Dans une publication officielle du gouvernement du Canada, le Philippine Women Center de la Colombie-Britannique (PWC) dénonce, au nom de la communauté philippine du Canada, les abus des droits humains, les conditions de travail difficiles ainsi que le côté obligatoire de la migration des travailleurs philippins dans le monde. Selon cette publication officielle, la marchandisation et l’exportation des Philippins ont connu une croissance phénoménale depuis les premières vagues de migration. Dans les années 1990, la République des Philippines est « le premier exportateur de main-d’œuvre de la planète, et ce pays est décrit comme la plus grande nation migrante. On compte plus de huit millions de travailleuses et de travailleurs philippins migrants dans plus de 186 pays du monde. Pour présenter cette statistique étonnante sous un autre jour, on estime que plus de 2000 Philippines et Philippins quittent le pays chaque jour pour travailler à l’étranger. D’un point de vue pratique, cette main-d’œuvre philippine exportée injecte sept milliards de dollars américains par année en moyenne dans l’économie philippine en difficulté. Environ 10% de la population est de plus en plus caractérisée par ses déplacements et par sa diaspora »[1].
Définition du statut des travailleurs migrants par Amnesty International
Le point de vue d’une grande puissance : les États-Unis
Un rapport en 2005 du Department of State des États-Unis[2] a relevé les différents abus des droits humains qui ont encore lieu aux Philippines. Ce rapport retrace les différentes situations dans lesquelles ces abus ont lieu, à l’aide d’un éventail d’exemples nombreux comprenant la situation des travailleurs migrants. On y explique que l’organisme gouvernemental Philippines Overseas Employment Administration (POEA) a cherché, en 2005, à limiter les départs des citoyens philippins désirant trouver du travail à l’étranger. Ce rapport montre aussi que 8 millions de Philippins travaillent à l’étranger et renvoient une grande part de leurs revenus à leur pays d’origine. Ces revenus représentent approximativement 11% du produit national brut. Il est cependant exposé dans le rapport qu’on ne peut dénoncer directement le gouvernement philippin dans ce contexte. En effet, l’exil obligatoire est illégal et officiellement le gouvernement philippin n’y a pas recours.
Les travailleurs migrants représentent un enjeu capital quant au respect des droits humains, tout comme ils constituent un des divers exemples de la mondialisation. La libéralisation des flux s’exerce sur tous les migrants, y compris sur la main-d’œuvre et les travailleurs qualifiés. Selon les époques, les migrants proviennent autant de la population très qualifiée que de la non-qualifiée. Le PWC du Québec[3] explique que la plupart des travailleurs migrants philippins arrivent dans leur pays d’accueil avec un niveau d’étude équivalant minimalement à une licence ou à un baccalauréat universitaire canadien.
Le débat qui entoure ces travailleurs migrants vise à cibler et à définir quels sont leurs droits et les causes de leur violation.
Le droit de vote
Les élections de 2004 ont été les premières au cours desquelles les Philippins travaillant hors du territoire ont eu la possibilité de jouir de leur droit démocratique de base. De plus, seulement 230 000 des 354 000 enregistrés ont pu voter. Cependant, seulement 65% ont réellement exercé ce droit et ils ne représentent qu’une infime partie des travailleurs à l’étranger qui ont donc été représentés. Le faible taux de personnes enregistrées est dû au manque d’information sur les procédures, à l’inaccessibilité des centres d’enregistrement, à la rigidité des employeurs qui n’ont pas permis aux ouvriers étrangers de prendre un jour de congé, et à la condition établissant que les électeurs doivent obtenir une attestation qu’ils retourneront habiter dans leur pays d’origine au cours des trois prochaines années. Une très grande proportion de la population philippine n’a donc pas accès à l’ensemble de ses droits démocratiques en raison de sa situation géographique[4].
Le caractère vulnérable des travailleurs migrants
Un autre problème relié aux travailleurs migrants concerne leur vulnérabilité. En effet, ce même rapport explique que les travailleurs migrants peuvent être sujets au trafic de personnes. Bien que le trafic de personnes soit interdit conformément à la loi anti-trafic de 2003[5], il est demeuré un problème pour les Philippines. Les trafiquants visent entre autres des personnes qui cherchent un emploi à l’étranger. La plupart des recrues sont des femmes âgées de 13 à 30 ans qui proviennent généralement de familles pauvres des milieux ruraux. Les trafiquants sont en grande partie des recruteurs d’emplois privés et leurs associés font partie du crime organisé. Beaucoup de recruteurs visent des personnes de leur ville natale et promettent un travail respectable et lucratif. Pourtant, cette loi condamne fermement le trafic de personnes et va jusqu’à emprisonner les coupables à vie.
