Jan Fabre et « L’orgie de la tolérance » : Médecin et thérapie de choc pour éradiquer la consumérite aiguë

J’ai eu la chance d’assister mardi 26 mai, en très bonne compagnie d’ailleurs, à une pièce de théâtre intitulée L’orgie de la tolérance de Jan Fabre, un artiste belge flamand aussi frondeur, provoquant et sulfureux qu’hétéroclite (metteur en scène, auteur, sculpteur, peintre…). Une recherche sur ce personnage vous donnera autant de réactions scandalisées que d’acclamations au génie. Mais son but est ailleurs. Et il l’énonce clairement lui-même : «Mon théâtre, mes dessins sont toujours une célébration de l’individu et de l’être. Pour défendre la vulnérabilité de l’humain et de son corps» (Le Devoir du 23/24 mai 2009, l’ensemble de l’article donne par ailleurs un bon aperçu de l’homme et son oeuvre). Voir cette pièce surréaliste et choquante de bout en bout, m’a inspiré ces quelques réflexions dont le partage ici est, je penses, assez pertinent. Cet article a pour but de montrer que la dénonciation du système consumériste dans lequel nous vivons se fait de manière très variée et que l’on peut apprendre et partager par tous les moyens et médias qu’ils soient académiques, culturels ou autres.


La pièce n’a pas de trame narrative au sens classique du terme. Elle est en effet est composée de plusieurs tableaux scéniques (qu’on appellerait sûrement des «sketchs» en anglais) tous plus absurdes et dérangeants les uns que les autres. De l’absurde au sens théâtral que l’on retrouve dans Ionesco ou Beckett, c’est-à-dire hautement improbable en réalité. Il est ainsi peu probable que je croise des femmes accouchant de leurs courses au dessus d’un chariot d’épicerie ou bien que je puisses participer à un concours de plaisir solitaire ou encore commencer une collection de trophées de chasse humains et avoir le plaisir de voir un Jésus rock en couverture d’un magazine de mode. Mais le dérangeant réside dans le fait que ces scènes représentent une allégorie horrifiante de notre société car tristement pertinente.

 

Le titre de l’oeuvre, L’orgie de la tolérance, provient du constat fait par l’auteur que l’on tolérait socialement presque toutes les attitudes, fussent-elle racistes tortionnaires ou autres . Fabre commença en effet à concevoir cette pièce en réaction au fait que l’on trouvait la présence de la  extrême-droite comme étant quelque chose de parfaitement normal dans son pays (la Belgique). Je ne connais pas l’extrême-droite belge mais à écouter Fabre, cette dernière ne semble pas du tout tolérable dans l’absolu. Cette orgie est justifiée par l’invocation de la liberté et du droit à la différence de chacun. En théorie, la défense de telles notions est fort louable et souhaitable. Mais Fabre  montre qu’en réalité une contrainte demeure imposée à chacun : celle d’assouvir ce désir insatiable dans une course consumériste sans fin, perdue d’avance. Une des scènes les plus dérangeantes étant par ailleurs  celle de la torture par flagellation de ceux qui ont refuser de consommer encore et toujours, allégorie de la pression tortionnaire de la fièvre acheteuse comme manière d’exister.

 

La pièce de Jan Fabre est un choc ; une sublime horreur nécessaire et salvatrice. En ce sens qu’elle nous révèle notre monde tel qu’il est devenu : cupide, abject peut-être, où tout s’achète et se vend, vivant compris. Où tous les désirs, même les plus pervers, se doivent d’être assouvis (sous peine de sanction) adoubés qu’ils sont par les aveugles complaisants et consuméristes que nous sommes au sein de cette orgie de la tolérance.

 

À la sortie toutefois, Jan Fabre réussit au moins une partie de son objectif. Ainsi, l’échange sur cette pièce que j’ai eu avec ma camarade spectatrice, approfondissant au moins un peu notre dialogue et connaissance mutuelle, semblait être un espoir, sinon un début, de réalisation de ce que ce grand artiste appelle de ses voeux : redonner à l’humain toute sa dignité, toute la force de son être, libérée de l’esclavage de l’avoir et de la jouissance à outrance auto-destructrice.

 

Anthony Côte

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09

06 2009

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