Dans l’histoire actuelle et les développements politiques internationaux, les médias préfèrent l’actualité de pays comme les États-Unis, la France, la Chine et même la Corée du Nord, ces États étant au cœur de l’actualité politique. Dans la région de l’Asie, il est rare d’entendre parler de l’Asie du Sud-Est et encore plus rare d’entendre parler de ses régimes politiques ainsi que les individus qui les influences. Pourtant, en fouillant un peu, l’Asie du Sud-Est est une région très active politiquement, que ce soit aujourd’hui ou autrefois. Ce qui est encore plus étonnant, c’est de voir à quel point des milieux qu’on imagine à l’opposé de la politique, comme l’art et la culture populaire, peuvent finalement influencer les décisions politiques et même, changer l’histoire. De l’écriture au cinéma, en passant par la musique et les médias sociaux, la région de l’Asie du Sud-Est n’échappe pas à l’influence des artistes politiquement engagés.
S’il y a un pays en Asie du Sud-Est représentant bien jusqu’où l’art et la culture peuvent changer la politique, c’est bien la république des Philippines. Le pays de 300 400km2 et contenant plus de 100 millions d’habitants est une ancienne colonie qui a vu passer 5 républiques, 3 colonisateurs et une longue route vers l’indépendance. Avant tout, un retour dans l’histoire de la république est nécessaire, car la première grande influence de l’art dans l’histoire politique des Philippines à fait naître le début du nationalisme philippin.
De la fiction à la révolution
Alors que le règne espagnol sur les Philippines dure depuis la conquête de Miguel Lopez de Legazpi en 1565, les Philippines subissent le sort commun de toutes les colonies, c’est-à-dire l’exploitation des ressources locales et un régime sévère de la part des colonisateurs envers les ethnies, la plupart vivant en campagne. Alors que le mécontentement et le mépris de l’Espagne gronde parmi les locaux, c’est en 1887[1] que les mentalités commencèrent à se réveiller alors que le premier roman d’un jeune médecin philippin vient briser les tabous et dénonce clairement les abus de l’Espagne envers les philippins. Ce livre s’intitule Noli me tangere[2](N’y touchez pas en français) de José Rizal, de son nom de naissance José Protasio Rizal Mercado y Alonso Realonda.
Ce premier roman d’une suite de deux met en scène un philippin natif, Crisostomo Ibarra, dans une suite d’évènements tragiques et cruels, délivrant la course au pouvoir des différents personnages, latinos et philippins qui deviennent le miroir de la situation actuelle des Philippines au temps de José Rizal. Alors que ce premier roman crée une onde de choque parmi la population des Philippines et échauffe les esprits contre les espagnols, José Rizal frappe encore plus fort avec la suite de l’histoire de Crisostomo Ibarra, El Filibusterismo en 1891[3] . Cette suite pousse les limites encore plus loin que le premier roman de Rizal au moment ou l’histoire apporte un nouveau Crisostomo Ibarra, prêt à briser la conformité et défier l’ordre des colons espagnols. L’approche satirique et anarchique du roman envers les espagnols et les philippins tentant de ressembler aux espagnols est l’élément déclencheur aux mouvements nationalistes des locaux. José Rizal et ses deux romans deviennent la bannière du mouvement nationaliste antiespagnol des années 1890. Malgré la tentative de l’Espagne de reprendre le pouvoir sur les nationalistes en condamnant a mort José Rizal et en l’exécutant en 1996, les œuvres et idées de l’auteur et médecin restèrent au cœur du mouvement nationaliste.
Aujourd’hui, José Rizal est reconnu au niveau international comme un héros national des Philippines, ni plus ni moins. Cette place d’honneur que détient l’écrivain prouve, même à cette époque, que les artistes peuvent influencer grandement la politique et comme pour José Rizal, influencer un pays en entier. De plus, le médecin et écrivain continue à influencer les Philippin entre autres grâce à l’Ordre des chevaliers de Rizal[4], une organisation civile officielle qui propage l’histoire, les idéaux et les enseignements du héros philippin.
L’actualité et l’art engagé
Si José Rizal est une pointure de taille dans l’art et la politique des Philippines, il n’est pas le seul à être un artiste opinionné sur la politique. Dans l’actualité, la culture populaire aux Philippines détient plusieurs artistes et œuvres politisés et militants. Dans les œuvres militantes actuelles des Philippines se trouvent les œuvres du 7e art, le cinéma. Cet art est reconnu pour être un outil de prédilection pour propager les idéaux, les propagandes et les nombreux combats pour la liberté sur la planète. Il se trouve que les Philippines détiennent un bon nombre de films politiquement engagés à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui, qui peignent en images les idéaux politiques au fil de ces années. Parmi ces films se trouvent Condemned (1984), Fight for us (1989), José Rizal (1998), Mga kuwentong barbero (2013), Heneral Luna (2015) et bien d’autres font partis e ce cinéma bien spécifique. Le point en commun de ces œuvres cinématographiques? Le combat de personnes « ordinaires » dans un contexte politique strict pour ne pas dire inhumain et qui réussissent à créer ou faire quelque chose de plus grand qu’eux, ce qui est généralement la suite logique de ce type de film qui, pour certains, peuvent être qualifiés de films de propagande (comme pour Condemned).
