Démocratie ou autoritarisme ?

Dans le but de distinguer l’autoritarisme pur et dur de la démocratie,  une variable s’avère déterminante: l’appui populaire.  Politiquement parlant, le cas de Singapour met en relief un ensemble de valeurs qui semblent se détacher de celles de l’Occident.  Bien que le PAP se maintienne au pouvoir depuis l’indépendance de l’île, il est surprenant de noter que jamais il ne reçu de score inférieur à 61% d’appui aux cours d’élections nationales. Aux dernières élections par exemple, le PAP remporta sa 10ième victoire d’affilée, avec un pourcentage du vote dépassant les 66%.  Ces données tendent à démontrer que, malgré les lacunes mentionnées plus haut, la population semble approuver cette dictature de parti apparente, ce qui confère au PAP une légitimité électorale n’ayant d’égale en Occident.

Plusieurs analystes avancent que la légitimité du gouvernement de Singapour repose sur un contrat social non-écrit : démocratie autoritaire en échange d’une prospérité économique. Selon Lee Kuan Yew, l’idée libérale que les sociétés doivent être fondées sur la loi, le droit et l’ordre, est incompatible avec le besoin de développement économique de Singapour. Dès le départ, Lee estime qu’il sera jugé en fonction des résultats économiques de l’île, et non en fonction d’idéaux démocratiques qu’il prétend étrangers à l’Asie. Il  met donc l’économie en tête de liste des priorités étatiques.  Sous son leadership, Singapour passe d’une économie « d’entrepôt » à une économie industrielle et technologique diversifiée. En quelques années seulement, l’industrie sidérurgique, pétrochimique, mécanique et navale se développe. Afin de pallier aux limites imposées par le statut de cité-État de son pays, Lee signe des accords d’approvisionnement en matières premières avec les Philippines, l’Indonésie,  la Malaisie, et la Thaïlande.

Une autre variable derrière le soutien populaire recueilli par le PAP consiste en l’érection d’un système d’État-Providence généreux, fort et efficace. Le génie de Singapour réside dans une combinaison gagnante entre un laissez-faire économique et une redistribution des gains à la population. Le projet de développement économique singapourien repose sur un encadrement social très serré, contrôle qui passe par la santé, l’éducation, la planification de l’emploi et du logement. En résulte un système de santé excellent et gratuit, un taux d’alphabétisation de 90%, et un taux d’accès à la propriété de 92,9 %, rendu possible par de généreuses subventions étatiques.

Les succès électoraux du PAP n’auraient sans doute pas été possibles sans l’intégrité avec laquelle ses membres dirigent le pays. Dans une entrevue datant de 1994, Lee Kuan Yew affirmait : « quand on dirige un pays, il faut donner l’exemple, sinon, les gens ne vous respectent pas. Si vous ne faites pas ce que vous dites, les gens vous résistent. Un ministre dont le comportement est discutable ne peut pas montrer l’exemple au peuple. Les gens ne lui obéiront pas».  Cette volonté se traduisit par la mise en place d’un système anti-corruption n’ayant son pareil nulle part en Asie.

« En vertu de la législation singapourienne, tout citoyen, qu’il soit ou non agent de l’Etat, peut être accusé de corruption s’il possède des biens qui ne sont pas en rapport avec ses revenus et s’il n’est pas capable de fournir des explications plausibles sur leur origine. Quiconque fournit des avantages à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions peut être considéré comme cherchant à le corrompre, et les deux parties peuvent être jugées coupables. Pour garantir le respect scrupuleux des lois, les agents de l’État doivent faire une déclaration de patrimoine chaque année, en y incluant également les biens immobiliers de leur épouse. »

Conscients que, si jamais ils sont reconnus coupables de corruption, les fonctionnaires seront soumis à de lourdes peines, Singapour est maintenant un exemple en ce qui à trait à la droiture et à l’intégrité politique. En 2006, une étude de l’organisation transparency internationale plaçait Singapour parmi les pays les moins corrompus du monde[9].  Démocratie ou autoritarisme?  Il semble que le système Singapourien se situe quelque part entre les deux. Démocratie autoritaire, démocratie pervertie, démocratie contrôlée, autoritarisme populaire, ne voilà que quelques exemples de termes fréquemment employés pour définir le système politique de la cité-État.

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[1] “Singapore’s ruling party wins another landslide in parliamentary elections”, The Canadian Press, 05 juin 2006.

[2] R. W. Apple Jr., “A Repressed City-State? Not in Its Kitchens”, The New York Times (New York),  10 janvier 2006.

[3]Barr, “Parties and Politics: A Study of Opposition Parties and the PAP in Singapore”, 315.

[4] Mutalib Hussin, “Illiberal Democracy and the Future of Opposition in Singapore”, Third World Quarterly 21, 2 (2000), 314-15.

[5] Voir l’analyse que fait de Koninck, L’Asie du Sud-Est, 191.

[6] Voir l’analyse que fait de Koninck, Singapour, la cité-État ambitieuse, 77.

[7] Julie Sion-Attal, “Lee Kuan Yew”, En ligne:  http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/leadership/disk/singapour_Sion-Attal.htm (page consultée le 17 juin 2009).

[8] Li Shunfu, Lianhe Zaobao, « Contre la corruption, faites comme Singapour », Courrier international (Paris), 19 mars 2009, 26.

[9] Goh Kian Huat, “S’pore’s 4m population not reason it’s graft-free”, The Straits Times (Singapore), 26 juin 2007.

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