On retrouve des exemples anecdotiques où, dans plusieurs cas, des officiels de niveau inférieur (tels que des douaniers, des garde-frontières, des fonctionnaires de l’immigration, la police locale, etc.) auraient aidé illégalement à faciliter le trafic. Lors du trafic, les victimes sont exposées à des maladies sexuellement transmissibles ou à d’autres maladies infectieuses et elles sont soumises à de la violence physique, des abus sexuels et de l’humiliation.
Les démarches du gouvernement et de plusieurs organisations non-gouvernementales (ONG) ont été de travailler pour la protection des droits de 8 millions de citoyens se trouvant hors du pays, la plupart ayant une situation temporaire ou étant des ouvriers sous contrat. Le gouvernement a ordonné des sanctions financières et des charges criminelles contre les agences de recrutement nationales reconnues coupables de ne pas respecter les pratiques et droits reconnus en milieu de travail. Bien que le POEA ait relevé et surveillé les pratiques des recruteurs nationaux avec succès, les autorités manquaient parfois de ressources pour assurer la sécurité des travailleurs à l’étranger. L’organisation a proposé la coopération des pays d’accueil de ces travailleurs migrants ainsi que des conventions sur les droits des travailleurs lors de forums internationaux. Le gouvernement a fourni de l’aide à travers ses missions diplomatiques dans les pays où le nombre de travailleurs migrants est substantiel[6].
Pour consulter la loi émise par le gouvernement philippin en 2003 concernant l’interdiction du trafic de personnes, visitez le site de l’association « Stop Child Trafficking » : http://www.stopchildtrafficking.info/comments.php?id=16_0_1_0_C
La situation de ces travailleurs migrants au Canada
Le PWC explique dans le rapport que le Canada peut être désigné comme coupable lors de sa contribution à l’exploitation des travailleurs migrants philippins. Tout d’abord, il a fallu répondre à une demande d’aide sociale au Canada. Le développement de l’économie a permis aux femmes canadiennes de quitter leur foyer et pourtant le service social ne proposait pas de système de garde des enfants. Ainsi, en 1973, un système de visas temporaires a été mis en place pour éviter que des femmes entrent au Canada et y demeurent illégalement. En 1981, un programme d’immigration plus solide est instauré. Selon la communauté philippine de la Colombie-Britannique, le Programme concernant les employés de maison étrangers (PEME) a été un moyen de mettre en place un système d’exploitation institutionnelle/légale des travailleurs migrants au Canada. De plus, les premières immigrantes philippines ont été un élément indispensable de la croissance de l’économie canadienne[7].
La PWC explique ainsi la venue de la migration philippine par les politiques mises en place par le gouvernement canadien. Certes, le gouvernement philippin n’a pas poussé ses citoyens à quitter le pays pour trouver de l’emploi, mais les marchés du travail étrangers établissent des conditions répondant aux besoins économiques et en matière d’emplois des Philippines. On peut citer le marché du travail du Canada, mais aussi celui de pays de toutes les régions du monde dont l’Arabie Saoudite et les États-Unis. La mise en oeuvre du PEME correspondait parfaitement à l’intensification de la Labour Export Policy qui donne lieu à « une hausse remarquable du nombre d’immigrantes et d’immigrants philippins ». On estime actuellement que plus de 90 000 Philippines sont venues au Canada à titre de travailleuses domestiques, suite à la mise en place du PEME et du programme qui l’a remplacé, le Programme concernant les aides familiaux résidants (PAFR). Le PAFR a remplacé le PEME en 1991 et demeure le programme officiel du gouvernement canadien à l’égard des travailleurs domestiques[8].
Des conditions de travail difficiles
On désigne les travailleurs migrants philippins comme les héros des temps modernes aux Philippines. On affirme même souvent que c’est grâce à eux que l’économie des Philippines n’a pas souffert de la « grippe » asiatique en 1997-98. Cette position adoptée par le gouvernement des Philippines occulte toutefois la réalité que constituent la violence, les faibles salaires, les conditions de travail intolérables, la discrimination et l’exploitation dont sont victimes les travailleurs migrants philippins dans le monde entier.
Les femmes philippines représentent une proportion importante de la communauté philippine au Canada depuis les années 1960. Le Canada a recruté directement de nombreuses Philippines comme enseignantes et infirmières dans les hôpitaux et les écoles connaissant une pénurie de main-d’oeuvre. « De nombreuses Philippines ont travaillé dans des régions éloignées et dans de nombreuses réserves des Premières nations parce que les infirmières et les enseignantes canadiennes refusaient d’y travailler. Un grand nombre de Philippines ont aussi été recrutées directement pour travailler dans l’industrie du vêtement au Manitoba »[9].
Les organisations de travailleurs domestiques, y compris les groupes de Philippines, ont milité contre les modifications au programme qui rendaient plus difficile la migration des femmes venant des pays en développement (en imposant par exemple des exigences plus rigoureuses en matière d’instruction et de formation), mais elles ont également critiqué les fondements du programme, qui perpétuent l’exploitation et l’oppression de ces femmes. Les pierres angulaires du PAFR sont l’obligation d’habiter chez l’employeur durant deux années et le statut temporaire accordé aux femmes (à la différence des Philippines arrivées au cours des années 1960, qui sont entrées au Canada à titre d’immigrantes ayant reçu le droit d’établissement). On peut déduire que ce mécanisme peut conduire les travailleurs migrants à certaines difficultés étant donné qu’ils sont placés dans une situation d’infériorité et surtout de vulnérabilité[10].