Si le cinéma est un art qui atteint facilement des milliers de personne, ce n’est pas le seul type d’art utilisé pour faire passer des messages. L’art contemporain, la peinture et les montages artistiques sont aussi des mediums d’artistes philippins pour tenter de faire passer des messages, influencer les mentalités et changer les choses. L’une de ces artistes se nomme Chistina Lopez, la jeune femme de Makati, aux Philippines, est une artiste professionnelle qui s’est fait remarquer en 2018 par le site web Lifestyle.inc lors de son exposition « By blood ». Lors de l’interview qu’elle à accordé au site web, elle a mentionné « I wanted to show something from my heritage. It’s an exploration of race, religion, being a Filipino woman and saying that the personal is political. »[5]. Ces propos font échos à plusieurs autres artistes Philippins, qui recherchent au travers de l’art une émancipation sociale, mais aussi politique.
Si Christina Lopez clame que l’individualité fait parti du politique, d’autres artistes sont plus explicites sur leurs moyens de véhiculer leurs idéaux politiques. Parmi ces artistes se trouve Orlando Castillo[6], un artiste philippin reconnu pour une de ces œuvres particulièrement frappantes.
Cette œuvre nommée Justice under Martial Law(1980) représente Ferdinand Marcos avec un drapeau américain enroulé sur lui et entouré d’un peuple philippin en souffrance, terrorisé et martyrisé par la loi martiale. Cette œuvre frappante vient directement critiquer le régime de Marcos et les violences faites envers les philippins. En effet, Ferdinand Marcos fut un président philippin de 1966 à 1986 et qui est reconnu pour avoir créé un régime autoritaire sous la Loi Martiale le 23 septembre 1972[7].
Que ce soit avec de la peinture militante comme le tableau d’Orlando Castillo, les messages subtiles dans l’art de Christina Lopez, les films à petits et grands succès ou même les romans de José Rizal, il est indéniable que les Philippines ont une histoire chargée de politique et d’art, les deux s’entrecroisant. Ces divers exemples prouvent que jusqu’à maintenant, c’est toujours l’art qui est venu influencer la politique, mais aujourd’hui, l’art aux Philippines pourrait devenir l’outil de prédilection de la politique.
P-Pop : Pop Philippine ou Pouvoir philippin
La culture et l’art de l’Asie de l’Est a toujours su se faire attrayante pour les autres régions du monde, de la nourriture japonaise aux dessins animés en passant par la musique. L’intérêt de l’international envers cette partie de l’Asie ne date pas d’hier, mais on à tendance à oublier facilement l’Asie du Sud-Est, mais cette tendance est peut-être sur le point de changer. En effet, un « boy band » philippin nommé SB19 a fait ses débuts en 2018, gagnant rapidement l’attention de la communauté web. Le compte Facebook officiel du groupe clame être le tout premier groupe de P-Pop[8] (Pinoy pop). La popularité montante de ce group philippin avec un style sortant tout droit de la K-Pop (pop Coréenne) est-elle due seulement à un intérêt des philippines envers la culture sud-coréenne ou ce groupe serait le départ d’un soft power philippin cherchant à reproduire la réussite du soft power coréen? Il serait en premier lieu important de comprendre qu’est-ce que le modèle de soft power coréen et voir son jusqu’où son influence s’étends-t-elle pour ensuite comprendre pourquoi les Philippines sont peut-être entrain de reprendre la stratégie.
Tout d’abord, qu’est ce que la K-Pop? La pop coréenne vient de Corée du Sud et est apparue aussi tôt que le début des années 1950[9]. Toutefois, elle n’a commencé qu’à prendre la forme sous laquelle elle est connue aujourd’hui à partir des années 1990 et a continué à se développer lentement jusqu’à fin des années 2000, où la K-pop à pris sont envol et certains groupes comme Girl Generation, Big Bang ou encore 2ne1 ont commencé à prendre de l’ampleur et de la popularité à grande vitesse sur le web. Ces groupes et bien d’autres sont dirigés par des maisons de disque ou plus connues comme des « entertainment companies » qui, quand leurs chiffres annuels sont publiés, un une valeur impressionnante. Selon le site web E! News[10], les quatre plus grosses compagnies dans le domaine ont à elles seules eu un revenu combiné d’environ un milliard de dollars en 2018. Si ces chiffres ne concernent que le domaine de la musique, les cosmétiques, les séries télévisées et la nourriture sont d’autres facettes aussi lucratives que la k-pop. En effet, cette culture de masse exportée par la Corée du sud est devenue la base du soft power coréen. Grâce à la culture, la Corée du Sud à pu se créer un blason doré à montrer à l’internationale, une économie florissante et même des partenariats économiques. Si à la base il est difficile de penser que le gouvernement à quelque chose à voir Avec l’explosion de la culture coréenne à l’internationale, le gouvernement sud-coréen est en fait très impliqué dans le domaine. En effet, en 1999, le gouvernement à lancé la loi sur la promotion de l’industrie de la culture (Law for Cultural Industry Promotion) et à injecté dans l’année 145 millions de dollars américain dans l’industrie[11]. Aujourd’hui, la K-pop est devenue un habituel du quotidien des gens, que ce soit à la radio, dans les médias et même dans des assemblées internationales comme le groupe BTS l’a fait le 24 septembre 2017 aux Nations Unies[12]. Enfin, si la pop coréenne semble seulement être une tendance, derrière ces groupes de musiques et ces cosmétiques se trouve une machine à l’échelle nationale qui produit des milliards de dollars et qui atteint tous les pays du monde.
