Belém – 29 janvier : Mettre les peuples autochtones au centre du processus
par Raphael Canet
Les forums sociaux sont-ils vraiment des espaces ouverts et inclusifs où chacun peut venir s’exprimer et ainsi prendre part à la construction d’un monde de respect, de solidarité et de justice ?
C’est la question posée par l’India Institute for Critical Action – Centre In Movement (CACIM) dans son atelier qui portait sur la place des peuples autochtones dans le forum social mondial (FSM) et qui rassemblaient des membres de peuples autochtones des Amériques (Canada, Colombie, Pérou) et d’Asie (Inde, Corée). Comme le faisait remarquer Jai Sen, directeur du CACIM, à ses origines, le FSM était très blanc et universitaire. Les trois premières éditions (2001, 2002 et 2003) se sont tenus dans une université de Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, région la plus riche du Brésil. Les choses ont ensuite progressivement évolué, pour que le discours inclusif et participatif porté par la mouvance altermondialiste soit plus en phase avec la réalité sociologique des FSM. Le FSM 2004 de Mumbai, en Inde, a permis une première ouverture réelle envers les populations marginalisées, que ce soit les Dalits (caste des Intouchables) ou encore les peuples autochtones du sous-continent. Puis, en 2005, à Porto Alegre, mais dans un site situé sur les bords de la rivière et non plus dans l’Université, les Quilombolas et Afro-descendants ont investi l’espace du forum. Ce souci d’inclusion des peuples traditionnellement exclus a ensuite rythmé toutes les éditions suivantes du FSM qui tentaient à chaque fois de trouver de nouvelles innovations méthodologiques et organisationnelles pour favoriser la participation : que ce soit le forum polycentrique de 2006 (tenir un FSM dans trois continents différents : Afrique, Asie et Amérique latine) ; le FSM 2007 à Nairobi (Kenya) pour inclure l’Afrique dans la mouvance ; la Journée d’action globale du 26 janvier 2008 visant une décentralisation totale des activités et aujourd’hui, ce retour au Brésil, mais en région Amazonienne pour placer au cœur des débats la question environnementale et les savoirs des peuples autochtones.
Comme l’écrivait l’uruguayen Eduardo Galeano, l’Amérique a découvert le capitalisme il y a 500 ans. Or, ce modèle de développement et de société importé d’Europe ne correspond pas aux deux valeurs fondamentales des peuples autochtones des Amériques : le collectivisme et le respect de la Mère-Nature. Or, cela fait 500 ans que ces principes sont bafoués par les colonisateurs, et cela fait 500 ans que les peuples autochtones du Nord au Sud du continent luttent pour préserver ces valeurs fondatrices.
Le néolibéralisme est le nouveau visage de cette agression. Il se manifeste surtout, aux yeux des peuples autochtones, par la volonté des firmes multinationales de s’accaparer les ressources naturelles, au nom du progrès et du développement. Mais que signifie le mot progrès ? Empoisonner les fleuves et les rivières ? Raser la forêt ? Épuiser les sols par la pratique d’une monoculture d’exportation ? Produire des semences OGM qui ne se reproduisent pas ? Une telle approche prédatrice envers l’environnement ne peut être perçue que comme une attaque frontale contre les peuples autochtones. D’où l’insurrection du mouvement zapatiste au Mexique en 1994, l’élection d’un autochtone cultivateur de coca en Bolivie, les marches autochtones au Pérou, en Colombie, en Équateur… Porter atteinte à l’environnement, c’est condamner à mort les peuples autochtones qui vivent de la nature.
Finalement, dans la logique de l’altermondialisme qui vise à construire un monde différent axé sur la justice et le respect mutuel, la question n’est pas de savoir comment intégrer les peuples autochtones dans le FSM, mais plutôt de trouver les moyens pour que le FSM se rapproche de ces 500 ans de lutte et de résistance des peuples autochtones des Amériques. Il faut que la mouvance altermondialiste écoute et apprenne des peuples autochtones, notamment pour que cette conception d’un lien organique entre nature et humanité se retrouve au centre de ses principes. Il faut passer d’une politique des besoins à une éthique du respect. Cela passe en premier lieu par la reconnaissance. Dans cette perspective, la reconnaissance des peuples autochtones comme des nations à part entière, avec tous les attributs de la souveraineté que cela impose, notamment sur leurs ressources naturelles, est un grand pas. La Bolivie et l’Équateur se sont avancés sur ce chemin en se proclamant État plurinational