Un grand nombre de travailleuses domestiques philippines ont de longues heures de travail non rémunérées ou mal rémunérées, subissent des sévices physiques et psychologiques, connaissent une déqualification et l’isolement, et ont une faible estime d’elles-mêmes. Selon la PWC, le Canada, tout en se faisant le champion des droits de la personne, n’attache aucune importance à la violation flagrante des droits de ces femmes à titre de travailleuses et de femmes. En fait, le Canada n’a pas encore signé la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[11].
Une alternative ?
Les auteures scientifiques Katherine Gibson, Lisa Law et Deirdre McKay décrivent, dans l’article Beyond Heroes and Victims: Filipina Contract Migrants, Economic Activism and Class Transformations[12], le statut attribué aux travailleurs migrants, en s’intéressant surtout à la situation à Hong Kong. Néanmoins, les membres de la communauté philippine vivent eux aussi le même type d’humiliation. Les travailleurs domestiques sont approchés par les ONG locales, les agences d’emploi et les employeurs de Hong Kong de deux manières différentes : soit de façon stéréotypée où ils sont considérés, selon le modèle de travailleurs domestiques, comme des héroïnes et des preneurs de risques (femmes d’affaires et entrepreneurs), soit on les voit comme des femmes passives et exploitables. Chacune de ces représentations a évidemment des effets différents.
Lorsque les travailleurs domestiques sont placés dans le discours nationaliste, ils sont vus comme des agents individuels exerçant leurs droits de liberté à la mobilité de travail. La prise en compte du besoin ou la prise de responsabilité de leurs droits dans les pays d’accueil est alors diminuée dans leur pays de destination. Les auteures cherchent à montrer que la représentation que se fait la société philippine de ces héroïnes et héros qui partent à l’étranger pour trouver du travail entre en contradiction avec des systèmes patriarcaux, les conditions de travail difficiles, les abus sexuels et autres dures réalités auxquelles doivent faire face les travailleurs émigrés.
Au-delà de ce constat, les auteures proposent aussi quelques solutions. En effet, le rôle de la communauté et un soutien de gestion financière seraient des moyens pour que ces personnes retrouvent confiance en elles et fassent face à l’oppresion. Ces organisations permettent alors aux travailleurs migrants se trouvant dans des situations difficiles de rassembler leurs patrimoines tant économique que non matériel, comme leur expérience en tant que travailleur émigré, afin de se renforcer personnellement et de renforcer leur communauté.
Des communautés de plus en plus actives et rassembleuses
Les responsables de la communauté philippine au Canada considèrent que même s’il attire les regards du monde entier, le gouvernement des Philippines fait preuve d’une inutilité et d’une inefficacité désolantes lorsqu’il s’agit d’aider ces personnes. Il existe ainsi, à travers le Canada, des associations de Philippines très actives telles que le Kalayaan Center. Elles se trouvent dans les villes majeures -Montréal, Toronto, Ottawa, Vancouver- mais aussi dans des villes plus petites comme Winnipeg. Ces associations cherchent à apporter le meilleur soutien possible aux travailleurs philippins, qui sont le plus souvent exclus comme les autres travailleurs migrants. Il est difficile d’entrer en contact avec eux et de le conserver[13].
Les démarches entreprises par ces associations consistent à rassembler le mieux possible la communauté philippine canadienne dont font partie des personnes de tous les âges. Elles tentent de faire réaliser aux Philippins l’importance de leur communauté. Ces associations organisent des rencontres et des conférences au cours desquelles les travailleurs migrants peuvent partager leur expérience, comme le conseillent les auteures scientifiques. La conférence « Link arms, raise fists ! Kapit Bisig – magkaisa kababaihan sa pagpapalaya ng bayan ! » les 16 et 17 juin 2007 en est un exemple. Pourtant, le mouvement est difficile à mettre en place étant donné la disparité de la communauté ainsi que l’isolement que connaissent les plus nécessiteux.
Les ONG locales tentent de mettre en place des systèmes permettant d’entrer en contact avec les Philippines et Philippins à l’étranger, en plus d’apporter un soutien à ceux en situation de détresse. Par exemple, le Center For Migrant Advocacy Philippines met à disposition tout un système d’envoi de messages texte pour les Philippines forcées par leur contrat de rester exclusivement au sein de leur famille d’accueil (voir le numéro ci-bas).
-Numéro d’urgence à disposition des travailleurs migrants philippins victimes de violations de droits humains, joignable 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 partout dans le monde, aux frais du Center for Migrant Advocacy-