Après un détour sur l’industrie de la K-pop et sur les bénéfices de ce type de soft power culturel, il n’est pas si surprenant que d’autres pays, dans ce cas, les Philippines, s’essaient sur ce type de stratégie. Dans une industrie dominée par l’Asie de l’Est, le groupe SB19 gagnent déjà une forte attention, leur compte YouTube accumulant plus de 45 millions de vues depuis 2018[13]. Cette attention sur un pays de l’Asie du Sud pourrait non seulement être le début d’un nouveau soft power philippin, mais aussi apporter plus d’attention sur la région au complet. Un des points principaux permettant à cette tentative de pouvoir politique est la proximité des gouvernements américains et philippins. Selon le site web officiel U.S Department of State[14], les relations entre les deux pays sont très fortes, politiquement et économiquement. De plus, sachant que les jeunes américains sont généralement des bons consommateurs de culture coréenne, il ne serait pas étonnant de les voir se tourner vers la P-Pop, les bonnes relations entre les Philippines et les États-Unis ne feraient que s’améliorer au travers de ces consommations de cultures.
Une histoire d’art et de politique
Les Philippines ont une histoire politique assez mouvementée, du colonialisme à la révolution, puis de l’émancipation au régime autoritaire et enfin à un une république parlementaire. Au fil de ces années, il est clair que l’art et la culture ont changé la face de la politique philippines à petite et grande échelle. L’art à définitivement eu un impact important et continue à en avoir aujourd’hui, même si cette fois-ci la politique semble prendre de l’avance. Il reste à savoir si la politique utilise l’art pour changer son statut fonctionnera aussi bien pour les Philippines que pour la Corée du sud.
Vidéo officiel du groupe phillipin SB19: Go up
[1] Encyclopaedia Britannica. José Rizal, https://www.britannica.com/biography/Jose-Rizal
[2] Tagalog Lang. José Rizal. 1887. Noli me tangere (english summary), Tagalog lang, https://www.tagaloglang.com/noli-me-tangere-english-summary/
[3] Tagalog Lang. José Rizal. 1991. El filibusterismo (english summary) Tagalog lang https://www.tagaloglang.com/el-filibusterismo-english-summary/
[4] The knights of Rizal. About us, Night of Rizal official website, https://knightsofrizal.org.ph/about-us/
[5] Nico Nicdao. 2018. Young Filipino artist : The personal is political, Lifestyle.inq, https://lifestyle.inquirer.net/286832/young-filipino-artist-personal-political/
[6] Tomas U. Santos. 2012. Martial law horrors evoked in exhibit, Vastitarian, https://varsitarian.net/circle/20120729/martial_law_horrors_evoked_in_exhibit
[7] Perspective monde. Promulgation de la loi martiale aux Philippines, école de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, Québec, Canada, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=691
[8] SB19 Official. About us, https://www.facebook.com/pg/SB19Official/about/?ref=page_internal
[9] Jeremy Mersereau. 2017. A brief history of K-Pop, On the aside, https://ontheaside.com/music/a-brief-history-of-k-pop/
[10] Pakkee Tan. Here’s how much the 4 biggest K-Pop companies earned in 2018, E! News, https://www.eonline.com/ap/news/1053724/here-s-how-much-south-korea-s-4-biggest-entertainment-companies-earned-in-2018
[11] Christine Ro. 2020. BTS and EXO : The soft power roots of K-pop, BBC, Culture, http://www.bbc.com/culture/story/20200309-the-soft-power-roots-of-k-pop
[12] Caitlin Kelley. 2018. BTS deliver speech at unived nations urging young people to « find your voice », Forbes, https://www.forbes.com/sites/caitlinkelley/2018/09/25/bts-deliver-speech-at-united-nations-urging-young-people-to-find-your-voice/#9bb66f17142d
[13] SB19 official. SB19 About us, YouTube, https://www.youtube.com/channel/UCm4v7afBTnJKRm4SlfHJzyg/about
[14] U.S. Department of States.2020. U.S. Relations with the Philippines, Bureau of East Asian and Pacific affairs, U.S. Department of states, https://www.state.gov/u-s-relations-with-the-philippines/