus de Washington. L’idée de cette théorie est l’interaction entre l’État et sa société où le politique guiderait le pays dans ses réformes économiques, prenant en compte la pluralité des trajectoires. Le problème du Brésil a été de rajouter ce maintien économique qui axant les intérêts du pays sur le marché et pas sur sa population. C’est alors que Cardoso tombe dans le piège de la dichotomie entre l’État et sa population. Ce n’est pas à la population de suivre le rythme du développement mais l’inverse. Il faut par exemple que le développement de la région du Nordeste se fasse en fonction des capacités de la population locale afin que celle celle-ci puisse contribuer et même profiter de la croissance qui en résulterait. Suivre le Consensus de Washington et l’idée de l’intervention économique de l’État revenait à combiner deux outils, comme enfoncer une visse avec un marteau. Le résultat est correct : il y a de la croissance et du développement, mais les dégâts comme la mise de côté de régions qui n’ont pas su se reconvertir est une conséquence non négligeable.
En conclusion nous pouvons dire que le Brésil a aujourd’hui l’obligation de se tourner vers le marché économique en espérant y trouver une la solution à la croissance de ses régions les moins développées. Ne voulant pas créer un chevauchement avec le prochain billet sur les inégalités entre les régions, nous pouvons tout de même espérer voir une spécialisation des régions par l’innovation dans les secteurs d’activités où celles-ci seraient le plus à l’aise. Ce développement n’est possible qu’avec la population. Une croissance qui exclurait cette dernière ne relèverait pas de la théorie de l’État développementaliste. Reste à savoir si le gouvernement souhaite soutenir un peu plus des régions pauvres comme le Nordeste que d’autres plus favorisées comme le Sudeste.
Références
[1] Hasenclever, Lia, et Yves-André Fauré. 2002. « Les Défis du Développement Économique et Social du Brésil Contemporain ». Institut d’économie de l’Université Fédérale de Rio De Janeiro, Institut de recherche pour le développement.
[2] Fleury, Marc-Françoise et Hervé Théry. 2007. « Les Contrastes du Développement au Brésil ». Collège Marc Chagall. Groupe de recherche au CNRS.
[3] France. Observatoire des Inégalités. 2006. Pauvreté et inégalités au Brésil. France : Observatoire des Inégalités. En Ligne. (http://www.inegalites.fr/spip.php?article499). (consulté le 15 février).
[4] Hees, Dora Rodrigues, Hervé Théry, et Philippe Waniez. 1994. « La Carte De La Pauvreté Au Brésil ». Institut brésilien de géographie et de statistique, CNRS/GIP Reclus, Maison de la géographie,, et Orstom/GIP Reclus, Maison de la géographie. (http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sci_hum/41403.pdf). (consulté le 15 février).